Jour 28 : Cadeau
C'était le jour de mon sixième anniversaire. En face de moi, sur cette vieille et rude table en bois massif s'étalaient quelques cadeaux. A ma gauche, ma grand mère, la tête posée dans la paume de sa main avait les yeux dans le vide, comme si elle fixait quelque chose au loin, encore plus loin que le mur. A ma droite, mon grand-père fumait un énorme cigare et jouait avec la fumée qu'il recrachait. Les volutes bleues qui s'échappaient de sa bouche montaient haut dans la pièce, et stagnaient tout près du plafond, juste sous la lampe. Je n'entendais que le bruit de la vieille horloge. On aurait dit un cœur qui palpitait. Mes grands parents ne disaient rien, ils attendaient que j'ouvre les cadeaux. Moi, j'étais là, debout, hésitante. Par lequel devais-je commencer.
Je me décidais à enfin à ouvrir un de mes paquets. Le papier coloré bruissait sous mes doigts. J'engageais là une grande bataille pour déchirer le papier, et bien qu'il résista au début, je finis par le vaincre. Le son du papier déchiré résonnait dans la pièce. C'est une fois tous les lambeaux amoncelés sur le sol que je vis mon cadeau d'anniversaire: un lecteur cassette.
Je restai quelques instants immobile détaillant l'objet. Tout semblait avoir été fait pour qu'il ressembla à un visage. Deux boutons rouges énormes et globuleux, exorbités, me regardaient fixement. Un ridicule nez vert, sans la moindre narine pour pouvoir respirer et enfin sa bouche. Plutôt une gueule ouverte, sur un cri silencieux. Comble de l'ironie cette bouche muette cachait ses haut parleurs.
J'observais l'objet comme une mauvaise blague ou imitation. Ma grand-mère et mon grand-père me regardaient en silence. Quand je compris enfin ce qu'ils attendaient de moi, je me dirigeai vers ma chambre afin de prendre une cassette. Je devais rendre à cette tête sans corps un peu de paroles. Mais en allant dans ma chambre, la fumée âcre des cigares de mon grand-père me fit tousser. Soudain ma grand-mère s'éveilla, redressa la tête et adressa à mon grand-père un regard pleins de colère puis lâcha:
_Mais tu vois pas que t'étouffe la p'tite avec tes saloperies!
Pour toute réponse, il recracha encore un peu plus de fumée vers elle.
C'est là que je choisis de brancher la tête décapité. Ses haut parleurs se mirent à débiter une histoire que j'avais cent fois écouté.
Mes grand-parents tournèrent la tête vers moi. Leur dispute était loin à présent: ils guettaient sur mon visages des signes de joie. Je devais m'éxecuter.
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