Entre Jade et Rubis.

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   Le numéro dix offrait à la ville encore animée et agitée qui s'étendait devant ses yeux malgré la nuit noire tombée, une beauté presque irréelle. D'ici et de cette hauteur, derrière l'immense baie vitrée, la vue était tout simplement incroyable. De cet appartement tout particulier, elle pouvait même voir l'entrée du sien. Ou plutôt, celui qui, jusqu'à maintenance, était le sien. À partir de maintenant, Alta serait chez elle... Chez eux... Et malgré le froid, la solitude et la douleur dans lesquels elle avait passé ses vingt derniers jours, son coeur se réchauffa à cette pensée.

   Alors même que le sommeil la fuyait, la jeune femme à la chevelure érubescente appuya son front contre la vitre, épuisée. Ces dernières semaines avaient étaient éprouvantes. Son monde avait basculé dans les flammes. Des flammes qu'elle avait allumé elle-même. Pour lui, elle avait jeté sa vie au feu. Un feu d'une ardente couleur verte, son vert. Mais quand bien même tous ses repères, toutes ses certitudes et toutes ses croyances, avaient volées en morceau, elle n'était même pas certaine de le regretter. Elle pouvait enfin se débarrasser de tous les faux-semblants, les mensonges et les écrans de fumée dans lesquels elle évoluait et au sein desquels elle se cachait depuis des mois.

   Alors, même si toutes les personnes qu'elle avait cru aimer, celles dont elle avait cru être appréciée, tous ces gens qu'elle avait considéré comme des membres de sa famille ou comme des amis, lui tournaient désormais le dos et perdaient toute considération pour celle qu'elle avait été et qu'elle continuerait toujours à être, elle s'en fichait. Elle se sentait libre. Protégée. Aimée. À sa place... et ce, pour la première fois de toute son existence. Délaissant du regard la vision de la ville toujours éclairée de mille et une lumière ; celle de son appartement et de son passé, l'ancienne commandante traversa le salon d'Alta en silence, descendant jusqu'aux marches menant à la chambre. Guidée par la respiration tranquille et apaisée qui se faisait entendre à travers la semi-obscurité, elle s'approcha doucement. Ses yeux se posèrent sur la peau sombre du corps roulé dans les draps et éclairée par la lumière qui filtrait de la porte entrouverte. Elle passa avec affection une main dans les tresses vertes du chef de gang, celui qui faisait son bonheur. Il était son idylle interdite, celui qui avait fait exploser son monde en un millier de particules aux couleurs de l'émeraude.

   L'ancienne militaire s'était pourtant jurée de ne jamais reproduire cette erreur. Mais avec lui, c'était différent. Ce serait différent. Elle avait appris les mille nuances du monde qui les entourait. Et quand bien même il pouvait faire des choses mauvaises, elle savait qu'il n'était pas si mauvais. Il ne lui avait jamais fait de mal et ne lui en ferait jamais. Il n'en faisait jamais sans bonne raison. Lui ni aucune des personnes qui lui étaient affiliées. En silence, elle ressortit de la pièce, fermant la porte derrière elle et rejoignit la salle d'eau attenante. Dans le miroir, son reflet lui fit face, et elle appuya ses paumes contre l'évier. Les cheveux carmin qui entouraient son visage pâle reflétaient la fatigue qui l'habitait et les jours difficiles qu'elle avait subi en fédérale : emmêlés et ternes, comme s'ils sortaient d'une tempête. Et elle sortait bel et bien d'une tempête. Elle s'en échappait à peine, et ce n'était même pas certain qu'elle n'était pas encore juste derrière elle, prête à l'engloutir à nouveau. Mais malgré le danger, l'ex flic entrevoyait l'avenir avec une nouvelle clarté, une toute nouvelle lumière qui se teintait d'une lueur verdoyante de plus en plus prononcée. Aujourd'hui, le rouge n'était plus pour elle. Il était le symbole d'une part d'elle, à l'agonie et en train de mourir. Une part d'elle qui avait été salie, roulée dans la boue et piétinée par ses propres collègues, sa famille.

   À cette pensée, une bouffée de haine et de trahison la traversa, et elle figea son regard noisette dans leur propre écho. Elle pouvait y lire toute la détermination et la colère flamboyante qui l'habitait. Ceux qui avait été ses supérieurs et qui l'avaient jeté aux loups sans la moindre considération, elle aurait leur tête, c'était une promesse. Cependant, malgré toutes ses nouvelles certitudes, elle ne pouvait arrêter de s'interroger.

"Est-ce que ce que je fais est mal ? Oui." Bien sûr que oui, c'était un fait. Il n'y aurait plus de retour en arrière possible, c'était la voie d'une criminelle recherchée qui l'attendait.

"Est-ce qu’il y a d’autres alternatives ? Bien sûr." Elle aurait pu rejoindre sa meilleure amie. La blonde l'aurait aidée, elle l'aurait pris sous son aile comme elle l'avait déjà fait quelques mois plus tôt. Mais, elle, elle était une femme d'action. Elle avait besoin de sentir l'adrénaline parcourir ses veines et faire bouillir le sang dans son corps. La vie civile n'était pas pour elle, ça la tuerait. Elle le savait. Et si l'action de sa vie ne devait plus passer par son parcours de flic, elle passerait par la criminalité.

"Est-ce que j’ai tort ? ...Comme nous tous, personne n’a pleinement raison." Le nouveau chemin qui se traçait peu à peu sous ses pas était dangereux. Si dangereux, qu'elle le savait, il n'aurait qu'une seule finalité possible. Si ce n'était le plomb d'une balle, ce serait l'acier d'une lame, dans le meilleur des cas. Et elle préférait tout simplement ne pas penser aux pires options.

   Donc non, bien sûr que non. Le rouge n'était plus sa couleur. Son âme prenait une toute nouvelle couleur, celle de la Jade. Bientôt, comme il le lui avait promis, elle les rejoindrait. Elle se battrait à leurs côtés et ils se battraient pour elle. Ils seraient une famille. Une vraie. De celles qui ne se trahissent jamais et qui traversent l'enfer ensemble, soudées. Car c'était ce qu'étaient les Verts. Pas juste un groupe criminel. Pas juste un gang. Mais surtout et avant tout, une famille. Tout à la fois, tour à tour, loups et agneaux.

"Mais c’est le chemin que j’ai décidé d’emprunter."

Et si c'était l'Enfer qui les attendaient. S'ils devaient vraiment le traverser. Ce serait ensemble. Mais en tout cas, jamais sans lui, jamais sans eux non plus. Qu'il vienne donc, cet Enfer, celui que toujours, on leur convoquait. Elle l'attendait. Et elle l'affronterait. Sans le moindre regret.

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