Le démon le poursuivait. Il pouvait le deviner aux craquements sinistres derrière lui. Tétanisé, il courait aussi vite qu’il le pouvait dans l’espoir de lui échapper.

 Se mettre à l’abri. Trouver de l’aide.

 Devant lui, la forêt s’étendait à perte de vue. Il se sentit aussitôt noyé par l’immensité des arbres qui n’en finissaient jamais de grimper. Il n’y avait pas un seul oiseau, pas même un promeneur pour le secourir. Pour le sauver.

 Il était seul, entouré par un silence de mort.

 D’ailleurs, où était-il ?

 Il songea soudain à sa famille, à ce qu’ils devaient ressentir en ce moment. Le considéraient-ils déjà comme mort ? Etaient-ils à sa recherche ?

 Une branche craqua sur sa droite, à une cinquantaine de mètres, et une silhouette apparut entre deux troncs à l’écorce mourante.

 Il l’avait retrouvé !

 Pris de panique, il se remit à courir sans se préoccuper du bruit qu’il faisait. Tout ce qu’il voulait c’était sortir de ce cauchemar. Se sentir hors de danger, sain et sauf.

 Il repensa aux monstruosités qu’il avait subi, à la douleur et à la peur qui le tenaillaient depuis des jours, voire même des semaines.

 Des années ?

 La seule question qui le taraudait depuis tout ce temps était au final la plus élémentaire : pourquoi ?

 Pourquoi lui ? Pourquoi lui parmi tous les autres ? Pourquoi lui avoir infligé tout cela à lui ?

 Méritait-il ce qui lui arrivait ? Il savait pertinemment que non, mais quelque part au fond de lui, le doute ne pouvait s’empêcher de subsister. Rien n’arrivait jamais sans raison. Alors dans son cas quelle était-elle ?

 Si jamais il s’en sortait, combien d’années lui faudrait-il pour se remettre d’une telle épreuve ? Pourrait-il au moins s’en remettre un jour ? Comment vivre avec une fracture aussi profonde, avec ce gouffre qui ne cessait de croître au fond de son âme ?

 L’air commença à lui manquer, il sentit une brûlure grandissante irradier ses poumons mais peu importe. Il fallait continuer, avancer coûte que coûte, courir toujours plus vite, jusqu’à que les bruits disparaissent dans son dos. Il ne pouvait pas se permettre de lâcher. Pas maintenant.

 S’il n’avait pas été shooté à l’adrénaline, ses jambes l’auraient lâché depuis longtemps.

 De ses yeux avides, il parcourait chaque centimètre de ces bois hostiles, cherchant désespérément un détail, un élément qui l’aiderait à se repérer. Rien n’y faisait. Cette maudite forêt n’était qu’un grand labyrinthe interminable où tous les couloirs étaient identiques.

 Il sursauta.

 Un nouveau craquement avait retentit, cette fois sur sa gauche.

 Plus près.

 Le monstre se rapprochait.

 De chaudes larmes coulaient le long de ses joues rosies par le froid. Il se sentait submergé par ses émotions, ne contrôlait plus rien. Il ne regardait plus que derrière lui, priant pour que l’infame créature à ses trousses finisse par le laisser tranquille.

 C’est alors qu’il se prit les pieds dans une racine qui passait par là et s’étala de tout son long sur le sol tapissé de feuilles mortes. Il était complètement essoufflé, son cœur semblait prêt à jaillir hors de sa poitrine. Ses oreilles bourdonnaient si fort que sa vision en fut troublée un instant, tout devint flou autour de lui. Il voulut se relever mais ses bras ne le portaient plus, le forçant à ramper.

 Il était mal en point, son corps frêle d’enfant ne pouvait pas supporter tout cela. Toute cette violence, toute cette douleur. Comment pouvait-on infliger pareil châtiment à quelqu’un ?

 Á bout de force et ayant perdu tout espoir de s'en sortir, il abandonna le combat, conscient de ce que cela impliquait, et enfouit sa tête dans le lit de mousse verdoyante qu’il huma de toutes ses forces une manière pour lui dire adieux à ce monde.

 La dernière chose qu’il vit alors fut des deux formes indiscernables qui plongèrent dans sa direction.

 Après cela, il perdit connaissance.