Jour 12 : Baleine
Certains souvenirs en moi sont très confus et surtout ceux de la toute petite enfance. Si profond, si lointain, que je ne sais même pas s'il est vraiment tout à fait réel. Je pense être aller un jour à la mer avec mes grands-parents. Je ne sais même plus si mes parents étaient avec nous ce jour-là. Juste deux souvenirs émergent, tout le reste a sombré dans le néant.
Tout d'abord celui d'un voyage en voiture très long que j'ai fini à moitié allongé sur les jambes de ma grand-mère, à l'arrière de la Fiat puant le tabac de mon grand-père. Elle avait commencé par me caresser les cheveux avec cette manière bien à elle : de longues caresses de la paume de la main suivit par de petits tapotements légers. J'ai bien vite sombré dans le sommeil et il ne me reste rien d'autre du trajet.
Le second c'est celui d'un musée marin. Un petit batiment en bois et blanc non loin de la plage, et l'odeur piquant du sel partout. Je le visualise comme ça mais peut-être est-ce une simple reconstitution nourrie par des images de films ou de musées. Mais, plus net que tout le reste, se dessine dans ma mémoire un immense squelette de Baleine suspendue dans une salle de ce musée. Les os ternes m'effrayaient un peu. Des siècles de poussières les recouvraient. Et de ce carcasse se dégageait quelque chose de profondément triste et cela chassa bien rapidement la peur que me causait cette dépouille immense. Je me souvient avoir été frappé par la diffèrence d'échelle entre moi et cette créature. J'étais si petite mais mon grand-père et ma grand-mère également !
A l'époque, je commençais à me rendre compte de l'altérité. Je comprenais enfin que les autres n'étaient pas moi que je ne serais pas eux et qu'ils constitueraient éternellement un monde inatteignable.
Alors que penser d'un tel être ? Quelles songes, quelles pensées, quelles rêves peuvent agiter une créature aussi immense ?
Et cette pensée me donne encore aujourd'hui le vertige.
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