Sethys était assise sur le muret de pierres, au coin de la terrasse. Ses pieds battaient la roche au rythme de son ennui, tandis que son regard scrutait son nouvel environnement. En dessous d’elle, la petite prairie s’étendait en pente douce jusqu’au chemin d’accès dont le tracé caillouteux se perdait sous les marronniers. Les frondaisons des grands arbres formaient une voute au-dessus, le maintenant dans une pénombre rafraichissante. Le versant de montagne qui surplombait le chemin était rayé de restanques à demi-éboulées, que les fougères tentaient de recouvrir de leurs grandes plumes vertes. Et partout au-delà, le bois de feuillus étendait ses doigts vert tendre en une dense forêt giboyeuse.
L’herbe de la prairie peinait à pousser, jaunie par le soleil. Quelques plantes épineuses se dressaient çà et là, indifférentes à l’étouffante chaleur de la fin d’été. La végétation allait croissant et verdissant à mesure qu’on se rapprochait du cours d’eau qui cascadait en contrebas de la prairie, et était même foisonnante sur les bordures abruptes du ruisseau. Les baies qui abondaient sur les ronces envahissantes seraient sans doute bientôt mûres.
Sur le rivage d’en face, en lisière de forêt, la broussaille avait fini par être disciplinée et avait laissé place au potager bien ordonné de Ruben. Des taches colorées trahissaient la présence des légumes qu’il l’enverrait sûrement cueillir avant la fin du jour. Une clôture de bois enserrait le jardin dans un vain effort pour tenir à distance les cochons sauvages, autant que pour retenir la végétation qui cherchait à tout envelopper.
Les yeux de Sethys se perdirent à l’horizon. La vallée s’étendait au sud à perte de vue. La forêt recouvrait tout, aussi loin que se porte son regard, à l’exception du piton rocheux qui pointait au-dessus du vert, arborant fièrement son château imprenable. Elle n’avait aucune idée de la distance qui l’en séparait. D’ici, la bâtisse ne se distinguait que dans la lumière déclinante de la fin d’après-midi ; elle la voyait mieux depuis son ancienne maison. Une pointe amère la transperça à cette pensée. De petites taches claires témoignaient de la présence des villages, sans qu’elle sût lequel était son hameau d’origine, là où ses parents poursuivaient leur vie sans elle. Si son cœur n’avait pas été une pierre lourde et glacée, elle n’aurait pas manqué de remarquer le dégradé de vert qui finissait par se fondre dans le bleu pâle du ciel à l’horizon.
Ruben l’appelait. Elle se retourna avec un soupir. Sans être réellement accueillante, la maison de pierre grise, bâtie à flanc de montagne, offrait une fraîcheur bienvenue à cette saison. Mais juste au-dessus, en amont, c’était une forêt de résineux qui la dominait de toute sa hauteur, qui dressait ses immenses sentinelles comme une muraille impitoyable. Sethys se sentait oppressée par leur taille chaque fois qu’elle levait la tête vers les cimes. Elle n’avait pas osé s’aventurer dans le sous-bois, que le soleil n’atteignait jamais. Une angoisse irrationnelle d’enfant la saisissait à l’idée de fouler le sol couvert d’épines du bois dont elle pouvait presque palper la malveillance.