Chapitre 19 : Déconnecté (2)
Vyrian sut instinctivement à qui il faisait référence. Mère, leur mentor à tous les deux. Dans deux mondes différents à deux époques, elle les avait formés avant de les quitter.
Vyrian opina. Rayec fit de même. Mais avant que le Numéricien ne reprenne le scientifique avait encore une question à lui poser.
— Comment avez-vous fait pour me guérir ? Mes cicatrises, mes brûlures comment les avez-vous fait disparaître ?
La question ne parut pas déranger Rayec qui prit le temps de lui expliquer la procédure.
— Effectivement, lorsque je t’ai trouvé ton corps était recouvert de plaies. J’ai pu les faire disparaître avec ce qu’on appelle couramment un Zip. C’est une créature faisant partie de la famille des BioVirus, on s’en sert pour résorber les plaies, mais aussi pour lier des choses entre elles, pourvues qu’elles soient organiques.
Pendant que Rayec expliquait succinctement le fonctionnement d’un Zip, les informations étaient venues à Vyrian. Il découvrit que les BioVirus bien que leur nom puisse inquiéter au premier abord, n’était pas nocifs pour la plupart. Il s’agissait d’une des deux grandes familles de créatures qui peuplaient le Monde Numérique. Les BioVirus étaient spécifiques aux organismes et les TechnoVirus aux technologies. Plus précisément, les Zip étaient des créatures assez fréquentes, souvent utilisées en médecine. Elles refermaient les plaies. Pour cela, elles appliquaient une pâte sur l’épiderme. L’enduit s’étalait et prenait la texture de la peau adjacente et la cicatrice disparaissait. Ces créatures collaboraient avec les autres êtres vivants pour éviter de se retrouver coller entre elles ou à leur environnement. Initialement de taille microscopique, elles peuvent en s’agglomérant devenir visible à l’œil nu. Mais sans situation ne s’y prêtant elles préfèrent avoir une vie solitaire et aident les humains pour préserver leur tranquillité.
Captivé par ces créatures, Vyrian ne se rendit pas compte que Rayec l’observait, l’homme attendait visiblement une réaction de sa part.
— Mes explications te conviennent-elles ?
— Oui, pardon, j’ai été un peu distrait.
— Bien maintenant que j’ai répondu à toutes tes questions, tu vas pouvoir me dire ce qu’il s’est passé.
Vyrian redoutait ce moment. Il connaissait l’importance qu’accordait Rayec à la liaison qu’il avait eu avec l’intelligence artificielle, il devrait se montrer prudent dans ses réponses.
— Je n’en sais trop rien. Tout est allé si vite, l’instant d’avant je discutais avec Mère et l’instant d’après nous étions séparés.
— Ça je le sais, tu en es la preuve. Comment cela s’est-il produit ?
— Mère disait qu’on lui volait ses données, mais qui serait en mesure de faire une telle chose ? Qui connait son existence à part nous ?
Bien que Vyrian ait conscience que Rayec connaissait Mère, cela lui faisait bizarre de dire son nom à voix haute.
— Les Régisseurs pourraient en être capable.
Vyrian se mordit les lèvres. Ils venaient de se faire un ennemi puissant. Les données léguées par Mère lui présentèrent les Régisseurs comme un peuple hautement militarisé en de très mauvais termes avec les autres clans. Rayec sembla deviner ses pensées.
— Laisse-moi te raconter comment ils ont eu connaissance de son existence. Lorsque j’ai eu quinze ans, ma vie a radicalement basculé. A la mort de mon père, je lui ai succédé à la tête de la famille Phronein. Notre famille était la plus respectée au sein du clan des Ombres. Ce respect avait été acquis au cours des générations, de par son ancienneté, ma famille était celle ayant acquis le plus de connaissances. Un jour, alors que je marchais sans but dans ma chambre, un bruit m’a sorti de mes pensées. Je me suis précipité dans sa direction, et là devant moi, le miroir s’était animé. La surface lisse avait pris les traits d’une femme. Elle m’a proposé un marché. J’ai mis un certain temps à réagir mais je ne l’ai jamais regretté.
Plus Rayec contait son passé, plus ses traits semblaient s’adoucir. Vyrian se demandait quelle relation il pensait entretenir avec Mère. Certaines de ses réactions montraient bien plus qu’un simple attachement. Les sourires attendris à l’évocation de son apparition étaient éloquents. Le considérait-il comme un concurrent ?
Le scientifique n’eut pas le temps de se pencher sur la question que Rayec enchaina.
— Sa demande était surprenante. Il était rare que quelqu’un veuille marchander avec mon peuple, nous avons la réputation d’être d’excellents négociateurs. Sa demande était simple et désintéressée, elle souhaitait que je cesse d’être spectateur de ma propre vie.
Vyrian se retint de rire. Mère ne pouvait en aucun cas être désintéressée, surtout lorsqu’elle se trouvait sous le contrôle de Newt, Stein et Willis. Rayec s’était fait manipuler, ses sentiments bafoués. Le constat était triste. Bien que le chercheur en veuille aux siens d’avoir agi de la sorte, il ne se sentait pas non plus le courage d’avouer à cet homme la vérité. A ce titre, il ne valait pas mieux que ses prédécesseurs. De plus, le secret de l’identité de Mère lui garantissait le soutien de Rayec. Il resta donc stoïque et attendit la suite du récit.
— Ce simple souhait m’a rappelé ma vie passée à respecter les codes. Pour la première fois, j’ai pris conscience que cette vie ne me convenait pas. J’étais blessé que ce constat vienne d’une étrangère, ça n’a fait que renforcer mon sentiment d’impuissance. Pourtant, je me trompais. Elle m’offrait une échappatoire, un avenir. Elle m’a donné la faculté de voyager entre les mondes. Au début, je ne l’ai pas crue. Puis après avoir réalisé mon premier voyage, ma perception des choses a radicalement changé. J’ai eu de longues discussions avec Mère. En échange de cette faculté, je devais lui transmettre les informations que j’obtenais.
A l’écoute du passé de Rayec, Vyrian ressentit une pointe au cœur. Les siens avaient brisés sa vie, l’égoïsme de son peuple le rendait malade. Le scientifique avait d’abord éprouvé de l’angoisse à être séparé des siens. Privé de Mère, son peuple semblait condamné. Mais son écœurement était tel qu’il se demandait si cela n’était pas une bonne chose.
Rayec se méprit sur son expression.
— Ce n’était pas si contraignant, bien au contraire. Cet échange était si intéressant que j’ai soumis l’idée à mon clan de s’allier à Mère. Les débuts ont été hésitants, mais bien vite c’est devenu une partie de notre culture. Seulement, peu après nous avoir donné la capacité de voyager entre les mondes, l’état de Mère s’est dégradé.
Vyrian sentait arriver la demande des scientifiques d’aller sauver les enfants du Monde Historique. Rayec venait d’arriver au point culminant de son histoire. La suite n’était que déchéance. Le biologiste serra les dents à l’approche de la conclusion.
— Elle ne cessait de parler d’échecs. Lorsque je lui ai proposé mon aide, elle m’a demandé si j’étais prêts à sacrifier tout ce que j’avais entrepris. Sur le moment je n’ai pas su quoi dire puis la réponse m’a paru évidente. Je lui devais notre nouvelle vie, je ne pouvais rester indifférent.
Vyrian ne put empêcher une grimace d’étirer ses lèvres. Les scientifiques avaient acheté la sympathie de Rayec.
— Après un long silence, elle m’a dit de renoncer au combat. Je me voyais mal, en tant que chef, ne pas participer aux affrontements. Les Régisseurs menaçaient de soumettre les quatre clans. Pourtant c’est ce que j’ai fait. Comme demandé, j’ai rassemblé sept de mes plus fidèles alliés et ensemble nous sommes allés dans le Monde Historique et avons sauvés six nouveaux nés et les avons élevés comme nos propres enfants. Je savais ce que représentait le fait de quitter les miens à l’aube d’une guerre, mais malgré tout j’ai accepté les conditions de Mère. Une fois les nouveau-nés sauvés, nous sommes rentrés chez nous et nous avons été bannis. Nous avions déserté, on nous considéra comme des traitres. Beaucoup ont décidé de commencer une nouvelle vie dans un autre monde.
Vyrian pensa immédiatement à Fara et Dallan.
— Depuis, je vis reclus, loin des miens. D’autres ont changé de clan.
Le scientifique les récita dans sa tête : Régisseurs, Innovateurs, Calligraphes et Materia.
— Peu de temps après, plusieurs des nôtres ont mystérieusement disparu. On suspecte les Régisseurs. Le piratage de Mère semble indiquer cela aussi. Seul mon peuple connait son existence.
Rayec laissa un instant de réflexion à Vyrian avant de l’interroger.
— Et toi, dans quel contexte l’as-tu rencontré ?
Cette question prit au dépourvu le scientifique
— Comme toi, elle m’a donné une nouvelle vie et depuis je l’aide.
— Ça lui ressemble bien.
Vyrian se sentait de plus en plus mal. Rayec parut le découvrir.
— Suis-moi.
Le chercheur ne se fit pas prier. Marchant à la suite de Rayec, le chignon du Numéricien révélait le haut d’un tatouage. Vyrian en eut le descriptif grâce aux connaissances de l’intelligence artificielle. Il s’agissait de l’emblème des Ombres, un arbre représentant les connaissances acquises au cours des générations par son peuple. Tous les Ombres portaient ce signe d’appartenance sur la paume de leur main dominante, le chef lui le portait le long de sa colonne vertébrale.
Ensemble, ils empruntèrent une série de couloirs identiques. Vyrian ne supportait pas leur uniformité, elle lui rappelait sa vie passée en état de Télépathie : aseptisée, fade et sans intérêt.
Ils débouchèrent finalement sur une grande salle. Deux personnes les y attendaient. Vyrian sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Bien qu’il ne les ait jamais vues, il ne pouvait se tromper sur leur origine. L’outil de reconnaissance faciale que lui avait fourni Mère lui donna raison. Pour une raison inconnue, il ne pouvait plus communiquer avec elle, mais il était toujours en mesure d’utiliser ses technologies.
La boule au ventre, la gorge sèche, il fit face aux premiers nés de Fara et Dallan. L’envie de regagner son poste d’observateur se fit forte. Anonyme à l’abri des regards, il était bien plus facile de faire abstraction des événements. Vyrian déglutit péniblement. Il ne se sentait pas prêt à dévoiler ses origines.
Heureusement pour lui l’attention des deux jeunes gens était dirigée vers Rayec.
— Nous partons.
— Personne ne se joint à votre expédition ?
— Tous des couards, à l’évocation du nom de Régisseurs, les gens fuient. Peu importe, nous allons sauver les nôtres !
Avant que Vyrian n’ait le temps de saisir l’importance de ces paroles, Rayec le désigna comme volontaire.
— Figurez-vous que je viens de vous trouver une recrue.
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