Chapitre 17 : Démons du passé (2)
Keenan la laissa s’approcher. Pas après pas, l’ombre s’agrandit et Axan sortit de la pénombre. Le mage le reconnut et modélisa une arme avec l’eau à sa disposition. Le liquide se souleva et atterrit dans les mains de l’Exilé qui modélisa une faux, la lame recouverte de glace. D’un ample mouvement de bras, il faucha l’air et s’arrêta à quelques centimètres du nouveau venu.
— Que me veux-tu ?
Vyrian avait beau savoir qu’Axan n’était pas influencer par ses émotions, en raison d’une grave blessure qui l’en avait dépourvu. Il admira néanmoins le calme dont il faisait preuve. Le scientifique l’observa répondre de sa voix posée, sa gorge se reflétant sur la lame de glace.
— T’accompagner.
De leur côté Keenan et Pitchi n’oubliaient pas l’accueil que leur avaient réservé les Altériens. La Textys planait au-dessus du mage prête à donner l’attaque. Quant à l’Exilé, lorsqu’il s’exprima la méfiance perçait dans sa voix.
— Pourquoi ?
Axan ne s’offusqua pas de l’attitude du mage et lui répondit.
— Parce que je veux connaitre la vérité, faire ce qui est juste, non ce qui est dicté par la politique et les querelles personnelles.
— Pourquoi t’être joint à Faric dans ce cas ?
Pour toute réponse, l’homme se contenta de lever les yeux au ciel. Vyrian comprit son inquiétude. Il se rappela la capacité de certaines personnes du Monde Mythique à voir et diffuser des informations sur des lieux alors qu’elles ne s’y trouvaient pas. Si sa mémoire ne lui jouait pas des tours, il s’agissait des Visionnaires. Le chercheur constata avec soulagement que Keenan partageait son raisonnement.
— Si tu avais peur de te faire repérer par les Visionnaires, il ne fallait pas venir me voir !
— Au contraire, j’espère qu’ils vont transmettre mon message à l’usurpateur. Je n’ai pas rejoint à Faric, j’observais simplement les événements. Je reste fidèle à Dallan et à son épouse.
— Ne me mêle pas à tes histoires !
— Nos objectifs sont les mêmes pourquoi ne pas s’associer ?
Cette fois, ce fut Keenan qui regarda le ciel. Vyrian se rappela les conditions que lui avaient imposées Faric. Le mage devait retrouver Yomi seul. C’est ainsi qu’il vit Keenan refuser l’offre de l’Altérien.
— Tu ne peux pas venir avec moi.
Mais une fois de plus, Axan avait une longueur d’avance.
— Je suis au courant. Mais vois-tu quitte à le trahir, je préfère faire les choses en grand.
Keenan sourit, fit disparait sa faux et s’approcha paume tendue vers l’Altérien qui approchait la main en réponse. Pitchi s’intercala entre les deux. Vyrian crut un instant qu’elle allait raisonner le mage, mais lorsque les deux hommes se serrèrent la main, elle voltigea autour de leurs poignets scellant leur alliance dans une trainée enflammée. Vyrian se prit la tête entre les mains, consterné par cet accord et l’irrespect des conditions de Faric. Mais à quoi pensaient-ils ? Le politicien ne manquerait pas de se venger sur Feyna. Keenan l’avait-il oublié ? Ou bien y avait-il une autre raison ?
Aux yeux du scientifique, le comportement du mage semblait incohérent, or il ne le voyait pas agir de manière irréfléchie. Il était convaincu qu’il souhaitait aider Feyna. Il ne pouvait pas la mettre en danger sans raison, il devait y avoir une explication, un lien entre lui et Axan. Mais Vyrian ne parvenait à relier les événements. Leur seul point commun était d’être en contact avec Dallan et Fara. Que pouvait bien préparer le couple à l’ombre des cachots ?
Toutes ses interrogations ne purent éviter au chercheur d’avoir peur pour la suite. Vyrian appréhendait le partenariat entre le mage provocateur, le villageois dépourvu d’émotions et la Textys survoltée. Il ne fut pas au bout de ses peines lorsqu’il vit Keenan pointer du doigt une sombre forêt. Axan parut tout aussi étonné.
— La Confrérie ?
— Tout juste. C’est là que nous allons.
— Mais tu y es recherché !
— Raison de plus, il est temps de résoudre cette histoire.
Vyrian enviait la capacité du jeune mage à assumer ainsi son passé. Lui-même en était incapable. Les remords l’entravaient. Prisonnier de ses souvenirs, il ne parvenait à s’en défaire. La Télépathie lui avait offert dans un premier temps une échappatoire. Mais, elle était peu à peu devenue son calvaire. La lassitude l’avait envahi. Pour se maintenir hors de ce flux psychique, il n’avait eu d’autres choix que de décortiquer les pensées des uns et des autres. Cette époque était à présent révolue. Pour autant, il ne se sentait pas capable de faire face à ses erreurs.
Le scientifique haïssait sa faiblesse et se méprisait pour cela. Ce sentiment empira lorsque le mage entreprit de raconter son passé. Alors que la voix de Keenan emplissait l’air, son historique s’ouvrit.
Vyrian profita de l’occasion pour comparer les dires du mage aux informations fournies par Mère. Son regard alterna entre la discussion qui se tenait devant lui et la fiche descriptive.
— Je suis, enfin j’étais le pupille du doyen de la Confrérie des Sages. Il m’a trouvé bébé devant l’entrée de l’académie. Il m’a élevé et m’a enseigné les rudiments de la magie. Les années ont passé et j’en suis venu à considérer cet homme comme mon père. Il a fait de moi ce que je suis.
Peu avant la cérémonie, je l’ai trouvé affaibli dans sa chambre. J’ai tenté d’appeler des soigneurs, mais il m’en a empêché. Malgré mes protestations, il ne tint pas compte de son état et me supplia de l’écouter.
La voix de Keen’an se brisa. Vyrian se sentit coupable. Il comparait les informations à sa disposition par peur que le mage ne mente ou n’omette des détails. Or, il se confiait en toute honnêteté. Tout comme lui, le jeune homme avait perdu un membre de sa famille. Cette similitude raviva de vieilles douleurs. Le biologiste sentit son cœur se comprimer, sa cage thoracique s’élever et des sanglots déformèrent son image mentale.
Vyrian s’obligea à se calmer lorsqu’il vit Keenan montrer le symbole sur sa main à Axan. Le jeune homme reprit ensuite ses explications après s’être râclé la gorge.
— Il voulait me parler de cette marque. A ses yeux, j’étais quelqu’un d’exceptionnel, destiné à accomplir de grandes choses. Mais qu’importe ce qu’il prédisait, je l’ai juste regardé mourir. Par peur, par lâcheté, par déni, j’ai fui, depuis je suis accusé de son meurtre. Une prime a été mise sur ma tête. J’aurai pu me rendre, mais la mort du doyen me semblait… précipitée.
Axan mit quelques temps à réagir à ses aveux.
— Tu penses que sa mort est liée à ce symbole ?
— Je n’en sais rien. Il m’a juste demandé si j’étais prêt à entrer dans la légende.
— Numyrhis ?
— Il semblerait.
Vyrian ferma l’onglet. A part quelques détails sur son enfance, Keen’an avait dit la vérité. Toujours larmoyant suite à cette confession, le chercheur eut envie de faire la sienne. Mais, une fois de plus ses souvenirs prirent le dessus.
Le scientifique se revit plus jeune. Il pique-niquait en présence de Clana. La jeune femme resplendissait. Sa surprise la comblait. Il lui avait dégoté un endroit épargné, un Eden. Malgré la joie d’être en sa présence, il avait dû s’excuser. Sa radio émettait, il devait répondre. Vyrian se vit se redresser maladroitement et ressentit le mélange d’euphorie et de honte qu’il avait éprouvé à ce moment-là.
Gourd, il s’était dirigé vers son véhicule, avait augmenté le volume de la radio. Sa bonne humeur s’envola au fur et mesure de l’écoute des pronostics. Ils ne pouvaient rester là, une tempête se préparait. Blême, il s’apprêtait à rejoindre celle qu’il aimait, mais sous ses pieds, le sol avait commencé à se craqueler. Il vit au loin Clana se redresser, elle le fixait. Il monta dans son véhicule, tenta de démarrer, impossible. Il espérait pouvoir lui envoyer le treuil, mais les commandes de la voiture ne répondaient pas. La radio ne crachait qu’un amas de grésillements.
Il prit conscience de la fin qui les attendait. Pourtant, il se refusait à perdre espoir. Il sortit du véhicule dans le but d’encourager Clana, mais nulle trace d’elle. Leur paradis s’était désagrégé.
Il lui avait tourné le dos, il l’avait abandonné, comme elle avait dû se sentir seule. Ce n’est que plusieurs jours plus tard qu’il était parvenu à retrouver son corps. Malgré cela, il n’était parvenu à faire son deuil.
Pitchi le sortit de ses souvenirs, la petite créature ne cessait de crier. L’air s’était mis à onduler et un portail s’ouvrit. Vyrian aperçut pour la seconde fois le désert de cendres. La main de Keen’an irradia, la boussole réapparut, un second point était présent. Il n’y avait plus aucun doute possible, il devait s’y rendre. Qu’est-ce qui l’attendait de l’autre côté ?
Vyrian prit peur. Contrairement à la fois précédente, le portail lui semblait différent : nocif, corrompu. Un frisson lui parcourut l’échine. Il voulut crier aux deux hommes de fuir, mais ils étaient déjà aspirés.
Pitchi tenta de sauver son compagnon. Fermement accrochée à son col, elle essayait de le tirer en arrière. La détresse de la petite créature était palpable. Vyrian se tourna vers Mère dans l’intention de lui intimer d’agir, mais pour la première fois, elle semblait hors de portée. Les images défilaient toujours devant ses yeux, mais quelque chose semblait avoir été rompu. Il ne parvenait à la contacter.
Paniqué, il observa les deux Mysticys être engloutis laissant seule la Textys.
Annotations