Chapitre 24 : Divergences
Passé l’effet de surprise, Nick se pétrifia. Le scientifique vit son regard analyser la scène. Il se focalisa sur les corps, suivit les traînées ensanglantées, parvint aux flaques à ses pieds puis à l’arme du crime et enfin à ses mains poisseuses.
Vyrian voulut s’expliquer. Les mots se bloquèrent dans sa gorge. Nick le fixa, la tristesse se lisait dans son regard. Le biologiste sentit son sang bouillir dans ses veines, son cœur battre frénétiquement. Il avait beau assumer son geste. Le regard de l’Historian le mettait mal à l’aise. Il lui avait proposé son aide et il l’avait refusé. Il attendit avec angoisse les reproches du jeune homme, mais il n’en fut rien. Après avoir péniblement dégluti, il se focalisa sur la situation actuelle.
— Que fait-on ?
Vyrian aurait aimé pouvoir lui répondre, mais il ne parvenait à détacher son regard de l’avant-bras de sa première victime. Il avait tenté de l’opérer et n’avait rien pu faire. Ses facultés de raisonnement semblaient l’avoir quitté quand le cœur du prisonnier avait cessé de battre. Jusqu’à ce que la voix de Dinaïn, le sorte de sa torpeur.
— Ressaisissez-vous ! Si vous souhaitez survivre, vous serez encore amené à tuer !
Vyrian avait conscience de cela, mais il ne se sentait pas mieux pour autant. La culpabilité le rongeait. Les prisonniers souhaitaient mourir, il avait exaucé leur souhait, mais il peinait à accepter leur mort. Il ressentait encore le poids de l’arme dans ses mains, le contact de la gâchette et la pression qu’il avait exercé. Ses bras en tremblèrent.
Des mains enserrèrent ses poignets et ses spasmes cessèrent. Vyrian tourna la tête et découvrit le visage de Nick. Alors que le scientifique s’attendait à être critiqué, l’Historian le rabroua.
— Reprenez-vous ! Vous ne voulez plus qu’une telle chose se reproduise ? Alors, battez-vous !
Vyrian demeura interdit devant la détermination du jeune homme. Il le revit foncer chez Ywan, changer de monde avec Feyna et se jeter sur le geôlier. Il ne faisait aucun doute, il était impulsif. Pourtant, le scientifique devait reconnaître qu’il ne faisait pas face au même homme. Son emprisonnement semblait l’avoir endurci. Le chercheur se rappela l’amitié qui semblait lier Nick au Régisseur, Vyrian soupçonnait Dinaïn de ne pas être étranger à son évolution. L’Exilé semblait lui avoir appris à gérer les événements. Ainsi dans l’urgence de la situation, Nick avait été obligé de remettre ses questions au sujet de l’hybride à plus tard. La savoir en vie lui suffisait. Vyrian ne doutait pas que dès que le moment serait plus opportun, il reviendrait à la charge.
Dinaïn s’approcha de l’Historian et le félicita d’une tape sur l’épaule, le faisant gémir.
— Bien parlé ! On finira p’te par faire quelque chose de toi !
Cette complicité mit du baume au cœur au chercheur, tant de choses reposaient sur ses épaules, mais cette vision lui donnait une raison supplémentaire de se battre.
Vyrian se remémora le remerciement de la dernière Ombre. Ce simple mot lui apporta à la fois chagrin et réconfort. Il nourrit sa motivation de ses émotions. Un contrat le liait à Mère, comme convenu, il sauverait les trois mondes, pour réparer ses erreurs, mais aussi pour éviter que de telles scènes ne se reproduisent. Le biologiste mémorisa leurs visages. Leur vue fit bondir son cœur dans sa cage thoracique, mais il ne détourna pourtant pas le regard. Il les observa attentivement, des pieds à la tête en s’attardant sur leurs expressions et se redressa. Dinaïn, averti par le froissement de ses habits lui jeta un coup d’œil. Il lui fit un hochement de tête approbateur, entre temps, il s’était posté devant l’entrée, prêt à intervenir.
Les bruits de pas se rapprochaient, les voix se faisaient plus distinctes. Dinaïn plaça sa main sur la surface lisse du mur. Sa peau commença à se transformer. Vyrian le stoppa.
— Laisse-les entrer.
— Des connaissances Doc ?
— En quelque sorte.
Interloqués, Nick et Dinaïn le dévisagèrent. Contre toute attente, le soldat obéit, libéra le passage et se tapit contre le mur, Nick fit de même, de l’autre côté. Les deux hommes se tenaient prêt à intervenir.
Alors que les secondes s’égrenaient, des ombres se profilèrent à travers l’embrasure des portes. Vyrian entendit la clenche s’abaisser et peu à peu, l’espace fut suffisant pour laisser entrer les nouveaux venus. Une voix chantante s’éleva du groupe. Grâce à l’analyse du spectre sonore, Vyrian reconnut la voix de Saern, un résistant.
— C’est ici que sont enfermés les Ombres qui ont tentés de tenir tête au Capitaine.
Le guide pénétra dans la pièce et écarquilla les yeux devant la scène qui lui faisait face.
— Enfin… Qu’ils étaient retenus prisonniers.
Kayle, impatient se fraya un passage.
— Comment ça « étaient » ?
L’Ombre s’arrêta à son tour. Vyrian le vit entrouvrir la bouche et la refermer, sous le coup des émotions son expression se déforma. De là où il se trouvait le scientifique pouvait voir la haine dans son regard. L’Ombre n’avait pas mis longtemps à faire le lien entre l’arme à ses pieds et les corps inanimés. Surprise par son arrêt, sa sœur le bouscula. Ce choc lui donna l’élan nécessaire pour s‘approcher du scientifique. Dezaël entra peu après. Un sifflement filtra à travers ses lèvres.
— C’est l’hécatombe ici !
Kayle se rua sur Vyrian et lui empoigna le col.
— Et ça ne fait que commencer !
Vanea qui découvrait la scène voulut le retenir son frère.
— Kayle, attend !
— Attendre quoi ? D’être les prochains à être tués ?
Il se tourna vers Vyrian, la colère faisait trembler sa voix.
— Que n’avez-vous pas compris dans le mot « sauvetage » ?
— Etre en vie ne signifie pas être sauvé.
— Bien sûr que si ! C’est la définition même du terme !
Dezaël les interrompit, leur faisant remarquer la précarité de leur situation.
— Bah allez-y gueulez plus fort, que toute la garnison puisse assister à vos joutes verbales !
La remarque du jeune homme fit mouche et les deux hommes se calmèrent. Vyrian profita de l’accalmie pour faire lâcher prise à Kayle et le conduire auprès des siens.
L’Ombre faisait à présent face aux corps, il pouvait sentir leurs effluves. Vyrian était déterminé à faire comprendre au jeune homme sa méprise.
— Regarde-les ! Et ose me dire que la mort n’était le sort le plus charitable que l’on puisse leur offrir !
— Vous n’aviez pas le droit !
Tel un barrage qui venait de céder, Vyrian se laissa emporter par le flot de ses émotions. Cela faisait trop longtemps, qu’il ne pouvait les exprimer.
— Pas le droit ! Ils m’ont supplié !
— La torture a pu leur faire perdre la tête !
Une nouvelle secousse coupa le courant, les plongeant temporairement dans l’obscurité. Alors que l’éclairage revenait peu à peu, Dinaïn s’adressa à Saern.
— Heureusement que la résistance est là pour couvrir nos arrières.
— C’était le deal ! Par contre, on ferait mieux de ne pas s’attarder, cette épave n’en a plus pour longtemps.
Vyrian se mordit les lèvres, se laisser emporter ne lui ressemblait pas. Il relâcha Kayle, mais le jeune jeune semblait toujours prêt à en découdre. La situation ne pouvant plus durer, Vanea intervint.
— Kayle arrête, ça devient ridicule !
La jeune femme glissa un regard vers l’entrée avant de reprendre.
— Et dangereux.
Voyant que son frère ne réagissait pas, elle insista.
— Kayle, c’est fini. Récupérons les données et partons.
— Non…
Bien que ses phrases n’aient pas l’effet escompté sur son frère, elles firent réagir Vyrian. Quoiqu’ils disent le sort des prisonniers étaient immuables, ils étaient morts et rien n’y changerait. Le scientifique finit de reprendre le contrôle de ses émotions et parla d’une voix qui se voulait calme à Nick.
— Souviens-toi, Ombres, Régisseurs, Matéria, Innovateurs, Calligraphes. La douleur est universelle.
Le scientifique hésita un instant avant de reprendre.
— Je sais ce que représentais pour toi cette mission.
— Non, vous ne savez rien !
Dezaël qui observait le couloir, réintervint. Vyrian se mit également à fixer les haut-parleurs, il espérait que le bruit de l’alarme suffise à cacher leur présence. La voix de l’Ombre, le fit sursauter.
— Kayle ! Arrête tes conneries !
— J’en ai marre de vos jugements. Je me suis lancé dans ce sauvetage, par vocation, pas par intérêt personnel ! Je vous vois me juger ! J’ai agi pour les sauver, pas pour rentrer dans les bonnes grâces de notre peuple !
Vanea tenta une fois de plus d’apaiser son frère.
— Kayle …
— Non Vanea. Je vois comment tu me regardes. Pendant que j’essayais de recruter des gens pour cette expédition, tu me fixais avec pitié. Contrairement à toi, je ne me suis pas désintéressé des miens ! C’est pourquoi je compte bien venger leur mort !
Alors que Kayle récupérait le pistolet au sol, dans le but de faire regretter son geste à Vyrian, Nick le devança. Il ramassa le scalpel encore taché du sang des prisonniers et le planta dans le bras de l’Ombre, devant le regard stupéfait des autres.
Dans cette agitation, seul Saern distingua les Infovirus qui s’extirpaient des corps, attirés par la blessure fraiche de Kayle. Son sang goutait sur le sol, tel le compte à rebours avant l’affrontement qui aurait lieu.
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