Chapitre 5
Chapitre 5
21 octobre 1944
Sept SS nous sortent de force de la camionnette et nous conduisent vers des wagons situés tout à l'arrière du train. Je serre mes bras contre ma poitrine pour tenter de me réchauffer. En vain. Il faisait tellement froid et humide. Un couple avec son enfant tentaient aussi de se réchauffer en se serrant les uns aux autres.
" J'aimerais tant que vous soyez là papa, maman et toi, mon petit frère..."
Ils me manquent tellement. J'ai mal.
Je marche à vive allure pour ne pas être à la traîne. Je ne veux pas connaître le même sort réservé aux retardataires. Un couple de vieillards en a fait les frais. Abattus sur le champ. Personne n'a osé se retourner d'ailleurs.
Nous arrivons enfin devant les wagons. Les SS ouvrent leurs portes. "Pouah ! Quelle odeur !" Mon Dieu comme ça pue. C'étaient des wagons à bestiaux. Un à un, ils nous forcent à coup de crosse à monter à l'intérieur. C'est affreux. Dedans, une odeur de déjection, de vomi, de cadavre... bref, c'est insupportable, empeste tout le baraquement.
Je me fais bousculer, à mesure que mes autres compatriotes se font pousser par les SS, afin de pouvoir tous nous faire rentrer dans le wagon. C'est à peine si on peut respirer. Juste avant qu'ils ne referment la porte, j’aperçois sous le bras d'une femme, d'autres personnes (probablement juives), descendre du wagon attelé en face du nôtre et "boum ! ", la porte se referme.
Nous avons bien attendu dix minutes, avant que le train ne démarre enfin. La secousse du départ nous a tous fait tanguer, mais nous étions tellement serrés les uns contre les autres que personne n'est tombé. Nous voilà partis, mais où.
J'aperçois le monsieur de tout à l'heure, celui avec la montre. J'en profite pour regarder l'heure. "13h23". Bon, j'ai toujours faim.
"14h00"
"14h37"
"15h17"
"16h03"
Déjà deux heures et demi environs qu'on voyage, debout, sans pouvoir s'asseoir. J'ai de plus en plus faim, et je ne pense pas être la seule. J'entends le gargouillis des ventres d'autres personnes crier famine également. Un petit garçon se trouve juste en face de moi. Depuis notre départ, il n'a pas bougé. Il est resté collé à sa mère. Il me regarde, inquiet. Je tente un sourire pour le rassurer, mais son regard demeure toujours inquiet.
Je détourne les yeux pour aller les poser plus en avant. Je vois un monsieur donner une sorte de pot, ou peut-être un seau, je ne sais pas, à un autre monsieur. Celui-ci commence par baisser sa braguette et.. "Oh !" Difficile de se retenir depuis le temps que l'on voyage. Le plus étonnant, c'est que personne n'y prête attention. En même temps, étant donné les circonstances, une personne qui fait sa petite affaire comparé à ce qui nous attend une fois le train arrêté... on s'en fiche.
Le train siffle, et commence à ralentir. Il est quelle heure? Mince, je ne vois plus le monsieur. Tant pis. Et où sommes nous ? On ne voit rien.
Nous attendons tous devant la porte. On sait qu'elle va s'ouvrir d'une minute à l'autre.
On attend.
On attend. Toujours rien.
Là, un homme qui regardait à travers une petite ouverture, nous dit que les SS font descendre des wagons pleins de juifs et qu'ils les séparent en trois groupes : les femmes, les hommes et les enfants. Le petit garçon de tout à l'heure commence à pleurer. Il ne veut pas être séparé de ses parents. De nouveau, l'homme nous annonce qu'un SS s'approche de notre baraquement. Mais, contre toute attente, il ne l'ouvre pas. On se sait pas pourquoi. On ne comprenait pas ce qu'ils se disaient entre eux mis à part "Schnell !".
Nous restons un moment sur place, immobilisés. Et j'ai toujours faim.
Et là, le train siffle et se remet à trembler. Ça y est, nous voilà repartis. Mais pour aller où?
Mon monsieur avec la montre, je l'aperçois de nouveau. Il est "17h06".
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