Chapitre 5 : Numyrhis
Vyrian resta interdit. Xam le fixait avec insistance. Un sourire en coin retroussa ses babines et des crocs apparurent. Le biologiste en eut des frissons.
— Vous… Vous percevez ma présence ?
Xam posta l’une de ses pattes avant devant son museau et des tressautements parcoururent son corps.
— Tu te moques ?
— Oh, on a en fini avec la politesse ? Evidemment que je me moque. Yomi ne vient pas de ce monde, je parviens à en comprendre les pensées. Pourquoi en serait-il autrement avec toi ?
— Je…
— Tu es comme tous les humains, persuadé que si l’on ne communique pas avec vous, c’est que l’on est trop stupide.
— J’ai…
— Laisse-moi deviner, tu n’as jamais dit ou pensé ça. Regarde-moi, les miens ont pratiquement disparu à cause de votre cupidité. Longtemps, nous avons été chassés pour les propriétés de notre cœur magique. A notre mort, ses fibres servaient à concevoir des parchemins, notre peau étant le meilleur matériau pour conserver la puissance d’un sort.
La projection mentale de Vyrian émit un mouvement de recul. Le scientifique avait certes bien compris la perception de ses pensées par Xam. Mais il ne pensait pas que la jeune créature l’espionnait depuis tout ce temps.
Vyrian attendit une réaction de la part de Mère, mais celle-ci n’émit aucun commentaire. Percevait-elle les pensées du Xealeras ? Etait-elle au courant de sa capacité à communiquer avec les étrangers ? Newt, Stein et Willis, l’avaient-ils contacté pour prévenir les responsables des différents mondes ? Vyrian rejeta bien vite cette idée, la créature était encore jeune, les faits étaient antérieurs à sa naissance. Méfiant, Vyrian continua d’étudier l’animal.
Xam finit de s’étirer, les pattes avant tendues, le dos creusé et l’arrière train bombé, il se redressa roulant des yeux. Yomi le chassa gentiment.
— Xam, arrête de faire l’idiot !
Le jeune animal parut s’en amuser, un sourire moqueur étira ses babines. Vyrian perçut ses pensées.
— Et à ton avis, pour qui je fais l’idiot ? Yomi m’a recueilli suite à une chasse illégale. Ma mère grièvement blessée est décédée lors de l’accouchement, seule cette humaine a été bonne avec moi. Alors par respect pour elle, je vous mets en garde. Si vous restez, vous vous exposez à des dangers que vous ne pouvez imaginer. Faites-le au moins en toute conscience.
Sur ses pensées, le Xealeras tapota le titre de la légende de sa queue, intimant au scientifique de lire avant que Yomi ne retourne la page. Mais hésitante, elle finit par arrêter son geste à mi-chemin. Au vu de sa réaction, le chercheur comprit l'intérêt qu'elle portait à la légende. Bien décidé à en percer les secrets, Vyrian profita de l’opportunité qui lui était proposée et entama sa lecture.
Jusqu'à présent, il n'avait pas prêté attention aux algorithmes lui permettant de comprendre les écrits et paroles des habitants. Maintenant qu'un long texte se tenait sous ses yeux, il ne pouvait plus en faire abstraction. La calligraphie évoluait sous son regard, les lettres s'interchangeaient, remaniées au fil de sa lecture. Sa surprise s'accrut de ligne en ligne. Une fois son regard posé sur le point final, le chercheur se tourna vers l'intelligence artificielle.
— Les pourcentages que vous m’aviez cités, il ne s’agit pas d’une coïncidence, si additionnés ils correspondent aux caractéristiques de la Terre ?
— Effectivement.
— Que signifient-t-ils ?
Mère observa les émotions du professeur influencer sa projection mentale. L’intelligence artificielle percevait sa curiosité, ses espoirs, ses ambitions. Mère s’attendit à un déferlement de questions, une seule lui fut posée.
— Est-ce bien ce que je pense ?
— D’après la légende de Numyrhis, il serait possible de reconstituer le monde Fondateur, la Terre. Seulement, cela mettrait fin aux trois mondes, ils se retrouveraient mélangés tels que la magie, la technologie et l’histoire le sont dans notre monde.
— En quoi est-ce une mauvaise chose ?
— D’une part, il ne peut y avoir deux monde Fondateur. Si cette légende dit vrai et se concrétise, vous disparaitrez. Quant aux trois mondes, ils n’existeraient plus. Ils ne formeraient plus qu’un. Peu à peu, ces personnes oublieraient leur histoire, leurs aptitudes et leurs capacités s’homogénéiseraient.
— En résumé, une nouvelle Terre.
— C’est exact. Seulement, sans prévention, il y a de fortes chances que vos erreurs se reproduisent.
Vyrian fixa une nouvelle fois le texte. « Il y avait bien longtemps de cela, il existait un monde à la richesse inégalée. Seulement, ces habitants à force de trop puiser dans ses ressources finirent par le détruire. Cette planète à l’agonie parvint tout de même à préserver son héritage. Elle engendra trois nouveaux mondes, chacun étant son reflet partiel. Bien qu’isolées, ces planètes pouvaient communiquer entre elles. Seulement, ce moyen ne fut jamais révélé. En voyageant d’un monde à l’autre, il serait possible de reconstituer le monde Fondateur. Pour cela, l’essence des trois mondes devrait fusionner.»
Vyrian vit du coin de l’œil Yomi s’adresser à Xam.
— Et toi que choisirais-tu ? Essayerais-tu de réparer les erreurs du passé ou bien t’en affranchirais-tu ?
Xam pencha innocemment la tête de côté. Yomi sourit devant l’expression de son compagnon et lui ébouriffa le crâne. Le jeune Xealeras s’ébroua comme s’il tentait de chasser cette idée saugrenue.
Vyrian ne put s’empêcher de sourire à cette scène. Ce qui n’échappa pas à Xam.
— Et toi que choisirais-tu ?
Le biologiste malgré les réponses nouvellement acquises, n’était pas en mesure de comprendre l’intérêt que portaient les Mysticys envers la légende. Il ignora donc la question et se tourna vers Mère.
— Je ne comprends pas en quoi cette légende est si importante pour les trois mondes. La résoudre les mènera à leur perte, quel intérêt ?
— Résoudre cette énigme est, pour les habitants des trois mondes, un moyen d’acquérir un savoir considérable, une possibilité d’améliorer leur situation ainsi qu’une découverte incroyable.
— Et comment s’y prendraient-ils ?
— Ça, je l’ignore. Je ne suis qu’une observatrice. Tant qu’aucun indice n’apparaitra à ce sujet, je ne pourrai t’en dire plus.
Bien que n’aimant pas cette part d’ombre, le scientifique fut bien obligé de reconnaitre la cohérence des propos de l’intelligence artificielle. Cette ignorance avait au moins le mérite de le rendre le plus objectif possible. Une question le taraudait encore.
— Quel est le rapport avec la guerre annoncée ?
— Le Monde Mythique, de par sa richesse, est un monde de convoitises, je le lis dans tes yeux.
Vyrian ne pouvait réfuter ce fait. Ainsi malgré eux, ses collègues avaient révélé à chaque monde l’existence des deux autres, créant l'illusion d'une vie meilleure. Pourtant, une solution toute simple existait. Vyrian déglutit péniblement à l'évocation de cette idée. Fébrile, il l'énonça.
— Dans ce cas, pourquoi ne pas arrêter le projet ? Je veux dire : si les enfants ne parviennent pas à leur dix-huitième anniversaire, le symbole n'apparaîtra pas sur leur main et la légende de Numyrhis ne sera pas relancée.
Cette fois-ci la réponse ne provint pas de Mère, mais de Xam.
— Ne vous avisez pas de blesser Yomi !
Cette réponse pleine de spontanéité blessa Vyrian. Il avait honte d'avoir pensé à un tel recours, pourtant objectif. Survivre était un terme universel, seulement il ne s'appliquait pas à tous.
Mère perçut sa détresse, elle lui partagea son point de vue.
— J'ai étudié cette possibilité. Seulement, la légende est déjà bien ancrée dans les mœurs. Sacrifier ces enfants ne nous mènerait à rien.
Cette réponse apporta un peu de réconfort au chercheur. Néanmoins, une part de lui se demandait à quel point il avait perdu son humanité. Jamais, il n'aurait été en mesure de réfléchir de la sorte. Que lui était-il arrivé ? Mère déteignait-elle sur lui ?
Inquiet quant à son jugement, Vyrian observa Yomi repousser innocemment Xam, le grondant gentiment de réclamer de l’attention dans un moment qui ne s’y prêtait pas. Le jeune Xealeras balançait doucement sa queue, le regard toujours rivé sur le chercheur. Une dernière pensée lui parvint.
— Puisque la mort n’est pas une option, que comptez-vous faire ?
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