Chapitre 10 (3ème partie)
Debout dans la plaine, je fixais la ligne qui la creusait et qui était la marque que la rivière avait formée en la traversant. Là, devant nous, entre ce dernier petit bosquet que nous venions de contourner et la rive, se trouvait le grand campement d'hiver de mon clan. Les longs et solides abris entouraient un espace dégagé près duquel se trouvait l'abri plus petit de notre Grande Mère. Un grand feu y était en permanence allumé. Je pouvais distinguer quelques silhouettes qui allaient et venaient et ressentais une certaine excitation à tenter, déjà, de les identifier.
Arouk s'était arrêté en voyant le campement et nous étions tous deux côte à côte, prenant la mesure de cet instant. Je le sentais un peu hésitant, à ne pas savoir s'il devait m'accompagner pour le reste du chemin ou s'il devait rester là et surveiller que je rejoigne bien les miens. Je glissai alors ma main dans la sienne et, le regardant, je dis :
- Accompagne-moi jusque là-bas. Sinon, ils auront du mal à me croire... A croire que j'ai pu quitter notre abri sans toi, à croire que tu n'as pas veillé sur moi jusqu'au bout du voyage.
Il hocha la tête, mais, avant que nous ne nous mettions en route, il me prit dans ses bras et me serra fort contre lui.
- Ourga... Je t'aime. Tu es ma vie.
Emue, je répondis à son étreinte en le serrant en retour aussi fort que je le pouvais, oubliant un instant que j'écrasais ainsi mon ventre contre le sien et comprimais un peu le bébé.
- Je t'aime, Arouk. Toi aussi, tu es ma vie. Et pour le bébé aussi.
Il m'embrassa alors, alors que les larmes ruisselaient sur mes joues, alors que mes bras le serraient encore et encore, alors que le bébé donnait de petits coups dans mon ventre et que j'espérais qu'Arouk les ressentirait, malgré nos vêtements. Je pensai bien qu'il allait les sentir, car il glissa sa main sous ma tunique et, malgré le froid, l'émotion m'envahit quand il dit :
- Bébé, je ne serai pas loin de toi et de ta mère. Je veillerai toujours sur vous. Je t'aime aussi, bébé.
- Tu... Arouk... Tu sens comment il bouge ? demandai-je sans me soucier de mes larmes.
- Oui. Et il bouge fort.
- Il t'aime lui aussi. Je suis certaine qu'il veut te dire qu'il t'aime !
Nous nous étreignîmes encore une fois et, quand nous nous écartâmes l'un de l'autre, que je me retournai vers le campement, je vis quelques silhouettes venir vers nous. Sans doute nous avait-on aperçus. Arouk cala à nouveau les sangles du travois sur ses épaules et fit un premier pas vers les miens. Je lui pris la main et nous avançâmes alors tranquillement jusqu'à rejoindre ceux qui venaient vers nous.
Parmi eux, je distinguai en premier la silhouette de Gourn qui marchait à grands pas, un peu précipitamment. J'étais certaine qu'il nous avait reconnus et qu'il voulait être le premier à me serrer dans ses bras.
**
- Ourga ! Ourga, te voilà !
J'étais maintenant entourée par plusieurs membres de mon clan, mais celle qui avait parlé et me serrait fort contre elle était Ilya. Ilya qui portait elle aussi un bébé, mais dont le ventre était un peu moins rond que le mien. Sans doute naîtrait-il un peu plus tard que mon bébé.
Après avoir été rejoints par le petit groupe mené par Gourn, nous avions gagné le campement. Ma mère, Kari, Ilya et bien d'autres nous attendaient. Ma petite soeur avait voulu me sauter dans les bras, mais je l'en avais empêchée : j'étais incapable de la porter maintenant. Ma mère m'avait serrée fort contre elle et se réjouissait déjà que je revienne avec un bébé dans mon ventre.
Après ces premières effusions, Grak, notre chef, s'était avancé vers Arouk. Ce dernier était resté en retrait, ne voulant pas pénétrer dans le campement lui-même, demeurant au-delà de la limite des premiers abris.
- Je te salue, Grak, chef du Clan de l'Ourse, dit Arouk le premier.
Et, en entendant sa voix, tous se turent et regardèrent alors vers eux. J'abandonnai les bras d'Ilya pour rejoindre Arouk et vins me tenir près de lui, reprenant sa main dans la mienne.
- Je te salue, Arouk, dit Grak simplement.
- Je sais que la décision du grand conseil n'est pas arrivée à son terme, reprit Arouk, mais j'ai voulu ramener Ourga auprès de vous tous, car il devenait trop dangereux pour elle de rester avec moi. Je vous la confie et retourne m'isoler jusqu'à l'été prochain. Je reviendrai alors pour prendre soin d'elle et de l'enfant de son foyer. Je reviendrai alors pour m'unir à elle et prendre soin de l'enfant de notre foyer.
Grak hocha la tête.
- Tu as pris soin d'elle et au nom de son foyer, mais aussi du clan, je t'en remercie.
A cet instant, ma Grande Mère s'avança. Elle me fixa droit dans les yeux, sans sourire, mais je sentais que son regard était à la fois curieux et bienveillant. Elle prit entre ses mains ma main nouée à celle d'Arouk, le regarda un moment, avant de reporter son regard vers mon ventre.
- Cet enfant est déjà l'enfant de ton foyer, Arouk, dit-elle d'un ton grave. Tu dois rester avec Ourga pour prendre soin d'elle et de l'enfant, dès maintenant. Jamais encore nous n'avons obligé un homme à abandonner son foyer alors qu'un enfant allait y naître. Ce serait fâcher les esprits.
Elle fixa alors Grak qui avait reculé d'un ou deux pas pour lui permettre de venir jusqu'à nous. Il hocha à nouveau la tête et dit, en se tournant vers tout le clan maintenant rassemblé :
- Ourga est de retour parmi nous. Mais Arouk aussi et il va demeurer ici.
Un instant, le silence flotta sur tout le campement, puis des cris de joie se firent entendre. J'en eus les larmes aux yeux de voir que les miens ne voulaient pas nous séparer et nous offraient à tous les trois l'abri de tout mon clan.
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