Samedi 3 octobre, 8h.
- Mon coeuuuur ! Réveille-toi ! J'veux visiter ! me crie Marie en me secouant comme un prunier.
- Laisse-moi dormir... je réponds dans le vague, en me retournant.
- Allez allez allez, me reste plus que treize jours à profiter de toi, et le reste du temps tu seras au boulot...
Elle me fait cette moue boudeuse qui me fait fondre.
- J'arrive, descends déjà...
Elle va prendre son petit-déj' pendant que je comate un moment pour finir par me lever et aller prendre ma douche. Alors que l'eau coule sur mon corps, je réfléchis à tous les derniers événements. Ça fait beaucoup, ma tête va exploser. Je préfère faire ça de côté, sinon je sens la crise de panique arriver. Dormir dans la même chambre que ma copine et le type pour qui j'en pince - oui, j'ai enfin décidé de l'admettre - c'est très particulier et stressant. J'ai tellement peu dormi que je crois pouvoir dire que je n'ai pas fait de cauchemars cette nuit, et ça me rassure. J'aurais eu besoin qu'Aiden vienne me rassurer et je n'ai vraiment aucune envie que Marie me voit dans cet état. Ça a été mon secret pour un moment, et aujourd'hui je le partage avec Aiden. C'est à nous et je voudrais que ça le reste...
Quand je descends pour petit-déjeuner, je croise mon père, qui a l'air tout guilleret de m'avoir fait plaisir en invitant Marie, et ça me fait du bien de le voir comme ça. Je lance un regard sur la pièce et constate qu'Aiden est déjà parti. Il est peut-être de garde ce weekend.
- Alors, qu'est-ce qu'on fait ? me demande ma copine.
J'y ai pas encore vraiment réfléchi... Même moi j'ai pas vraiment fait le tour de l'île encore.
- On pourrait peut-être demander à tes amis ? J'ai envie de savoir avec qui tu traînes, quel est ton environnement...
Je pense à Matt et puis je me souviens de ce que m'a dit Aiden et ça me fout en rogne. Je n'ai pas envie de le voir en ce moment. Et je me rends compte que je n'ai pas vraiment d'autres amis...
- On... On va se balader, on verra si on croise du monde, je lui propose avec un faible sourire.
Je ne risque pas de croiser des gens que je connais.
On décide de sortir pour dix heures, histoire de profiter un peu du soleil pas trop tapant. Machinalement, je me dirige vers la maison de Matt parce que c'est ce que je fais toujours quand je me promène. Je m'arrête d'un coup, bien décidé à ne pas lui présenter celui-ci maintenant.
- Tu sais, c'est le chemin que je prends toujours. On va entrer un peu dans la forêt. J'y vais jamais.
Et je dévie ma trajectoire.
C'est seulement quand je me rends compte que je suis déjà passé par là que je prends conscience de ma bourde.
- Ouaaaaah, c'est magnifique ! Tu m'as emmenée ici pour le côté romantique ? elle demande en voyant la clairière et la cascade.
- Non, je m'suis planté de chemin, viens, on y va, je souffle en la tirant un peu par le bras.
- T'es fou ! On va se baigner ! J'ai toujours rêvé de tomber sur un endroit pareil !
C'est là qu'Aiden décide de sortir de derrière la cascade. Il nous regarde d'abord en écarquillant les yeux, puis ceux-ci lancent des éclairs. Je l'ai jamais vu dans cet état.
- Tu te fous de moi, Jay ?! Qu'est-ce que tu fais ici avec cette fille ?! il arrive sur nous, vraiment très en colère.
- Je l'ai pas fait exprès, je te le jure, on va partir tout de suite. Viens !
Et je tire Marie encore plus fort.
- Mais c'est quoi ton problème ?! elle se met à lui hurler dessus alors qu'il arrive à notre hauteur.
Ça le freine d'un coup. Je vois ses phalanges blanchir.
- Dégagez tout de suite. Revenez plus jamais ici. Je veux plus vous voir.
Il a repris son ton froid, mais ses sourcils froncés et sa mâchoire serrée parlent pour lui.
- Aiden, crois-moi, s'il te plaît. Je te promets que je savais même pas comment venir ici...
- Dégage ! cette fois il hurle.
- Viens, on rentre. Les enfoirés de première, c'est pas mon truc, elle siffle assez fort pour qu'il l'entende alors qu'il retourne derrière la cascade.
- Ferme-la, Marie. T'as rien compris.
Elle me regarde avec des yeux ronds. C'est la première fois que je lui parle comme ça. Je pars sans l'attendre et elle me suit tant bien que mal.
Dimanche 4 octobre, 13h.
C'est tendu. C'est très tendu depuis hier. Depuis qu'on est rentrés, elle n'a pas dit un mot. Elle est allée se coucher sans m'adresser la parole, elle semblait vraiment mal.
Et là, elle discute avec Luc et mon père, elle s'occupe comme elle peut. Elle est sortie toute seule sans me réveiller ce matin. Elle m'en veut énormément. J'ai toujours fait attention à être doux avec elle, affectueux, à bien lui montrer à quel point je l'aime, surtout avec ma difficulté à passer à l'étape supérieure. J'ai toujours fait gaffe à la rassurer parce que je sais qu'elle en a besoin. Et là, l'entendre parler comme ça d'Aiden sans rien savoir de lui, ça m'a mis en rogne. Et je sais que je suis responsable en plus, alors ça ne m'aide pas vraiment.
Il faudrait que je m'excuse auprès d'elle... Non ?
Je suis à table en train de manger, et elle n'a pas un regard pour moi. Le repas est très silencieux, on a tous le nez dans nos assiettes. La tension est palpable. Même Luc, d'habitude si enthousiaste, n'ose pas en placer une.
Une fois terminé, elle vient me voir.
- Il faut que je te parle, Jay.
Elle a l'air très sérieuse. Elle est toujours souriante, d'habitude. Je la suis sans rien dire dehors. On regarde ces vagues que je commence à tant apprécier, et on s'assoit tous les deux sur le sable.
- Est-ce que tu me trompes ? elle me demande de but en blanc.
J'écarquille les yeux. Et j'ai l'impression que tout mon sang vient de quitter mon visage.
- Quoi ? De quoi tu parles ? Mon coeur tambourine dans ma poitrine.
- Arrête, s'il te plaît. T'avais pas l'air content de me voir, c'est comme si je t'emmerdais. Tu me parles mal, j'ai le sentiment de te saouler depuis que je suis là. Tu me prends plus dans tes bras, t'as plus de gestes affectueux, j'ai l'impression que tu me mets de côté, je suis comme une gêne pour toi. T'as complètement changé depuis que t'es ici. T'es plus le même, Jay.
Elle dit sa tirade en me regardant dans les yeux et je sens qu'elle cherche une réponse en eux.
- C'est vrai, j'ai changé. Et... Et je, j'suis fatigué de tout ce qui m'arrive et j'ai du mal à m'adapter, et je viens d'apprendre des trucs compliqués sur mes amis alors... Je suis juste ailleurs, c'est tout.
Je baisse les yeux, incapable de soutenir son regard. Ce serait le bon moment pour rompre. Si je commence à me justifier vraiment, je vais seulement la rassurer, et si je la rassure, ce sera encore plus dur après. Alors que je me dis ça, je prends conscience de ce à quoi je suis en train de penser, et du soulagement que ça serait pour moi. Alors c'est vraiment fini... Mes souvenirs sont là, et je l'aime encore, mais plus... Comme avant. Je ne le savais pas. Je viens juste de réaliser.
- Tu es seulement ailleurs ? Tu me caches rien ? elle a l'air méfiante, elle lève un sourcil, et je sens dans ses yeux embués qu'il y a encore un peu d'espoir.
Je dois le tuer. Et je n'ai vraiment pas envie de la voir pleurer et de lui faire de mal.
- C'est... Compliqué, je dis en détournant encore le regard.
- Compliqué ? elle fronce ses jolis sourcils. Alors tu me caches vraiment quelque chose ? ça concerne une fille ?
Je me mords la lèvre. ça devient vraiment délicat.
- Non... Ça concerne pas... Une fille.
- C'est à propos d'Aiden ?
Je lève vers elle des yeux paniqués. Elle a compris ?!
- À propos d'Aiden ? Je répète comme un robot.
- Oui. Tu m'as dit que je comprenais rien hier. Comme si y avait un truc à son sujet. Qu'est-ce que je comprends pas ? Ça a un rapport avec sa rupture ?
Je pousse un soupir de soulagement à l'intérieur. Ouf, elle n'a pas compris... En même temps, comment une fille comme elle, confiante, jolie, adorable, pourrait se douter que son mec lui préfère un homme ? Je suis complètement tordu.
- On peut dire ça comme ça...
Je trace des cercles dans le sable. Je commence à me poser des questions. En fait, même moi je ne sais pas où j'en suis avec lui. J'ai l'impression qu'on a rompu il y a deux jours. Pourtant, on n'était pas ensemble, si ? Est-ce qu'on peut dire que je l'ai largué ? Même pour moi, mon message n'était pas clair. Et du coup, il attend quoi de moi, lui ? Il se positionne où ? Il faut que j'aille le voir, je dois lui demander. Je lui demanderai demain au travail, là il me fuit comme la peste. Je commence à paniquer, et quand je lève les yeux je vois que Marie attend que je développe. Mon cerveau va bientôt avoir un bug complet, ça ne va plus le faire.
- Écoute ma puce, là tout de suite, j'ai trop de choses en tête et c'est vraiment pas facile. Je peux pas t'en dire plus. Tu me fais confiance ?
Putain, pourquoi j'ai dit ça... Pourquoi je n'ose pas la quitter, pourquoi je n'ose pas la blesser, ce sera encore pire après...
- D'accord... Je te fais confiance.
Et elle me prend la main, puis pose sa tête contre mon épaule en regardant avec moi l'océan à perte de vue se déchaîner. Là tout de suite, ça ne me dérangerait pas d'aller m'y noyer.
Je suis un bel enfoiré. Un enfoiré de première. Un gros lâche. Même moi je ne me supporte plus. Qu'est-ce que je leur fais ? Je culpabilise tellement... Je suis perdu. Comment je vais gérer ça... C'était le moment idéal pour la quitter. Mais elle n'aurait pas pu partir tout de suite, elle n'aurait pas pu prendre un vol comme ça pour rentrer, non ? J'en ai encore pour plus de dix jours avec elle. Est-ce que je dois la quitter maintenant et la voir encaisser tout ce temps, sans lui permettre de profiter de ses vacances ici ? Ou est-ce que je dois plutôt attendre la fin et la quitter après deux semaines à être ensemble ? Après lui avoir donné tout cet espoir.
Alors que ma main caresse la sienne avec tendresse, ma tête est en ébullition. C'est une tempête à l'intérieur. Je ne sais plus quoi faire. Dans quelle merde je me suis fourré...
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