Vendredi 28 août, 8h24.

13 minutes de lecture

Ça fait bientôt une semaine que je suis là. Je parle à mon père uniquement pour ce qui est nécessaire - j'ai plus de shampooing et cie - et je l'ignore royalement le reste du temps. Je fais l'effort de participer aux repas malgré tout, par reconnaissance envers mon hôte.

À côté de ça, Aiden est parfois complètement indifférent, très concentré sur ses cours, et parfois vraiment... Mais vraiment provocant. Il me donne envie de le claquer. Il a toujours réponse à tout et ne se gêne pas pour me lancer des piques qui me mettent mal à l'aise dès qu'il le peut. Ça me met en colère, et je suis infoutu de répondre parce qu'il est toujours imprévisible. Il n'en a pas l'air comme ça, mais il peut être un bel enfoiré quand il veut. J'en viens presque à ne plus oser en placer une, et quand j'ai l'impression qu'il ne fait pas attention, il trouve quelque chose à me reprocher. Je n'ose plus rien faire dans cette maison par peur d'être jugé. Jugé par un gosse, une saloperie d'intello, en plus.

Quand j'ouvre les yeux, je pousse un cri terrifié. Putain de merde, une araignée grosse comme ma paume, juste en face de mes yeux. Je recule tellement que j'en tombe par terre de l'autre côté du lit. Me relevant précipitamment, je constate la supercherie. En plastique, hein. Il a quel âge putain ? J'ai failli me pisser dessus ! On m'a dit qu'il y en avait des grosses comme ça ici, c'était plausible ! ça va pas se passer comme ça, vraiment. J'en ai marre, il est allé trop loin. Les remarques, je veux bien, moi-même je culpabilise assez de mon humeur de merde. Mais ces conneries de gosse de dix ans...

Je l'entends dans la salle de bain qui se brosse les dents. Il veut jouer ? Il va jouer. Qu'il assume. Je vais le rejoindre et le pousse contre le mur, j'écrase ses épaules avec mes mains pour le bloquer.

  • Ça te fait marrer ? ça te fait vraiment marrer de jouer avec la peur des gens ? T'es vraiment un con ! Et tu me parlais de respect ?!

Il continue toujours de se brosser les dents. C'est comme s'il m'avait pas entendu. Puis il daigne m'accorder un coup d'oeil.

  • Pauvre de toi... il dit en me défiant du regard. Et en plus, je vois qu'il s'empêche de sourire.
  • Putain, j'vais te... J'suis à bout de nerfs j'en peux plus. Il va me le payer.

Tu vas me quoi ? Il rit.

Il rit ! Et il me regarde de haut en bas avec son air provocateur.

  • Ta gueule ! Tu recommences plus jamais un truc pareil où je t'éclate vraiment !

Son regard si près du mien, droit dans mes yeux, me trouble. Je sens le rouge me monter aux joues. Il montre des émotions, mais elles sont toujours... Légères. Comme atténuées. Même quand il est vraiment énervé, il ne perd pas son sang-froid. Je me croyais de glace, mais j'ai trouvé mon maître... Je suis en feu à côté de lui.

Prenant ses épaules une dernière fois pour les basculer contre le mur, je le lâche enfin et vais me préparer. J'ai les yeux dans le vague, et du mal à me contenir. Je suis en rage.

Je descends prendre mon petit-déj - une routine maintenant - et m'assieds à ma place. La bonne humeur de mon père m'écoeure encore plus. A croire que ce voyage n'a que du bon pour lui ! Je me sers machinalement du jus d'orange et je remarque que mon père a arrêté de rire et me regarde, attendant une réaction de ma part.

  • Ça va, fils ? ça a été... Ces dernières nuits ?
  • Hmpf...

Bien sûr que non. Mes cauchemars ne vont pas s'en aller du jour au lendemain, il le sait très bien.

  • Tu sais Jay, si tes draps ne te conviennent pas, si tu as trop chaud ou trop froid, on peut toujours en changer ! Idem si tu veux un oreiller de plus, on a tout ce qu'il faut ici !

Luc est vraiment serviable, mais un oreiller de plus ne m'empêchera pas de cauchemarder.

  • Hmouais...

Je bois une gorgée de jus et me perds dans mes pensées. Je me demande si Aiden a déjà été réveillé à cause de moi, s'il a remarqué que mes nuits sont tourmentées. J'imagine que non, sinon il m'aurait sûrement fait une remarque acerbe.

  • Ah, mais qui voilà! Dit Luc.

Quand on pense au loup...

  • 'Lut ! Il sourit.

Bon sang, il ne m'a pas pris au sérieux le moins du monde, hein... Il fait le tour de la table et vient s'asseoir en face de moi, prenant une pomme dans le panier au passage. Il croque dedans en me regardant avec un air... Moqueur ? Sérieux ?

Mon père a repris sa conversation, parlant de leurs projets pour la journée. Aujourd'hui, c'est tourisme pour eux. Certainement pas pour moi...

Je suis encore plongé dans mes pensées quand je sens un pied se poser sur le mien. Pensant au hasard, je bouge mes jambes. Mais ce con repasse à l'attaque.

  • Putain mais tu...! J'enrage.
  • Qu'est-ce qu'il y a encore, Jay ? Tu as quelque chose à dire ? T'as l'air fâché depuis tout à l'heure, dit mon père. Eenfin, encore plus que d'habitude... je l'entends murmurer.
  • Rien.... Rien du tout. J'y vais. Merci pour le petit déj'.

Et je me lève, rouge pivoine, de colère et de gêne.

  • Il avait déjà pas l'air dans son assiette, ce matin. C'est une habitude chez lui ? Demande innocemment Aiden.
  • On peut dire ça comme ça... Lui répond mon père.

Je vois qu'il se pose des questions.

Je pose mon assiette dans l'évier et je vais rapidement me préparer. Une fois dans "notre" chambre, je jure, je fais mon lit et je vais prendre une douche. En sortant, prêt à partir, je vois Aiden qui vient d'arriver. Ma colère remonte aussi vite qu'elle a fondu quand je me douchais et je me jette sur lui, plein d'amertume.

  • C'est quoi ton problème ? T'as décidé de jouer aux cons ?
  • De quoi tu parles ?

Il a toujours ce faux air de naïveté, mais je vois bien le coin de ses lèvres se soulever involontairement. Il se fout de moi.

  • Qu'est-ce que t'as, t'es dingue de moi, tu peux pas retenir tes pulsions c'est ça ?

J'essaie d'entrer dans son jeu et de le mettre mal à l'aise. Honnêtement, je sais pas pourquoi il a fait ça pendant le petit déj'. C'était surtout pour me foutre la honte devant mon père et le sien, j'imagine.

  • Haha ! Tu crois que j'ai succombé à tes charmes ? Même si j'étais gay tu serais pas mon genre. il me répond avec un sourire sarcastique.
  • Alors pourquoi tu me laisses pas tranquille ? Ignore-moi, oublie-moi et je m'en porterai très bien !
  • T'ignorer, ça me suffit pas. Je pensais au début que c'était la solution. Mais non, je te supporte pas. Je supporte pas de te voir manger, de te voir dormir, je supporte pas que tu sois dans ma salle de bain, que tu utilises ma chambre, je supporte pas tes cris la nuit, tu m'empêches de dormir. Je veux que tu quittes cette maison, trouve-toi un autre endroit.

Sa tirade était aussi froide et inattendue que d'habitude. Plus il a parlé, plus son regard s'est assombri. Il a replongé dans l'indifférence la plus totale. Et le pire, c'est qu'il m'a fait mal. Il a voulu me mettre mal à l'aise, et il y arrive parfaitement. Parler de ce que je vis toutes les nuits m'a fait l'effet d'un coup de poing à l'estomac. D'ailleurs, s'il m'avait frappé, au moins, j'aurais pu me défendre. Là, je me sens complètement démuni. Moi aussi je veux partir et quitter cet endroit où je ne suis pas le bienvenu.

Sans un mot, ravalant ma colère et ma douleur, je descends les escaliers et sors faire un tour.

Marchant au bord de l'eau, je tente de retenir mes larmes. Putain c'est dur. Il m'a foutu face à mes terreurs, et je lui en veux de me les rappeler. Il pense que c'est évident ? Il sait ce que c'est que la tristesse, la peine, le désarroi et toutes ces conneries ? Sur sa foutue île avec son foutu gentil papa, il n'a aucune idée de la douleur véritable. Là, tout de suite, j'aurais bien envie de lui montrer de quoi il s'agit. Putain, je pleure.

Ce n'est pas lui qui me fait cet effet. Je le connais depuis une semaine, c'est juste un gros con. Ce sont ses mots qui sont blessants. Parce que mes cauchemars, ce n'est pas comme si je pouvais avoir un contrôle dessus. J'ai tout essayé pour qu'ils cessent... Tout.

Sans m'en rendre compte, je me dirige vers la maison de Matt. J'imagine que j'ai besoin d'un peu de compagnie, de distraction. Comme je m'y attendais, il est là, couché sur le ventre à même le sol, sous un palmier pour se protéger du soleil, en train de lire un livre. Une vraie photo de carte postale, manque plus que le hamac et la noix de coco.

Il m'entend sûrement arriver parce qu'il ferme son livre et se retourne.

  • Hey ! Tu vas bien ? Il me demande, attendant que je vienne m'asseoir près de lui. (Je me mets en tailleur a côté, sans un mot, quand je l'entend, surpris, ajouter) Wow, mec, tu pleures ? Euh, je sais pas trop quoi faire là, je suis nul en gestion de larmes.

Rien que ça, ça me fait marrer. Je peux pas m'empêcher de lâcher un rire en regardant le ciel.

  • Ouais, t'es vraiment mauvais, t'as meilleur temps de te taire, je ris.

Il me donne un coup d'épaule.

  • Eh, t'as arrêté de pleurer. Appelle-moi Dieu.

Je le regarde, amusé par son faux air suffisant.

  • C'est ça ouais. Dans une prochaine vie ! On rit, et un silence un peu gênant s'installe entre nous.
  • Tu veux en parler ? Il me demande, l'air sérieux.
  • Non, pas vraiment. C'est le mal du pays, c'est tout, e souffle jen regardant l'horizon.
  • Oh oh... C'est ta douce qui te manque ? Il me demande avec un clin d'œil.

Merde. Marie. Je lui ai pas écrit depuis hier... Elle va m'en vouloir.

  • Ouais, c'est ça.

Mon cul.

  • Je vois. Je suis sorti avec un type qui vivait au Canada une fois. C'était dur de le laisser partir... J'aurai toujours ce petit pincement à me demander si ça aurait pu donner quelque chose s'il était resté ou si j'étais parti avec lui.

Il a l'air nostalgique. Un type ?!

  • T'es gay?! Je demande tout a coup. Il se marre.
  • Quoi, me dis pas que t'avais pas remarqué ? C'est écrit sur mon visage. Tout le monde sait que je suis gay ici. Ça te dérange ?

Je réfléchis deux minutes. J'ai jamais eu de pote gay.

  • Non, ça me dérange pas. Tant que tu craques pas sur moi! Je réponds en riant.
  • Et si je craque sur toi ?

J'arrive plus à dire s'il est sérieux ou pas... Merde. Je détourne le regard, un peu gêné, et joue avec le sable.

  • Je pense que ça me dérangerait. J'ai une copine, et j'ai déjà du mal avec les filles un peu collantes, alors un mec... Mais je m'entends bien avec toi. Alors dis-moi que c'est une blague, comme ça je pourrai continuer à venir me plaindre à toi sans être embarrassé, tu m'arrangerais.

Je dis ça a moitié sérieusement, pour rester sur un ton léger.

  • Je blague pas vraiment, t'es carrément mon genre. Mais promis, je toucherai pas. Et pis t'as l'air chiant comme mec, alors ton caractère de merde devrait m'aider!

Et il repart dans un éclat de rire. Il est contagieux et je ris aussi. Ça fait du bien.

  • Merci Matt.
  • Hein, pour quoi ? Il m'interroge.
  • Pour rien. Pour te marrer. Pour m'écouter. Putain me laisse pas m'enfoncer dans un truc gnangnan s'teplait, je le supplie.

Ça recommence à devenir gênant avec mes conneries.

  • Haha ! T'inquiète, bientôt tu te passes plus de moi ! Je serai ton oxygène dans la mer et ta lumière dans le noir... Il se met à chanter "Alexandrie Alexandra", se levant et tournant sur lui-même comme un dingue.
  • Ouais ouais, on a compris, ferme-la un peu! Je lui dis avec le sourire.
  • Maaaaaaattttttt ! Rentre préparer le repas ! J'entends rugir d'une fenêtre chez lui.
  • Le dragon a parlé, mec. Je dois y aller. À plus tard sûrement ! Et il part dans sa maison, toujours en faisant le con et en dansant.

Ce type a un don pour me faire oublier mes problèmes. C'est un peu comme le chocolat. Il a peut-être raison ; y a moyen que je devienne addict. Je ris de ma connerie en rentrant, le cœur dix fois plus léger.

J'arrive à "la maison", et je monte dans ma chambre me poser et m'occuper un moment, en attendant de contacter Marie. Après avoir soulevé quelques haletères et essayé deux ou trois touches au piano, qui n'ont pas été très probantes, je me décide à envoyer un message à ma copine vers vingt-et-une heures, juste après manger.

Depuis que je suis à l'autre bout de la planète, c'est un peu plus compliqué pour nous, à cause du décalage horaire. On n'y arrive pas tous les jours.

Je démarre la conversation, et une bouffée de joie m'envahit quand je vois enfin son visage. Je réalise maintenant qu'elle me manque.

  • Hé, mon amour ! Tu vas bien ? Tu me manques... Je lui dis en caressant machinalement l'écran.
  • Salut mon coeur. Tu me manques aussi. Je me remets toujours pas de notre dernière rencontre. J'ai envie de te revoir, pour effacer et recommencer... Elle a des yeux tristes. J'aime pas la voir triste.
  • Hé ma puce ! A partir de maintenant, chaque jour qui passe me rapproche de toi. L'oublie pas. Je reviens. Je t'ai déjà dit qu'ici c'était vraiment pourri.

J'accentue le mot "pourri" parce que je sais qu'Aiden, couché sur son lit, n'en perd pas une miette.

  • Ça va toujours pas avec ton père ? Vous devriez vous réconcilier, tu sais... Vous étiez proches avant.

J'entends Aiden se lever, et je vois dans la caméra qu'il arrive derrière moi. Je me retourne vers lui et l'interroge du regard, en faisant les gros yeux. Il se poste derrière moi, sa tête à hauteur de mon épaule. Il veut être vu à la webcam, de toute évidence.

  • Salut. Je suis Aiden, Jay squatte ma chambre. Ne t'inquiète pas et rassure-toi, en fait il s'amuse beaucoup ici. Il sort tous les soirs et fait pleins de rencontres. Vraiment, on s'entend bien. Tu pourrais venir un de ces quatre, pour voir notre paradis.

Il a toujours une voix neutre, mais je ne suis pas dupe. Je sens son ironie, cachée derrière. Il a l'air... Enthousiaste. Je lui lance un regard noir et fais un sourire factice à Ma'.

  • Euh, bonjour... Aiden... Je suis Marie, la copine de Jay. Je suis... Je suis rassurée de voir qu'il a su s'intégrer alors. Tu me l'avais pas dit, hein, Jay ? Je t'en veux pas, tu peux sortir et t'amuser vraiment, je te jure, ça me va comme ça ! T'es pas obligé de faire semblant d'aller mal hein, profite de ce que tu vis, c'est unique ! Tout va bien chez nous en tous cas, Alex a encore fait une connerie, il a mis le feu au paillasson des Louis, il a dû faire un tour par la case commissariat et tout ce qu'il a trouvé à dire c'est "faut que j'en parle à Jay, c'était dément!" Nan mais t'y crois ? Ce crétin ! Et elle rit.

Je sens qu'un malaise s'est installé et qu'elle tente de faire la conversation pour ne pas laisser de blancs. Je sais pas comment me rattraper, je ne veux pas qu'elle me voit me disputer avec Aiden ou ce genre de choses.

  • Bon, ben c'était un plaisir de faire ta connaissance, Marie. Jay a de bons goûts, ça me surprend ! Et il lui fait un clin d'oeil - je vais le tuer - puis repart tranquillement sur son lit.
  • Ecoute ma belle, je te rappelle après, je viens de me souvenir que j'ai quelques petits trucs à régler. Il fait bientôt nuit chez nous alors tu vois...
  • Oui oui, je vois, pas de problème, on se parle après ! Bonne nuit, ça me fait bizarre de dire ça alors qu'on est en début d'après-midi ! Je t'aime ! Et elle coupe court tout de suite.

Je me retourne dans la direction d'Aiden avec ma chaise.

  • T'es pas sérieux là ? C'était quoi ce plan de merde ?
  • De quoi tu parles, Jay ? Je m'intéresse à toi et tes amis, j'essaie juste d'être sympa...

C'est dingue, je le vois pas mais je peux sentir son sourire sarcastique dans sa voix.

Je prends une décision. Je me lève et vais m'asseoir sur son lit, à côté de l'endroit où il est allongé.

  • Je te remercie de t'intéresser à ma vie, Aiden. Vraiment. Je devrais prendre exemple sur toi." je lui dis en le regardant droit dans les yeux avec un sourire brûlant de vengeance.
  • Je t'en prie, Jay, et il me rend son plus beau sourire d'hypocrite en retour.

Quand je me relève du lit, j'ai récupéré son téléphone sur sa table de nuit. Ni vu ni connu. Je n'ai jamais compris cette expression, mais chez moi, la vengeance n'est pas un plat qui se mange froid. C'est un plat avec lequel on se brûle.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Illuni ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0