Josie est dans cette tranche d'âge un peu floue, entre 70 et 80 ans.

Elle habite un duplex dans le quartier Friusa de Punta Cana, rare zone de cette ville non envahie par les touristes.

Elle est arrivée il y a vingt ans, abandonnant derrière elle son travail et sa vie citadine.

Après avoir passé plusieurs mois à échanger avec son avocate, pour en finir avec son maudit divorce, elle avait traversé l'océan sur un coup de tête, comme une façon de noyer le passé.

Au bout de quelques réunions, le groupe d'Orphéotélestes découvre, à travers un article de Josie, un ouvrage dont ils ignoraient l'existence : Orphei Argonautica ou Argonautiques Orphiques, poème sur le mythe des Argonautes, qui aurait été écrit par Orphée.

L'autrice, ancienne doctorante en Langues et Littératures anciennes, avait dédié sa thèse à la vie et au mythe d'Orphée.

À partir de son nom, ils retrouvèrent une adresse, mais rien de plus. Aucune autre trace d'elle sur internet. Impossible de la contacter, même après avoir questionné le journal qui avait publié son article.

Sur un pari très risqué, Jude, notre nouvel arrivant et Estée décidèrent de décoller direction la République Dominicaine, pour aller à la rencontre de cette détentrice de savoir.

Bien sûr, c'était aussi l'occasion pour eux de s'accorder des vacances.

Ils emportèrent, dans leurs bagages, le résumé des recherches menées jusque là, avec les interrogations qui persistaient autour d'Orphée.

Après avoir déposé leurs affaires à la consigne de l'hôtel, réservé à deux pas de l'adresse de Josie, ils partirent visiter les alentours.

Toujours incertains de la personne qu'ils allaient rencontrer, ils repoussaient un peu le moment de la confrontation.

Leur démarche brisait les convenances, traverser la moitié du globe pour questionner une dame dont on ne connaît rien et qui, surtout, n'aurait peut-être pas envie de les recevoir.

Mais cet ouvrage était l'une des clefs de voûte de leurs travaux, ils le sentaient et pour pouvoir avancer, ils avaient justement besoin d'en connaître les interprétations possibles.

L'atmosphère, ici, était fascinante, calme, comme suspendue dans le temps, mais à la fois vivante.

C'était suffisamment silencieux pour entendre le bruit porté des vagues, mais entrecoupé par la danse des babioles, suspendues aux balcons des locaux, qui tintinnabulaient au rythme du vent.

D'un quartier à l'autre, le paysage alternait entre cabane sur pilotis, maison coloniale avec girouettes en forme de colombes, ou tranches d'immeubles modernes et détestables.

Josie logeait au-dessus d'une librairie-antiquaire qui ne semblait pas voir beaucoup de clients.

Pas d'interphone, il fallait passer par la réserve de la boutique. Le commerçant eut l'air surpris.

Il cria dans l'escalier pour informer sa voisine de la visite.

Une fois en haut des marches, elle les attendait sur le seuil, dans une tenue digne des années 50, tirée à quatre épingles, une grosse chevalière octogonale à l'annulaire.

Elle les invita tout de suite à entrer, mi-curieuse, mi-polie.

Sa décoration était le prolongement de son style vestimentaire rétro : canapé en velours brun, rocking-chair, dominance de bois.

Sa bibliothèque-bureau était assurément sa pièce phare. D'épais meubles vernis, doublés à l'intérieur de feutre pourpre, sur lequel reposaient des centaines de livres.

Mais le lieu était loin d'être austère. Les murs étaient habillés de grandes photos en noir et blanc, capturant des corps entremêlés, des femmes enlacées, plongées dans le monde de leurs désirs. Une véritable ode à l'homosexualité.

Et là, centre de gravité de la pièce, derrière le bureau, pile au milieu de l'étagère centrale, captant toute la lumière, l'imposant manuscrit.

Sur sa couverture, une illustration du passage sur l'île de Lemnos, là où le premier pentathlon fut organisé pour les Argonautes, ancêtre éloigné de notre actuel décathlon.