Episode 3
Matthieu sortit du magasin, satisfait d’avoir trouvé ce qu’il cherchait. À cet instant, son téléphone, un Smartphone de dernière génération, sonna. Malgré de faibles revenus composés essentiellement de sa bourse, il réussissait toujours à s’acheter les dernières nouveautés technologiques. Heureusement pour lui, sa sœur le dépannait souvent lors de ses nombreuses fins de mois difficiles.
Croyant à un coup de fil, le jeune homme consulta l’écran et aperçut qu’il s’agissait d’un simple rappel. Il était invité à l’anniversaire de sa sœur.
— Merde ! jura-t-il à voix haute. J’avais oublié ! Et je n’ai rien acheté…
Après un regard vers ce qui lui restait d’argent, fortement diminué après l’achat de la peinture, il décida d’appeler la principale intéressée.
— Claire, salut. C’est Matthieu. Comment ça va ?
Claire qui venait tout juste de rentrer chez elle, après une perte de temps considérable dans les embouteillages, était très pressée.
— Je vais bien. Que veux-tu ? demanda-t-elle expéditive.
— En fait, je n’appelle pas pour moi, mais pour toi, rassura Matthieu.
— Pour moi ?
La jeune femme fut surprise. Elle n’avait pas l’habitude que son frère se soucie d’elle.
— Oui. J’aimerais savoir ce que tu veux pour ton anniversaire.
— Tu ne cherches que maintenant ? reprocha Claire, reconnaissant mieux son frère dans ce comportement.
Elle avait demandé à ses invités de ne rien lui acheter, mais son frère faisait exception. Depuis qu’elle élevait Matthieu, Claire lui avait toujours offert le meilleur, en endossant le rôle de parent, et elle attendait un minimum en retour. Ce dernier essayait de la satisfaire dans la mesure de ces moyens, qui se révélaient souvent faibles, dues aux dépenses importantes qu’il engageait dans des gadgets dont elle ne comprenait pas grand-chose.
— Euh… bafouilla le jeune homme, mal à l’aise, j’ai déjà pas mal regardé, mais rien ne me plaît.
— Oh, je n’en sais rien. Prends-moi ce que tu veux.
— Tu es sûre ? Tu n’as rien besoin de particulier ? Ça peut être très simple. N’oublie pas que c’est l’intention qui compte, argumenta Matthieu à court de liquidités.
Claire n’avait pas le temps de discuter sur le choix d’un cadeau. Sentant qu’il lui serait difficile de se débarrasser de son frère, et ayant encore beaucoup à faire, elle finit par lancer :
— Écoute, si tu veux me faire plaisir, achète-moi un livre. Tu sais que j’adore dévorer un bon roman !
La jeune femme aimait beaucoup lire, au contraire de son jeune frère. De huit ans son cadet, Matthieu et elle avaient des goûts très différents.
— Va pour un livre, approuva Matthieu, faisant semblant de se réjouir. As-tu une préférence ?
— Si tu continues avec tes questions, je vais acheter mon cadeau moi-même, ce sera plus simple !
— Bon j’ai compris, je vais faire un tour dans la librairie du coin.
— Fais comme tu veux, mais sois là à vingt heures précises ! rappela Claire.
***
Campus de l’université - 18h45
Matthieu raccrocha. Il n’avait aucune envie de passer du temps sur le cadeau de sa sœur. D’autant que son budget était désormais très limité. De plus, les fois où il était entré dans une librairie se comptaient sur les doigts d’une main. Ses penchants l’incitaient davantage vers des boutiques de jeu vidéo ou de matériel informatique. Absorbé dans ses réflexions, il heurta violemment un panneau. Après avoir lâché un juron, il contempla l’inscription.
TOUT L’ÉTÉ,
VENEZ VENDRE ET ACHETER VOS LIVRES D’OCCASION
À LA BROCANTE DE L’UNIVERSITÉ
Du 21/06 au 21/08
PLACE DESCARTES
& BATIMENTS DE PHYSIQUE
Matthieu se réjouit de cette aubaine. Des centaines de livres d’occasion l’attendaient. Il ne restait plus qu’à en trouver un, pas trop cher, en bon état et susceptible de plaire à sa sœur. Il arpenta les allées, et trouva rapidement l’endroit de la brocante, au vu du bruit ambiant. Chose étrange, les livres de littérature classique étaient regroupés dans les nouveaux bâtiments de physique, récemment construits.
Matthieu pénétra dans la première salle de classe. À en juger par les éléments, il devait s’agir d’une salle de travaux pratiques. Une grande étagère, où trônaient de nombreux instruments de mesure, parcourait toute la longueur de la pièce.
Le jeune homme avança et fut content de trouver un grand nombre de livres. Après avoir feuilleté certains exemplaires en bon état, il regarda autour de lui et constata qu’aucun prix n’était affiché. Il interrogea le premier vendeur :
— À combien vends-tu ces livres ?
— Ils sont tous à sept euros.
Matthieu fit la grimace. Il ne possédait pas les sept euros, et avait l’espoir de trouver moins cher. Il continua de regarder les étals suivants, mais à chaque fois, la réponse était la même. Rien n’était vendu à moins de sept euros.
Matthieu continua son tour et s’approcha d’une table un peu branlante.
— Dans le commerce, tu les trouveras bien plus chers, argumenta Julien, l’étudiant qui revendait son stock, enchanté d’avoir un client. Et je peux te garantir qu’ils seront au programme de l’année prochaine.
— Ça m’est égal qu’ils soient au programme, expliqua Matthieu en haussant les épaules. Je suis étudiant en informatique de toute façon.
— Que fais-tu là dans ce cas ? s’étonna le vendeur.
— Je cherche un cadeau pas cher, avoua Matthieu, espérant qu’entre étudiants fauchés, son interlocuteur ferait un geste.
— Si tu veux, j’en ai quelques-uns qui ont été déprogrammés. Je ne les avais pas proposés à la vente, car je ne pensais pas pouvoir m’en débarrasser. Si tu es intéressé, je te les propose à deux euros.
— Ils sont en bon état ? interrogea Matthieu, séduit par le prix.
— Juge par toi-même, montra Julien en sortant les livres.
Matthieu consulta les quelques ouvrages proposés, mais sa connaissance en littérature était très faible.
— Lequel me conseilles-tu ? Je n’y connais rien du tout, confessa le jeune homme.
— À qui veux-tu offrir le cadeau ? questionna l’étudiant proposant les livres.
— À ma sœur. Elle fête ses vingt-huit ans.
— Sais-tu ce qu’elle aime lire ?
— Euh… pas vraiment, avoua Matthieu. Je crois qu’elle lit un peu de tout.
— Dans ce cas, celui-là devrait lui plaire. L’histoire est bien construite, et apporte un débat intéressant. Il n’est pas difficile à lire. C’est d’ailleurs à cause de sa facilité qu’il a été retiré du programme. Même toi, tu pourrais, plaisanta l’étudiant.
— OK. Je le prends, accepta Matthieu, en tendant les pièces de monnaie.
— Par contre, je n’ai pas de papier cadeau, s’excusa Julien, mettant l’argent dans sa poche d’une main, l’autre restant appuyée contre la table branlante.
— Ce n’est pas grave, rassura Matthieu, en ouvrant le sac qu’il avait gardé depuis son dernier achat. Je lui donnerai comme ça, elle a l’habitude.
— Je dois aussi te donner quelques prospectus, ajouta le vendeur, en montrant un tas de feuilles. L’université nous y oblige pour toute vente. Il s’agit du détail des programmes et des associations littéraires sur le campus. Pas sûr que ça t’intéresse, vu ta spécialité, mais on ne sait jamais…
— Ça marche, approuva Matthieu, impatient d’en finir.
***
Bâtiments de physique - Université Descartes - 19h
La cloche de l’église la plus proche venait de sonner dix-neuf heures. Matthieu, prenant l’ouvrage acheté, ne remarqua pas un vieux carnet bleu azur très usé, orné d’une fleur de lys blanche à moitié effacée sur la couverture, qui ne s’y trouvait pas la seconde précédente. Posé en partie dans le vide, et en partie sur la table en équilibre instable, il était sur le point de chuter. Le vendeur attrapa une grosse pile de publicités, et une carte de la brocante sur laquelle il griffonna le nom de l’ouvrage acheté par Matthieu et ses coordonnées. Ce faisant, il souleva sa main restée appuyée contre la table branlante. Ce geste eut pour effet de faire basculer complètement le vieux carnet. Le mystérieux calepin bleu tomba dans le sac ouvert de Matthieu sur le flacon de peinture mal refermé, juste avant que le jeune homme n’y dépose à l’aveugle, les flyers sans intérêt, les coordonnées du vendeur, et le cadeau de sa sœur.
***
Appartement de Claire - Toureuil - 19h
Déjà dix-neuf heures !
Claire pesta. Elle avait l’impression de n’avoir rien fait depuis son retour du centre commercial. À peine rentrée, son frère l’avait appelé pour savoir ce qu’elle désirait comme cadeau.
Comme toujours, il s’y prend au dernier moment…
À la mort de ses parents dans un accident d’avion une décennie plus tôt, et n’ayant pas d’autre famille, elle avait dû prendre, à dix-huit ans, la lourde responsabilité d’élever seule son jeune frère, alors âgé de dix ans. Bien que ce fût déjà une jeune femme studieuse, cet évènement avait changé sa vie. Elle avait dû jongler entre ses propres études et l’éducation de Matthieu. À force de travail, elle avait réussi à obtenir son DEASS et à passer les concours d’entrée à la mairie. En parallèle, elle avait suivi de près les résultats de son frère. Aujourd’hui, l’obtention de sa bourse pour faire des études d’informatique l’emplissait de fierté. Sans ça, il lui aurait été impossible d’assumer les frais de sa scolarité.
Cela faisait maintenant deux ans que Matthieu avait quitté le foyer familial, mais Claire avait l’impression qu’il n’était parti que depuis quelques semaines. Au début, elle passait souvent afin de lui apporter des plats faits maison, ou pour nettoyer et ranger son studio, car le ménage n’avait jamais été le point fort de son frère. Cependant, ces derniers mois à cause de sa surcharge de travail, elle avait laissé Matthieu se débrouiller seul plus souvent. Malgré tout, elle continuait de venir l’aider de temps en temps. Elle ne pouvait pas se résoudre à lui laisser une totale indépendance.
L’horloge venant de sonner dix-neuf heures, il lui restait une heure pour finir ses préparations, les dresser et s’habiller, avant l’arrivée de ses invités. Autour d’elle, la cuisine faisait triste mine : un tas de saladiers, casseroles, ustensiles de cuisine et ingrédients étaient sortis, mais elle n’avait quasiment rien commencé.
Je n’aurai jamais fini à temps !
Il ne lui restait plus qu’une solution : appeler sa meilleure amie à la rescousse.
— Salut Magda, c’est Claire, commença-t-elle, mettant le téléphone sur haut-parleur, tout en continuant de cuisiner.
— Salut Claire. Comment ça va ? Tu…
Lui coupant la parole, Claire reprit :
— Écoute, j’ai un grand service à te demander. J’avais prévu de cuisiner pour mon anniversaire ce soir mais je n’aurai jamais fini à temps. Es-tu disponible pour me donner un coup de main ?
— Oui, bien sûr. Je suis sortie du boulot tôt pour me préparer pour ta soirée. Si c’est nécessaire, je peux écourter. Quand veux-tu que je vienne ?
— Tout de suite si tu peux… supplia Claire d’une petite voix.
— Tout de suite ? OK, si tu as besoin de moi, j’arrive. Je me changerai chez toi. Je serai là dans cinq minutes.
Remerciant son amie, elle raccrocha et poursuivit son travail. Cinq minutes plus tard, Magdalena arriva, sa tenue de soirée sous le bras.
Claire ouvrit la porte, ses longs cheveux châtains en bataille, recouverts de farine.
— Tu as l’air en nage, constata Magda.
— Merci d’avoir fait si vite.
Posant ses affaires sur le canapé, Magdalena se dirigea vers la cuisine.
— Quelle est la situation ?
Claire lui résuma ce qu’elle comptait cuisiner et l’état de son avancée.
— Tu as vu beaucoup trop grand, comme toujours ! lui reprocha gentiment son amie. Même à deux, j’ai peur qu’on ait du mal à tout finir.
***
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