Après ce que Nolan venait de dire, Louis et Jimmy ont commencé à douter de tout. Sans savoir que penser de la tournure que prennent les événements, les garçons sérieusement préoccupés s'étaient précipités à la sortie de l'école, pour retourner dans le salon de Louis et regarder de plus près le bloc de pièces formant l'étrange visage ainsi que le sac toujours très rempli.

 C'est ainsi qu'ils se retrouvent là, tous les trois autour du tapis, complètement désemparés. Ils sont sans voix jusqu'à ce que Nolan rompe un silence devenu trop lourd.

 - C'est bien ce que je vous disais: le puzzle n'a pas de fin! Il n'y a pas de bordure sur le bloc de pièces qu'on a réussi à mettre ensemble, et comme a dit Louis tout à l'heure, les pièces qu'il reste à poser sont toujours aussi nombreuses qu'au début!

 Pris d'un stress des plus désagréables, Jimmy se penche sur le tapis, attrape le sac de pièces et le retourne pour le vider entièrement. Louis réagit mal:

 - Mais que fais-tu? Il y en a partout maintenant!

 - Si Nolan a raison, alors on ne devrait pas pouvoir trouver de pièce avec un côté lisse. Il faut chercher dans cette montagne de pièces des morceaux qui pourraient former les quatre côtés du puzzle.

 Bien que sceptique lui aussi, Jimmy se convainc qu'ils allaient finir par trouver les pièces formant les extrémités et qu'ils allaient pouvoir ensuite se concentrer seulement sur ces pièces-là afin de créer le contour du puzzle. Il imagine déjà dans sa tête la grandeur d'une sorte de cadre de puzzle qui dépasserait largement la surface du tapis, au vu du nombre de pièces restantes.

 Tous les trois, ils trient les pièces une par une. Les heures passent et il n'y a encore aucune trouvaille. Les garçons se sentent de plus en plus perplexes et doutent de pouvoir trouver ce qu'ils cherchent. C'est alors que le père de Louis intervient dans le salon.

 - Les garçons; il va falloir rentrer chez vous. Vous ne dormirez pas ici ce soir; pas après vos bêtises de la dernière fois.

 Louis est dérangé par cette intrusion qui ne l'arrange pas mais il ne dit rien, laissant ses copains récupérer sagement leur veste avant de dire au revoir et de passer la porte de la maison. Il décide alors de poursuivre tout seul la recherche de ces fameuses pièces, malgré des gouttes de sueur qui commencent à perler sur ses tempes? Il est désormais ennuyé par cette activité bien qu'elle ne le lâche pas pour autant. En fait, cette histoire le tourmentait. Ses copains aussi tombaient sous l'emprise de cette peur démangeante. Par contre, Louis était le plus inquiet d'entre eux. Il avait passé la semaine à faire s'agrandir le puzzle; il l'avait vu s'étaler de plus en plus jusqu'à couvrir presque tout le tapis, sans pourtant que le sac ne diminue de volume. Il avait pioché des pièces et des pièces, mais le sac gardait la même apparence.

 Être autour de ce tapis en devenait effrayant. Louis ne lâche pas l'affaire pour autant. Il cherche cette pièce qui aurait trois côtés d'accroche et un quatrième côté en ligne droite. Alors qu'il devrait y en avoir plusieurs, il n'en trouve pas une.

 Dans cinq minutes, le père de louis va demander à son fils de se coucher. Il n'est pas prêt; pas prêt du tout. En dépit du grand nombre de pièces vérifiées et qui s'avèrent ne pas correspondre au contour du puzzle, il reste encore cette affreuse montagne de pièces à vérifier. D'un certain point de vue, cette même montagne rassure le garçon, en lui donnant l'espoir que les probabilités de trouver ce qu'il cherche sont quand même plus ou moins élevées. Il veut trouver absolument au moins une pièce, car sinon il sait très bien qu'il ne pourra pas s'endormir tranquillement, et attendra le matin avec un tracas insupportable.

 Derrière lui, il entend son père éteindre la télévision. Il sait ce que ça veut dire. Puis, quand son père s'apprête à lui demander d'aller dans son lit, Louis s'exclame soudainement avec une joie surdimensionnée.

 - Ça y est! J'en ai trouvé une! Papa, j'en ai trouvé une!

 - Mais qu'est-ce qui te rend si excité mon garçon? Répond-t-il dans l'incompréhension de la situation.

 - Cette pièce fait partie des extrémités du puzzle papa! Elle a un côté lisse! C'est la seule que j'ai trouvée!

 Le père de Louis acquiesce sans plus accorder d'attention à cette euphorie inattendue, voulant surtout insister sur l'heure tardive. Louis comprend, et se dépêche de rejoindre sa chambre. Il a trouvé une de ces pièces qu'il avait cru pendant un moment inexistantes. Il a la sensation d'avoir trouvé la preuve que ce puzzle a bien une limite; qu'il a bien une fin. Nolan s'est trompé: ce puzzle n'a rien d'insensé, il est simplement immense. En revanche, Louis reste troublé par ce grand nombre de pièces.

 Il est persuadé que lorsque lui et ses copains avaient ramassé ces pièces venues de nulle part, ils en avaient trouvées bien moins qu'il y en avait actuellement dans le salon. Louis décide de nier cette interrogation qui lui trotte encore dans la tête, car il avait trouvé ce soir une preuve de rationalité dans ce puzzle et qu'il allait le finir un jour en prouvant que tout est est normal et logique. C'est avec cette pensée positive qu'il s'endort dans la douceur de ses couettes.

 Le lendemain, Louis se réveille dans la même euphorie avec laquelle il s'était couché la veille. Il s'habille et déjeune rapidement avant de mettre dans sa poche la fameuse pièce qui faisait partie des bords du puzzle. Il l'avait mise en évidence sur le tapis, à l'écart des autres pièces pour la retrouver facilement.

 Après un furtif "bisou du matin" donné à son père, Louis claque la porte d'entrée de la maison pour plonger dans l'atmosphère à la fois très chaleureuse et fraîche qui accompagne le lever de soleil. C'est agréable. Il s'empresse chez Nolan d'abord, dans la hâte de lui montrer sa trouvaille.

 Et il est vrai que Nolan est très surpris lorsqu'il ouvre la porte à son ami. Avec son sourire jusqu'aux oreilles, Louis se tient debout avec dans sa main devant lui, la fameuse pièce. Nolan est très content et pour une raison quelconque, il se sent surtout rassuré.

 Maintenant tous les deux devant la maison de Jimmy, ils toquent à la porte. Quand il découvre le visage de sa mère derrière la porte, quelque chose change. Elle les regarde un moment avec de grands yeux, puis d'un instant à l'autre elle perd en couleur et devient très blanche. Quelques larmes s'échappent de ses yeux lorsqu'elle laisse entrer les garçons.

 - Donc Jim n'est pas avec vous?

 Interloqués, les deux amis mettent un moment avant de répondre qu'en effet, Jimmy n'est pas en leur compagnie. Nolan précise qu'ils étaient justement venu pour le voir. Toujours très pâle, la mère de Jimmy monte les escaliers menant à l'étage en demandant aux garçons de la suivre. Elle raconte jusqu'à arriver dans la chambre de son fils, les différentes étapes depuis son réveil.

 - En me levant ce matin très tôt, j'ai posé sur la table principale cette boîte de playmobil dont il parlait depuis un moment. Ensuite je l'ai appelé en lui disant qu'il y avait quelque chose qui l'attendait en bas. Il n'a pas répondu mais ça m'a pas paru habituel. Puis, j'ai travaillé pendant au moins deux heures sur l'ordinateur. Après je suis revenue dans le salon et j'ai vu que la boîte était intacte. J'ai compris qu'il n'était toujours pas réveillé. Mais en montant l'étage pour lui tirer les draps de son lit et le forcer à se lever, j'ai découvert ça.

 Louis et Nolan s'approchant du matelas de Jimmy restent sans voix dans un état de choc qui les accable tout de suite.

 - De quoi s'agit-il les garçons? Demande la mère de leur ami en espérant une réponse qu'elle n'allait pas avoir.

 Immobiles et abattus, ils fixent l'incroyable tas de pièces de puzzle qui recouvrent le lit. D'où viennent toutes ces pièces? Font-elles partie du puzzle étrange trouvé à la fontaine? Où est partit Jimmy? Est-il partit de lui-même? Que lui est-il arrivé? Toutes ces questions traversent leur esprit sans qu'ils ne puissent prononcer un seul mot. Ils sont aussi démunis que la mère de Jimmy juste à côté.

 Dans le flou le plus total, ils sont parcourus de frissons nettement plus intenses, que ceux ressentis depuis l'apparition de ce puzzle dans leur vie.

 C'est seulement le début du désarroi.