Échange entre Ambrosios et Anthinéa
Mon Aimée
Me voilà distant déjà et votre île n'est plus qu'une mince ligne à l'horizon. Mon cœur reste en jachère et douloureusement persuadé qu'il demeure auprès de vous là-bas, sur ce quai éblouissant d'or et de soleil où je vous ai laissée. Je vous revois encore couronnée de fleurs odorantes, agitant votre main dans ma direction alors que je m'éloignais de vous. Je pense pouvoir dire, sans me tromper, que vous avez bien failli me rejoindre sur mon bateau ; vos yeux veloutés me l'ont crié. Vous m'auriez rendu heureux si vous l'aviez fait. Las, vous avez vos devoirs envers votre famille, et moi les miens ; ainsi, nous nous devons d'être vertueux et faire taire l'égoïsme de cet amour qui nous incendie.
Mais, j'ai mes souvenirs pour pallier à votre cruelle absence jusqu'au jour où, délivrée de vos obligations, vous me rejoindrez en terre de Thessalie. Mes suppliques et dévotions en direction des dieux y seront, en tous les cas, consacrées.
Je ferme les yeux. La réminiscence de notre rencontre m'envahit ; l'Étincelant triomphait dans un ciel céruléen. Debout sur la terrasse, en la demeure de votre père, vous vous teniez près des colonnades. Des voiles fluides paraient vos courbes divines et vos cheveux s'irisaient de perles nacrées. Quant à vos lèvres, couleur de grenade, elles appelaient les baisers les plus enflammés. Votre regard de braise me captura ce jour là, et me consuma de sa passion.
À cet instant précis, je ne pensais plus aux affaires que j'étais venu traiter en Atlantide et à son vin parfumé. Celui-ci, si prisé des notables de ma cité et de moi-même, venait d'être éclipsé ; oui, vous m'aviez enivré !
Sachez, Mon aimée, que je chérirai ce moment-là où, pour ma plus grande joie, vous avez ravi mon cœur à jamais.
Voilà, votre terre natale vient de disparaitre. Je ne vois plus que l'outremer des vagues, je n'entends plus que le ressac ; son parfum iodé m'enveloppe et m'emporte dans votre direction.
Recevez mille baisers.
Ambrosio.
***
Cher Amour
Six semaines sont passées depuis votre départ, et je reçois enfin de vos nouvelles. Avant d'ouvrir votre lettre, j'y ai apposé mes lèvres puis je l'ai serrée sur mon cœur. Cette missive est un baume qui m'emporte de joie. Cependant, elle arrive en des temps bien troublés. Ah, je n'ose vous l'écrire ; je crois que la colère des dieux est imminente.
Vous souvenez-vous de ce jour où nous rencontrâmes cet homme hirsute, au regard halluciné, sale et à moitié nu ? Il errait par la cité, chancre choquant au milieu de sa beauté, et il prophétisait, ô hérésie, la fin de l'âge d'or. D'ailleurs, il m'effraya tant et tant que vous appelâtes des gardes pour qu'ils l'emmènent en prison : ce qui fut fait. Vous m'aviez assuré, alors, que ce n'était qu'un dément et que je ne devais pas me tourner les sangs par ses folies.
Pourtant aujourd'hui, je sais qu'il avait raison.
Ainsi, je vous parlerai du lac des centaures, de ses eaux cristallines, ses poissons colorés de toutes tailles et de tous genres qui y folâtrent ou plutôt folâtraient. Nous avions pris place dans une barque, emportant avec nous de cette ambroisie que vous appréciez, de même que votre lyre. De cette façon, alors que notre embarcation allait sur l'onde calme, vous me charmiez de votre musique.
Comme je souhaiterais que ces instants d'insouciance reviennent, mais je crains fort que ce ne soit qu'illusions.
Hier, je suis retournée au lac, ce que j'ai découvert m'a anéanti, rempli d'effroi. Une odeur pestilentielle imprégnait l'air, les eaux fumaient et bouillonnaient par endroits ; quant aux poissons, ils flottaient le ventre en l'air, il étaient morts !
J'oubliais encore ; les centaures ont déserté ses abords.
Je vous révèle toutes ses choses et je devine que vous peinerez à le croire. Pourtant, se sont des faits, et alors que je trace ces lignes, je vois de ma terrasse le ciel s'ennuager et je sens le sol tressaillir sous le dallage…
Puissent les dieux calmer leurs ires et me faire comprendre que je suis dans l'erreur.
Tendrement à vous,
Antinéa.
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