Chapitre 4 : Contact (1)
Lorsque Vyrian revint à lui, les derniers événements ressurgirent par flash : Mère, le projet Trimondes, le décès des trois scientifiques et enfin la dépression que cela avait généré.
Vyrian regarda autour de lui. Seule une immensité noire l'entourait, il comprit que Mère l’avait isolé. Il apprécia dans un premier temps le calme de sa nouvelle situation, puis rapidement sa tristesse s’accrut. Cette tranquillité lui renvoyait sa solitude. Une à une, il avait vu les personnes qu’il chérissait dépérir. Mêlé au sein de la communauté, il ne s’était pas rendu compte à quel point il souffrait.
Ne souhaitant pas s’appesantir sur sa situation, il tendit son esprit vers Mère. L’intelligence artificielle détecta l’augmentation de l’activité cérébrale du chercheur, elle prit de ses nouvelles.
— Comment vous sentez-vous ?
— Bien.
Malgré son ton neutre, l’avatar de Vyrian retransmit à Mère son mal-être. Sa projection était instable, manquant à tout moment de disparaître. Avant que Mère n’ait pu le questionner davantage sur son état, il enchaîna.
— Quelle est cette légende dont vous parliez ? J’ai du mal à en comprendre l’importance.
Il espérait bien, à présent que la situation s’était calmée, obtenir des réponses. L'intelligence artificielle comprit le message. Le chercheur ne souhaitait pas aborder son passé, préférant se concentrer sur la mission. Elle accéda à sa demande.
— Bien, dans ce cas, commençons.
Satisfait, Vyrian attendit des explications. Au lieu de ça, une interface apparut. Un nouveau monde s'étendait sous les yeux du chercheur. Il reconnut sans difficulté le paysage que lui avait montré Mère la veille. L’endroit lui paraissait encore plus beau. Vyrian humait les effluves des fleurs et ressentait la fraicheur du vent sur sa peau. Il en savourait chaque brise. Il aimait cet endroit.
Mère le laissa quelques instants à sa contemplation.
— Les stimuli que je vous projette sont issus du Monde Mythique en temps réel. J'ai pour fonction de surveiller toute trace de vie, y compris celle des autres mondes.
Pour la première fois, Vyrian réalisa la complexité de Mère. Toutes ces années, il l'avait crue uniquement au service de leur survie, il s'avérait que ce n'était pas le cas. L'intelligence artificielle poursuivit ses explications.
— Plongé en transe, votre corps ne subit pas l’altération du temps comme les habitants des trois mondes. Ce qui vous a paru être six années, représente pour eux dix-huit ans.
Après un bref calcul mental, Vyrian réalisa l'importance de cette information. Le Projet Trimondes avait été lancé la première année passée en Télépathie®. Dix-huit ans s'étaient écoulés dans les trois mondes, le projet entrait dans une phase critique. Il s'agissait de l'instant crucial où son sort allait être scellé. Ces résultats seraient-ils concluants ? Qu'apporteraient-ils ? Seraient-ils aussi néfastes que Mère l'annonçait ?
L'intelligence artificielle intercepta les pensées du chercheur.
— Voyez par vous-même.
Un zoom fit apparaître une vaste plaine. Au loin, un village se tenait en bordure de forêt. Vyrian appréciait l'harmonie qu'il entretenait avec la nature. Les chemins d'accès, bien qu'aménagés, paraissaient naturels. Les constructions semblaient être une extension même de l'environnement. Le chercheur fut ébahi par une telle prouesse architecturale. De loin, le village se fondait dans le paysage.
Vyrian aurait aimé fouler les sentiers et sentir la terre sous ses semelles. Malheureusement, cela lui était impossible. Mère sentit le désarroi du scientifique. Ne pouvant se permettre de perdre son attention, elle poursuivit.
— Alteryx est un village de dompteurs. C’est un bon endroit pour vous familiariser avec le Monde Mythique et ses créatures. A cette période de l’année se déroule la cérémonie du passage à l’âge adulte. Vous rencontrerez Yomi, une Exilée. Il s'agit d'un des nouveau-nés du projet Trimondes. Fara et Dallan l’ont trouvée non loin du village, alors qu'elle n'était encore qu'un nourrisson. Ils l’ont adoptée et élevée comme la sœur de leur propre fille, Ylméria.
Vyrian mémorisa le nom de la jeune femme, il avait hâte d’en apprendre plus à son sujet. Au fur et à mesure que le village se précisait, une mélodie se faisait de plus en plus forte. Le biologiste se demanda d’abord s'il ne l’avait pas imaginée, puis bientôt le rythme se fit si entrainant que, peu à peu, la tristesse qui lui étreignait le cœur fut chassée et ses battements se calèrent sur le tempo.
Emerveillé par ce qu’il découvrait, le scientifique se laissa guider. Mère arrêta la projection devant une maison semblable aux autres. L’habitation ne dérogeait pas à l’harmonie que dégageait le village. Les habitants semblaient avoir dompté leur environnement tout en préservant la beauté.
Les maisons étaient telles des prolongements du sol, faites d’un mélange de roche, de terre et de végétaux. L’ensemble hétéroclite et harmonieux offrait un camouflage idéal. Si bien que le village semblait être un habitat naturel, mêlant les avantages de l’utilitaire avec le charme d'un environnement sauvage.
Mère ajusta l’angle de vue et Vyrian se retrouva face à une fenêtre du second étage. Là, le scientifique vit une jeune femme blonde frapper le mur de la chambre.
Surpris, le chercheur s'interrogea.
— Yomi ? Que lui arrive-t-il ?
— Non, voici Ylméria. Visiblement, Yomi est sortie avant qu’elle n’ait eu le temps de lui toucher quelques mots sur l’importance des traditions.
— Comment pouvez-vous le savoir ?
— La vie des Mysticys, c'est ainsi que tes prédécesseurs ont nommé les habitants de ce monde, est rythmée par des cérémonies. Ylméria y accorde énormément d’importance, tandis que Yomi les considère comme futiles et dépassées.
Vyrian reporta son attention sur la jeune femme qui peinait à retrouver son calme. Ses yeux trahissaient son humeur. Ils étaient voilés comme si une tempête couvait en elle.
Sans qu’il en comprenne la raison, l’image de Clana, se superposa au visage de la jeune Mysticys, certains traits se confondirent, d’autres s’accentuèrent. Les deux femmes se ressemblaient étrangement. Vyrian tendit une main virtuelle pour toucher le visage de celle qu’il aimait. Son geste fut stoppé par un déferlement de tristesse. La chaleur qui commençait à regagner son corps se tarit. Le scientifique se retrouva plus seul qu’il ne l’avait jamais été. Il secoua la tête. Aussitôt l’image de Clana se décomposa, ses traits se flétrirent, sa peau se craquela et elle disparut dans un nuage de poussière.
Le chercheur avait conscience que son esprit lui jouait des tours, sa souffrance n'en était pas moins réelle. Par prudence, Vyrian détourna les yeux du visage d’Ylméria. Son regard glissa sur sa tunique fendue au niveau des hanches. Le reflet du soleil sur ses dagues attira son attention : cinq fines lames étaient maintenues attachées à sa cuisse.
Un crépitement sortit Vyrian de sa contemplation. A l'endroit de l’impact, le mur se régénérait de lui-même. Une fois toutes les traces de l’excès de colère d’Ylméria disparues, l’une des branches qui entourait le rebord de la fenêtre se détacha de son support et se tendit vers la jeune femme. L’une de ses feuilles s’enroula dans la longueur modélisant un corps gracile. La petite créature végétale fixa la jeune femme avec mécontentement. D’un geste du doigt impérieux, elle désigna le mur lésé par Ylméria. La jeune femme parut contrite. Pour toute réponse le petit être secoua la tête de gauche à droite. La Mysticys n’en parut que plus inquiète.
— T’ai-je fait mal ? J’en suis désolée.
Le petit être se contenta de répéter les mêmes gestes et retrouva sa forme originelle de feuille. Puis, la branche réintégra son support.
— Je ne recommencerai plus.
Vyrian restait interdit devant un tel prodige.
— Qu’est-ce ?
— Il s’agit d’une manifestation de la volonté de la plante. Certains les nomment "poupées" ou encore "marionnettes". Ils n’ont aucune volonté propre et se contentent de communiquer aux autres espèces les désirs de leur hôte.
Focalisé sur le mur, Vyrian ne vit pas Ylméria quitter la chambre. Mère s’imposa à l’esprit du chercheur et le sortit de son admiration.
— Dépêchons-nous de retrouver Yomi. La cérémonie débute dans quelques heures, elle ne doit pas être bien loin.
Le point de vue changea brusquement lorsque Mère retourna sur l’allée principale. Cette plongée, bien que minime, provoqua chez le chercheur une série de haut-le-cœur. Cela faisait des années qu’il était alité. Voir à travers Mère était déroutant et cela devenait rapidement insupportable lorsqu’elle changeait d'angle de vue.
Mère ralentit afin de laisser le temps au scientifique de s'habituer. Elle avait besoin de ses conseils. Malade, il ne lui servirait à rien. De plus, Mère connaissait Yomi depuis son plus jeune âge, elle avait une idée du lieu où elle se trouvait.
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