27 - Climb
Un pas. Une marche.
Ses bras tremblent de fatigue, mais ses mains restent serrées. Il pousse un cri de triomphe et lève fièrement son arme. Autour de lui, les hommes sous ses ordres hurlent. Une nouvelle victoire pour le royaume. L'envahisseur ne vaincra pas. Cette bataille restera dans les annales, et son nom aussi.
Un pas. L'épée dans sa main est lourde.
Il a pris du galon. Il est monté en grade, depuis ce jour fatidique. Il commence à naviguer dans les hautes sphères de l'armée – juste en bordure, pour le moment. Il découvre le népotisme, la corruption, les intrigues. Il est dégoûté mais se plie au jeu, gardant autant que possible son honneur par devers-lui. Ses mains sont sales, mais son cœur reste pur.
Un pas. Le tapis est épais, rouge, bordé d'or.
Maintenant, il côtoie la noblesse. Danse avec les riches bourgeoises, dînent chez les aristocrates, fument d'épais cigares. Mais lorsque la nuit est au plus noire, juste avant de rentrer chez lui, il s'enfonce dans des ruelles sombres, à l'écart des lumières et des éclats. Là, au fond d'impasses sordides, il retrouve ses origines modestes, et ceux qui s'y terrent encore. Ce n'est qu'au petit matin qu'il revient chez lui, s'effondre, dort une poignée d'heures avant de revêtir son déguisement d'officier exemplaire.
Un pas. Une nouvelle marche.
La haute société s'inquiète. La populace gronde, geint, devient violente, plus que de raison. L'armée est appelée à la rescousse, mais des assassinats, des accidents inopportuns, des attentats, ne font que causer un chaos de plus en plus grand. Le roi est inquiet. Ses conseillers et ministres lui proposent de nommer cet ancien héros de guerre, montrer au peuple que tous peuvent atteindre les plus hauts échelons – pour peu qu'ils y mettent du leur, comme lui. Bien entendu, lorsqu'on lui offre le titre, il accepte, s'incline bien bas.
Un pas. Le sang coule de sa lame sur le tapis, y disparaît.
Pendant un temps, tout semble se calmer. Le roi a fait preuve aussi bien de largesses que d'une main de fer – la répression a été dure, mais bien moins qu'elle n'aurait pu l'être. Il ne regrette pas les morts causés par ses ordres : ils sont tombés pour une bonne cause. Pour qu'un tyran et toute sa caste maudite tombe, des sacrifices sont nécessaires. Lui et les siens guettent le bon moment. Ils frapperont, bientôt.
Un pas. Il tend la main, effleure le bois de chêne, poli, vernis.
Des rumeurs commencent à courir. Des suspicions. Le temps leur fait défaut. Alors ils frappent un grand coup. Du jour au lendemain, c'est la guerre civile. Les rues devant le palais deviennent rivières de sang. L'armée se divise, mais la majorité le suit. C'est surtout la garde royale qui résistera, jusqu'au dernier. Il tuera le capitaine de ses propres mains, à regret. C'était un ami avec qui il avait beaucoup ri et bu – mais il était du mauvais côté.
Un pas. Si proche, maintenant. Il pose son épée.
Lorsqu'ils débarquent dans la salle du trône, le roi est là, digne. Il se lève sans trembler, malgré son âge avancé et la crainte visible dans son regard, mais il est droit, préparé à l'inévitable. Il descend les marches et avance vers le centre de la cour, entouré de ses derniers hommes, gardes fidèles et nobles loyaux jusqu'au bout. Les yeux du souverain sont fixés sur son adversaire, ce héros militaire, si beau dans son uniforme, qui incarne la liberté, un nouveau départ, la révolution, enfin.
Il se retourne. Embrasse ses hommes du regard, sourit.
Le duel est bref, sans appel. Le roi reste un vieillard grabataire, et lui, bien que guère jeune, reste tout de même de presque trente ans son cadet. Son épée le transperce d'un coup. Il s'apprête à se retirer aussi sec, mais le vieil homme l'agrippe, dans ses dernières forces. Lui murmure quelque chose que lui seul entend, avant d'expirer, enfin, et de tomber au sol. Il le laisse tomber au sol, et tous poussent un cri de victoire en voyant le cadavre du tyran. Ses fidèles encore debout se rendent pour la plupart, une poignée préférant la mort plutôt que la honte d'être capturé. Il les ignore : son regard est fixé sur le trône. Il l'appelle, maintenant.
Il s'assied. Inconfortable, et en même temps, il se sent enfin à sa place.
À ses pieds, ses hommes lèvent le poing, hurlent leur triomphe. C'est une nouvelle victoire pour le royaume. Une nouvelle ère commence, plus juste, plus libre. Il va les guider vers cet avenir radieux. Et s'il faut user de force pour le faire, eh bien, il le fera. Il n'a pas peur de se salir les mains, il l'a déjà montré. Mais ses idéaux sont purs. Ce qu'il fait n'est que la volonté du peuple. Son bras vengeur.
Toutefois, il ne peut s'empêcher de penser aux derniers mots du roi.
Il se cale au fond du trône, chassant ses doutes tout en scrutant chaque visage dans la salle, inconscient du noyau de suspicion ancré au fond de son âme. Il est persuadé qu'il ne fera pas les mêmes erreurs. Il n'a pas accompli ce chemin, gravi tous ces échelons, pour échouer maintenant.
Il ne tombera pas.
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