L'éprugeoir arbitraire

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Une petite nuit, dans un coin ficelé de chaleur, chantent en chœur jeunes et adultes. 

Il y a ce bon repas mérité, de foie gras, boudins noirs cuits, salades et cèpes en pagaille après une bonne pétanque. Trois ou quatre manches de treize de gagnés, de quoi être fier, j'en fortement comblé! Mon repos s'en est tiré, je l'ai bien mérité, ayant gagné ces fats hommes farauds. De leurs deux gros yeux, de leurs dents déchues, de leurs sourires acerbes et de leur voix criardes, je ne les ai même pas murés qu'ils continuent de piailler, en disant qu'ils ont la force, qu'ils ont la puissance! Je les regarde draguer des minettes, rire comme des porcs et triquer sur ces pauvres femmes dansant la salsa endiablée, comme des folles petites muses heureuses au coin du feu. Elles dansent, crient en folie, et elles reprennent, face à ces vieux pervers profiteurs de ces moments assez sensuels, autour des jeunes qui s'en réjouissent. Mais il y a aussi, ceux qui comme moi s'isolent, mais qui ont tout de même passé un bon moment. Deux trois manèges tournent à côté, des gosses en bas-âges qui espèrent y monter. Et des rigolades qui se ruent à Saint-Astier, dans un concours du titre de patrimoine. Non qu'il s'agisse de la plus grande foire de l'année, le Maire de Périgueux s'y mettait. Il balance ses boules sur le terrain, rit en cœur quand il rate le cochonnet avec la mousse de la bière qu'il buvait séchant sur sa moustache. Il y en a même qui en profite pour vendre leurs bovins et leurs bêtes, un coq au vin, des chevaux de trait, des veaux tout neufs et des tracteurs oubliés. C'est le marché de l'ancien monde, des ruades de la campagne qui se manifestent dans une assez grande ville.

Toute cette ambiance me fait penser à la fête du Moulin, à la Tour Blanche, où l'an dernier, une petite voulait aussi monter cette fois-ci, sur une moissonneuse-batteuse.

Elle avait quatre ans et moi seize ans. Il faisait chaud et beau, et moi-même buvais un verre en compagnie de celle que j'aime. Elle avait pour habitude de venir ici chaque année avec sa famille, deux fois par an, je crois. Les repas du déjeuner étaient servis sur de longues tables non loin d'une magnifique forêt émeraude, non loin de brocanteurs, promettant toujours la dureté et la résistance d'un peigne à cheveux qui  a plus de soixante ans. Je ne dis pas qu'ils sont tous menteur, car ils y en avaient de bien et c'était une bonne journée pour tous, tout rayonnait, les gens riaient, le moulin lui-même semblait chanter et montrer aux incultes comment faire de la farine. Je me souviens même que ce jour-là, une cinquantaine de dames, nommées: "Les Ménestrels Sarladais", dansaient un semblant de Madison et un brin de Musette. Les hommes quelques peu nombreux, dansaient la Guimbarde avec ces femmes de jupons et de pantys anciens, enjolivant la colline et ses pentes fleuries, pour ce concours de labour et de battage à l'ancienne. L'ambiance était telle que l'on en oubliait le grand cimetière et la nationale en bas de cette dune d'herbes  et de champs de foins. Il y avait du rythme, de la joie et je riais en embrassant ma bien-aimée. À côté de nous se tenaient ses grands-parents, qui jouaient au jeu de Dames tout en se bouffant du regard: "Tu as perdu  je crois!" disait le mari de la mamie de sa voix ironique et tremblotante. Et au même moment sous ces mots, la petite cria. 

Bien que cette fête soit grande, la musique fut le bruit du vent. Au loin, en direction du dernier cri, un groupe de personnes qui semblait être sa famille , se précipita vers la grande moissonneuse au repos. Le moulin semblait regarder cet enfant avec pitié et le soleil paraissait dévisager la famille. Une femme, je présume sa mère, déjà habillée en noir (à croire qu'elle avait prévue les funérailles) prit la petite dans ses bras et cria dans un souffle de douleur: "Dieu! Pourquoi m'as-tu pris mon bijou!". Et après l'énonciation de ce fabuleux surnom, elle se mit à se vider de ses larmes de souffrances.

Une fête culturelle des plus chaude qui soit, dévastée par une mort des plus algides et macabres, pour une faute ou un manque de surveillance, c'est probable. C'est un accident qui une nouvelle famille traumatisée et j'ai été moi-même égoïste à rire avec ma copine. Car si ce soir je reste seul, c'est que cette petite fille, c'était ma petite sœur.


Et je raconte cette histoire qui peut vous sembler douloureuse, mais quand on le vit c'est autre chose. Dans la solitude, comme je vous l'ai dit, je suis aussi toujours avec ma copine. Maintenant du haut de mes dix-sept ans, je reste un peu jeune et pourtant je dois tout supporter. Les cris d'une mère qui semblent avoir oubliée sa fille, un père en deuil, qui s'enferme dans son bureau pour dessiner. Une autre sœur qui toujours aussi superficielle, achète des fleurs pour penser à la pauvre petite et un dernier, mon petit frère, qui lui tout petit, ne se rend pas compte des choses. Il lui arrive juste de dire, d'une voix des plus sensible qui soit: "Camille me manque" ou encore: "Elle est où Camille?". Quand l'on revoit des fêtes en suivant sa famille enthousiaste à s'amuser et que dans cette ambiance noire l'on a l'impression de revivre  sans fin la même scène on a l'esprit détruit et généralement on en dort plus. Se sentir coupable ou non, je ne sais pas et même si je sais que ma chérie m'aime, je ne sais pas si je tiendrais. Je suis ici, assis au coin du feu, je regarde encore ces femmes danser et ces hommes commençant à les inviter.

Dans cette agitation et ce bruit je revenais à la suite des évènements. Car après une mort folklorique, c'est les ambulances, les pompiers, la police qui montraient le bout de leur nez. Je crois que la Tour Blanche n'avait jamais eu autant de patrouilles au sein de sa ville. Ils auraient pu venir pour  un apéro ou pour un incendie, mais c'était pour la mort d'une petite fille de quatre ans. Les flics font leur boulot, ils posent des questions, ils emmerdent leur monde et cherchent des indices pour vérifier s'il s'agit d'une mort naturelle. Je me demande s'ils le font exprès! Sur le coup, je restais vide et ma copine me tenait par la main, me regardant de ses perles de compassions. Elle semblait si triste! Toujours aussi chaotique, je me levai, lâchai sa main, fuyant son regard qui voulait que je reste et m'approchai de ma famille. Ma mère en pleurs me dévisagea en me sortant: "On regardait le moulin! Tu n'as pas d'autre chose à faire que rouler des galoches à Laurianne? Et puis si tu la regardais, tu aurais pu courir la chercher! Tu as d'assez grande jambe, et puis...". Elle se mit à fondre en larmes, c'était un accueil des plus chaleureux. Et pour rajouter de l'ambiance, les poulets s'y jetèrent en brochettes. Ce qui semblait être le coq de  cette cour procédurière, dit d'une voix hautaine à mon père: "Alors ce bout de chou! Il avait quel âge? On a regardé un peu tout et le bébé a eu une chute anormale, certes il est mort, mais il est trop éloigné du camion pour qu'il soit tombé tout seul. Connaissez-vous des personnes qui en voulaient à ce gosse? Connaissez-vous" Mon père le coupa: "Vous êtes con! Ou vous le faite exprès? Vous voyez bien que ma femme, et en pleure et vous ce qui vous intéresse, c'est savoir qui a tué le bébé? Et c'est une fille! Elle s’appelait, elle s'appelle Camille ! Ce n'est pas une expérience à démêler, elle est morte, on ne peut rien y changer! Alors merci pour votre aide mais vous pourrez nous soutenir quand vous réussirez à la ressusciter!". Mon père en fondit en larmes, cela me brisait le cœur.

Six semaines après, l'accident passa dans quasi-tous les journaux, le Sud Ouest, Dordogne Libre, même a radio France Bleu Périgord, et j'en oublis! Dessus figurait un article où les flics ont eu l’audace de présumer trois coupables de ce qu'ils disent être un crime: "Nouvel accident en Dordogne, il y a six semaines, dans les alentours de la route d'Angoulême, à la Tour Blanche, pour une fête du moulin, une famille de six personnes a perdu leur dernier enfant. Elle serait tombée d'un camion. Mais après analyse du terrain et de la morte, l'on suppose qu'il s'agisse d'une personne de la famille, (l’hypothèse du père qui en avait marre, ou de l'ainé qui était jaloux de la dernière a été prononcée) ou sûrement du  conducteur de l'engin qui aurait poussé la gamine.". Cette article me mis en rogne et mes parents me virent plus sortir de ma chambre pendant plusieurs mois (enfin, sauf pour manger!). La maison fut vite silencieuse comme une église, il n'y avait plus de sourire ni même de bruit. En nous arrachant un membre de la famille, c'était comme tuer la famille entière.

Et aujourd'hui me voici à vous raconter cette histoire, dans une autre fête, où dansent les gens, où s'amusent les enfants et où les paysans vendent leurs outils. L'affaire n'alla pas plus loin que cet article, notre famille reste encore démolie, à croire que parfois c'est moi qui suis le plus touché. Et au lycée, tout le monde me regarde de travers. La police n'a jamais pu trouver qui était le coupable, c'est bien dommage! Mais maintenant quelle importance... 

Alors quand ma copine partit rejoindre son père qui jouait à la pétanque, je me dirigeai en direction de la zone d'entrainement de la gendarmerie, je grimpai jusqu'en haut du ravin, et ne supportant plus cette histoire, je pris connaissance que l'Homme ne volait pas comme les oiseaux...



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