24. Suspension
Jack patientait sagement assis en seiza, comme le lui avait commandé Violet, dans le dojo. Cette salle l’entourait de son atmosphère apaisante. Le sol était jonché de tatamis pâles et les murs ornés de larges estampes, tandis que des bambous pendaient à la verticale du plafond.
Violet lui avait fait part de son souhait de dérouiller ses talents de shibariste et Jack s’était évidemment retrouvé volontaire avant qu’on s’enquière de son avis. Il aurait approuvé même sans que ses maîtresses le devancent ; après tout, il adorait ressentir la caresse comme la brûlure du jute sur son derme.
Un bruit attira l’oreille de Jack, celui d’un lourd paquet de cordes qui venait de choir, enroulé dans son tenugui, sur le tatami. Seuls les doigts graciles de la dame s’agitaient dans le champ de vision de Jack. Une corde se souleva, passa sur sa poitrine à nu et frôla ses mamelons tendus. Un frémissement parcourut son corps, puis ses battements s’apaisèrent, en même temps que son souffle qui se régulait. Lent et calme.
Il ferma les yeux pour mieux s’abandonner entre les soins de Violet. Cette dernière saisit ses bras et appuya stratégiquement entre ses omoplates pour plier ses membres dans son dos. Elle procéda à un nœud lâche autour de ses poignets. Elle tendit la corde, dans un geste d’abord délicat, puis ferme, pour l’enrouler autour de son torse. L’artiste enchaîna les tours et les frictions jusqu’à entourer ses pectoraux de quatre rangées de torons. Elle passa ses doigts sous les liens, tira pour en tester la tension, avant de juger que son gote serait suffisant pour une suspension.
Elle passa de nouvelles lignes dans le stem, les fit passer sur le bambou et s’en servit comme poulie pour élever son œuvre de macramé. Le corps de Jack suivit – il n’avait pas le choix – et fut tiré de sa léthargie par cette élévation forcée. Il se retrouva bloqué sur la pointe des pieds, déjà planant dans cette solide contrainte. Pourtant, il n’en était qu’à l’aube de la manœuvre.
Violet replia la cheville de l’encordé contre sa cuisse et l’emprisonna dans cette position par de nouveaux liens qu’elle suspendit aux côtés de la ligne du harnais. Le contact entre Jack et le sol se résumait à un orteil.
Orteil qui vola bien vite en l’air pour rejoindre ses confrères. Avec une autre corde, elle tira la cheville jusqu’à ce qu’elle touche le bambou. La sensation qui se propagea dans son corps une fois qu’il eut quitté terre était extraordinaire. Il se sentait voler, en flottaison dans les cordes.
À cause de la position, son squelette effectua une torsion. Son épaule droite, dirigée vers le sol était sciée de douleur par les liens. Mais le harnais équilibré compensa en répartissant la tension au mieux.
Progressivement, Jack sentit ses muscles s’engourdir, se faire cotonneux. Ici, privé de tout mouvement, il ne lui restait plus que l’alternative de planer.
Violet l’attrapa par la gorge et souleva sa tête vers elle.
— Ça va ? Tu es bien comme ça, petit cochon volant ?
Jack hocha faiblement la tête. Trop sonné par les endorphines pour adresser une réponse convenable. Violet répliqua à ce manquement d’une corde passée dans la bouche du soumis, qu’elle rattacha à la ligne de suspension principale. Elle s’amusa d’ailleurs avec ces dernières, les descendant tantôt, les resserrant sinon.
Jack haletait et gémissait de souffrance à chaque perturbation dans l’harmonie de son corps en suspens. Une chaleur enivrante engloutissait chacun de ses nerfs, elle se propagea encore lorsque Violet enroula de nouvelles cordes autour de ses jambes afin de les ligoter entre elles. Les torons serraient sa peau à l’extrême, coupaient momentanément la circulation de son sang. Une fois le tout correctement sécurisé, Violet détacha la ligne de maintien du harnais de poitrine.
La corde fila dans les airs comme un serpent et chuta dans un bruit étouffé contre le tatami. Jack se retrouva tête en bas, oscillant dans une lente rythmique au bout de son bambou. Le sang lui montait – ou plutôt descendait – à la tête. L’étourdissement abattait un voile flou dans sa vision, mais il se sentait bien.
Les liens tiraillaient sa peau à l’extrême, mais ne le faisaient plus souffrir. Il se laissa bercer. De longues minutes. Dans le silence et la sérénité du dojo.
Une nouvelle tension sur la ligne le tira de sa torpeur : Violet était en train de le détacher. D’une main, elle sécurisa sa nuque avant de faire coulisser délicatement le corps jusqu’au sol. Une fois à terre, le sang reflua brusquement dans tous ses membres en fourmis irritantes. Le soumis s’en trouva encore sonné, mais différemment. Il fut incapable d’esquisser le moindre geste, la moindre parole, tandis que Violet le détachait. Il avait l’impression de flotter encore. Il était bien.
Violet prit son temps, caressa avec une douceur qui ne lui ressemblait pas son corps endolori. Son ongle indigo passait dans les sillons rougeauds qu’avaient imprimés les cordes. Jack retrouva une force suffisante pour envelopper le corps de la belle dans ses bras. Sa hardiesse le surprenait le premier. Néanmoins, Violet ne chercha pas à le repousser, accentuant même l’étreinte.
— On dirait que tu as volé bien haut, lui souffla-t-elle.
Oui. Et il pourrait rester percher sur ce nuage pour une éternité tant que ses maîtresses étaient à ses côtés.
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