Alors que Vyrian attendait une réponse de la part de l’intelligence artificielle, des interférences parasitèrent les visages des prisonniers. Le scientifique observa quelques instants le phénomène pensant qu’il allait disparaître de lui-même, mais bientôt, il fut incapable d’identifier les lieux tant l’image était pixélisée. Des grésillements firent leur apparition et la diffusion s’arrêta nette. Coupé du Monde Mythique, Vyrian se retrouva de nouveau seul.

Le biologiste voulut questionner Mère sur cet incident, mais il s’abstient. Depuis la requête de Fara, l’intelligence artificielle se montrait distante. Le scientifique ne savait que penser de cette situation. Tant d’événements s’étaient déroulés en peu de temps et il peinait à les assimiler. Alors qu’il tentait de faire le point, des odeurs assaillirent ses narines. Intrigué, Vyrian chercha leur provenance.

Les effluves d’abord discrètes se firent de plus en plus fortes, si bien que l’image mentale du scientifique fut prise d’une quinte de toux. Pantelante, elle se redressa lentement, des larmes suintaient de ses yeux irrités. La vue brouillée, Vyrian observa la projection reprendre.

Alors qu’il s’attendait à retrouver Dallan, Fara et Dungal, il fit face à un vieil entrepôt. L’odeur qui se dégageait du bâtiment était insupportable. Vyrian avait beau tenter de l’identifier, il ne parvenait à déterminer le combustible responsable de telle infection.

Le scientifique se prit à regretter l’odeur parfumée qui imprégnait les alentours d’Alteryx. Cette pensée lui fit réaliser qu’il visionnait bien plus qu’une simple transmission satellite. Jamais une vidéo n’avait été en mesure de diffuser des informations olfactives. Vyrian s’interrogea sur le phénomène, tandis que son regard se perdait dans la fumée noirâtre qui s’échappait de la cheminée de l’édifice. Il la regarda s’élever et se mêler aux nuages ocre qui filtraient les rayons du soleil. Des retombées de cendres noircirent la toiture crénelée.

Focalisé sur la découverte de ce nouveau monde, Vyrian ne perçut pas Mère sortir de son mutisme, son avatar sursauta lorsqu’elle reprit contact.

— La transmission satellite est tout ce qu’il y a de plus standard. Il s’agit de simples images, auxquelles sont couplées des données environnementales telles que la composition chimique des éléments, la température… Pour ce qui est de leur perception, c’est moi qui vous délivre ces données, que vous assimilez à l’image observée.

Vyrian acquiesça, il comprenait à présent un peu mieux le mécanisme responsable d’une telle perception. Le scientifique devinait sans mal l’intérêt d’un tel dispositif. Plus la diffusion se trouvait immersive, plus il se sentirait concerner par le sort des mondes et son envie de leur venir en aide n’en serait que plus grande. Le biologiste ne pouvait nier la réussite du stratagème, bien que dans son cas, il ne soit pas nécessaire. Il s’était attaché à ces mondes dès l’instant, où Mère lui avait montré les premières images du Monde Mythique. La vue décrépie du Monde Historique n’y changeait rien. Bien au contraire, elle faisait naître en lui un sentiment de nostalgie. Vyrian ne se souvenait que trop bien de la faible luminosité de son monde, retrouver cette pâle clarté lui donnait une impression de déjà-vu. L’architecture des bâtiments et la pollution qui s’en dégageait ne faisaient qu’accentuer cette sensation.

Bien que la ressemblance soit troublante, Vyrian s’obligea à relativiser, ce monde n’était pas le sien. Il ne devait pas perdre de vue, les spécificités propres à chaque monde. Les règles les régissant devaient être différentes. Il comptait bien les appréhender et apporter son aide, lorsque l’occasion lui en serait donnée. Vyrian avait hâte d’en découvrir les habitants et de comprendre le lien qu’ils entretenaient avec le Monde Mythique. Seulement, il avait beau observer l’environnement, les rues restaient désertes. Il formula à voix haute ses pensées.

- Mais où sont les habitants ?

- A l’abri, chez eux.

Vyrian n’attendait pas de réponse et fut surpris d’entendre Mère. Il profita de l’occasion pour l’interroger.

- A cause de la pollution ?

- Oui.

- Si les six Exilés ont été envoyés dans les autres mondes, c’est bien pour leur éviter un tel sort ?

- C’est exact. Leurs parents ont voulu leur offrir un futur, ainsi qu’à leur peuple.

- Si eux survivent et s’adaptent à d’autres mondes, alors les habitants du Monde Historique en seront aussi capables, c’est l’idée ?

- Oui.

Vyrian était sceptique quant au protocole de cette expérimentation, tant de paramètres demeuraient incertains. A commencer par le critère caractérisant l’origine d’un habitant. Etait-ce son lieu de naissance ou bien les caractéristiques de son monde d’adoption qui prévalaient ? Y avait-il une limite d’âge, pour s’adapter à un nouvel environnement ?

Vyrian avait beau réfléchir, il ne parvenait à changer l’opinion qu’il se faisait du projet Trimondes. A ces yeux, le projet était branlant, précipité et irréfléchi. Il ressemblait beaucoup à une solution de la dernière chance. Quelles pouvaient bien être les conditions de vie du monde Mythique pour en venir à envoyer six nourrissons dans l’inconnu ?

Vyrian s’apprêta à poser la question à l’intelligence artificielle, mais son attention fut détournée par le tintement d’une bouteille en verre sur les pavés. Le déchet s’arrêta face à lui. Vyrian suivit des yeux le chemin inverse fait par l’objet. Un mouvement attira son attention. À contrejour, une silhouette se détachait de la grisaille ambiante. Un jeune homme avançait d’un pas vif, le bas de son costume trois pièces était déchiré. Le chercheur l’observa pénétrer dans le bâtiment. Intrigué, Vyrian interrogea Mère sur l’identité du mystérieux jeune homme.

— Qui est-ce ?