Sous la cendre
Il n'y avait plus rien. L'homme – qui portait par ailleurs si bien la barbe – se dressait, droit dans ses bottes, les yeux scrutant les alentours. Non, il n'y avait plus rien. Que de la terre à perte de vue, des branches noires, craquelées, blanchies, que des cadavres d'animaux jonchant le sol par-ci par-là. Des larmes de rage vinrent couler sur ses joues sales, entraînant de la suie dans leurs sillons. De rage et de frustration, il donna violemment un coup de pied dans un vieux tronc ; son craquement résonna dans toute la plaine, comme une plainte déchirant le silence qui s'installe après un désastre. Si lourd et si pesant lorsque l'on comprend qu'il n'y a plus d'espoir.
Il leva finalement son regard vers le ciel gris. Depuis plusieurs heures déjà, de minuscules flocons tombaient en cascade sur le sol, recouvrant la terre d'une épaisse poudre argentée. S'il n'avait pas été en plein été, il aurait pu les confondre avec la neige et son blanc manteau d'hiver – mais hélas, ce n'était pas la saison. L'homme retira son casque, laissant la cendre et la suie dissimuler peu à peu l'or de ses cheveux et passa une main sur sa nuque endolorie. Tout était gris, morne autour de lui. Les arbres avaient perdu de leur superbe, les feuilles qui n'avaient pas brûlées au sommet des résistants – derniers témoins du génocide champêtre – n'attendaient que le souffle du vent pour rejoindre la mort sur le sol. Une forte odeur de charbon embaumait encore l'air. Mais l'épaisse fumée noire, qui asphyxiait la terre, qui couvrait le ciel et crachait ses débris enflammés quelques heures plus tôt, s'était dissipée dans l'atmosphère.
Au milieu de la plaine, se dressaient les ruines d'une vieille bicoque encore fumante. Les flammes avaient rongé les murs et les poutres s'étaient effondrées sur elles-mêmes. Les vitres avaient explosé sous l'effet de la chaleur. Quelques fragments éparpillés jonchaient encore le sol, le reste ayant sûrement fondu dans l'incendie ; il n'y avait plus rien, ni meuble, ni souvenirs, ni signe de vie dans cette cabane de bûcheron. Le toit se dispersait en cendres et il ne restait de cette petite maisonnette qu'une architecture branlante et calcinée.
Cette nuit-là, lui et son équipe n'avaient rien pu faire et l'incendie avait englouti la forêt. Le pompier arrosait la cendre, cherchant les dernières braises pour éviter un nouveau départ de feu. Les branches se brisaient sous le poids de son corps et s'éparpillaient comme un château de sable. Parfois, il trouvait même encore quelques étincelles rougeoyantes cachées de sous cet épais manteau gris et se précipitait pour les noyer, les écraser ou les enterrer ; il fallait les étouffer avant qu'à nouveau le feu ne brûle les alentours. Il n'en faudrait qu'une, une seule, que le vent irait balayer vers de nouvelles terres à embraser. Et alors l'incendie pourrait renaître, tel un phœnix, tel un dragon surgissant à travers les branches pour dévorer les forêts et les vallées. De sa grande gueule, il avalerait les arbres et les buissons, engloutirait les champs et les animaux ; il laisserait éclater sa rage et ses ardeurs, ses flammes rouges et orangées rencontreraient les étoiles.
L'homme se baissa un instant et plongea ses mains dans la cendre. Il essuya la terre du bout des doigts, caressant la suie encore chaude, déplaçant le bois qui s’effritait à son contact. Et là, cachées sous les ténèbres, émergeaient déjà les prémices d'une nouvelle ère, d'un nouvel espoir : un petit bourgeon avait échappé au brasier. L'insolent brillait d'un précieux vert émeraude, lueur extaordinaire dans tout ce gris, note irréelle qui se dressait fièrement sous le soleil. Qui narguait-il ainsi ?
Un sourire éclaira le visage du valeureux pompier et une chaleur apaisante l'envahit peu à peu. Il renversa un peu d'eau sur la jeune pousse avant de se relever et de continuer son chemin.
La Nature avait ceci de merveilleux : sous cette mort apparente, la vie renaîtrait car c'est ce qu'elle faisait si bien au fil du temps, mourir et puis revivre dans un cercle sans fin.
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