J’ai vécu une vie remplie de honte.

Mais la chose dont j’ai le plus à rougir aujourd’hui, à l’aube de quatre-vingt-deux ans est celle-ci : une histoire de verre d’eau, d’or et d’orgueil.

L’orgueil d’une jeune fille de vingt ans.

Un matin de décembre 1975, je parcourais le journal. Nous étions en hiver et la restriction imposait une diète complète à tous les habitants de la capitale.

Toute femme, ou homme dépassant les 80 kilos sur la balance devait perdre cinq kilos, peu importe sa taille. C’était inique, mais cette extrémité était la seule solution trouvée par le gouvernement pour éviter les émeutes et les files d’attente interminables aux portes des supermarchés de Londres.

Je mourrais littéralement de faim. Je pesais 83 kilos mais pour mon mètre 80 ce n’était pas vraiment choquant, du moins avant la guerre. A présent, je me serais damné pour un croissant au beurre fondu accompagné de praline.

Mais il y avait une denrée bien plus rare que la farine, la levure ou même l'avoine : c’était l’eau.

Le quotidien du jour, imprimé dans du papier une centaine de fois au moins recyclé, promettait une récompense pour toute personne retrouvant le verre d’eau en or de la reine.

Celui-ci avait disparu lors de la soirée d’inauguration de la grande exposition des dernières œuvres de Van Gogh retrouvées chez un collectionneur décédé. La famille en avait fait don à la Couronne et une grande soirée avait été donnée à Buckingham Palace, la veille au soir.

Lors du repas, la reine avait tourné la tête quelques secondes en direction de la petite fille du collectionneur, pour la saluer, et c’est à cet instant précis que son précieux breuvage avait été subtilisé par un garde du corps.

Triés sur le volet, les gardes de la sécurité de la famille royale n’étaient en rien exemptes de tout défaut : le pire d’entre tous, celui qui sévissait actuellement dans les couloirs du palais, était le vol.