4 - Underwater
Il prend sa respiration et, tout en douceur, se laisse couler. Dans un premier temps, le tourbillon confus de ses pensées le poursuit, tempête noire qui brouille son esprit et déchire son âme à chaque éclair. Puis le calme s'installe, comme le silence, comme à chaque fois. Il a toujours aimé l'eau, depuis son plus jeune âge, amour qui n'a fait que grandir au cours des années, tant et si bien que maintenant, il a l'impression de ne se sentir lui-même que lorsqu'il est immergé ainsi, yeux clos, la douce caresse du liquide contre sa chair. Son corps ne le fait plus souffrir, ce n'est plus qu'une masse informe qui se mêle doucement au liquide, il est l'eau qui l'entoure, son esprit se diffuse à chaque battement de son cœur dans cette nouvelle chair aqueuse, se dispersant de plus en plus, il se dissipe, se dilue peu à peu.
Tout doucement, il ouvre les yeux. La surface est si proche et si loin à la fois. Le monde extérieur n'est qu'un flou distant, son bruit et ses tourments ne l'atteignent plus. Aucune voix moqueuse, personne ne l'agresse… il ferme de nouveau ses paupières, chassant ces pensées noires. Malgré lui, il se rappelle des rires moqueurs, aujourd'hui, à la piscine. Il ne peut jamais les éviter, tout comme ces regards… il frissonne intérieurement. Son amour de la natation disparaît de plus en plus, au cours du temps, bien malgré lui. Il a beau se dissimuler sous l'onde, noyer ses craintes par l'effort, couler ses soucis chaque fois qu'il replonge en apnée, dès lors qu'il sort du bassin, il ressent l'effroyable pression du monde extérieur, qui se plante dans sa peau comme des milliers de hameçons, chacun tirant sur sa peau, son maillot…
Alors que la pression de l'eau est si apaisante. Lorsqu'il se laisse aller jusqu'au fond, tombant doucement en laissant s'échapper quelques bulles vers la surface, il ressent son étreinte de plus en plus forte, tambourinant sur ses tympans. Une fois le dallage atteint, il savoure toujours pendant quelques instants cette force sur lui, cette pression qui écrase son corps, mais avec indifférence, sans jugement, sans chercher à le réduire à ce qu'il n'est pas, ne pourra jamais être. Parfois, il se sent presque refaçonné par la masse aqueuse, et il se dit qu'un jour, il partira en voyage, loin, très loin, ira nager jusqu'au fond de l'océan, tombera comme une ancre, et que là, enfin, son corps sera broyé, réduit à rien, simplement son essence, et que lorsqu'il remontera, cette chair maudite redeviendra enfin la sienne, telle qu'elle aurait toujours dû être, il sera parfait et magnifique…
La douleur caractéristique dans sa poitrine le ramène de sa rêverie. Il sent la panique venir, terreur primale qui l'agrippe d'un coup, instinct qui se rebelle pour le ramener à son monde, celui de la surface. Mais il a appris à le contrôler, laissant s'échapper quelques bulles, comme un compromis : voici une part de mon souffle et de mon âme, que je vous laisse, quant à moi, je reste ici bas… Mais le monde ne l'entend pas ainsi, et ses poumons non plus : ils réclament de l'air, plus, encore, ils brûlent, et il sait que même si il s'acharne, il se trahira lui-même, sa poitrine en feu le poussera vers cette lumière si détestable, où tout est trop clair, trop net. Il s'acharne pourtant, arrachant chaque seconde, mais déjà il flotte jusqu'à la surface, ses bras s'agitent par réflexe, ses mains se crispent, et il jaillit de l'eau en avalant une gigantesque goulée d'air.
Il inspire et expire plusieurs fois, à toute vitesse, savourant bien malgré lui l'oxygène si précieux. Il envisage de retourner sous l'eau, juste quelques seconde de plus, ce n'est presque rien, mais une voix perçante bien qu'étouffée l'en dissuade :
« Léa, ma chérie, tu as fini ? Il va bientôt être l'heure de dormir !
- Oui, c'est bon maman ! »
Serrant les dents, il sort de la baignoire, évitant autant que possible de croiser son reflet dans le miroir. Il se sèche alors que l'eau s'écoule en glougloutant, met son pyjama, se lave les dents en détournant les yeux. Il repose proprement la serviette sur son étendoir, et va jusqu'à la porte. Il la déverrouille mais, avant de sortir, pousse un long soupir. Inspire à fond. Appuie sur la poignée.
Et plonge.
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