Chapitre 13
Chapitre 13
- Stehen ! Stehen ! Arbeit ! Schnell !
"Oh non... pas encore..."
Je n'en peux plus d'entendre ces mots, ces voix.
Je ne veux pas me lever, je ne veux pas aller dehors et rester debout durant des heures. Je ne veux plus travailler dans cet entrepôt minable, à faire et refaire les mêmes tâches répétitives durant des heures. Être obliger de trier le linge de pauvres enfants morts. Je suis si fatiguée, si vidée. Chaque jour qui passe est une torture. Je me demande encore comment je fais pour être en vie. je suis si affaiblie physiquement et moralement.
Ça va faire maintenant... pfff... Je ne sais même plus depuis combien de temps je suis ici. J'ai perdu la notion du temps. Tout ce que je sais, c'est qu'il fait de plus en plus froid. Et avec la fumée des cadavres qui brûlent en permanence, j'ai l'impression qu'il fait nuit tout le temps ici.
J'ai dû perdre au moins quinze kilogrammes depuis mon arrivée, voire plus. Je ressemble à toutes les femmes d'ici, squelettiques, sans forme, sans force. Pourtant, je me souviendrais toujours de ce que m'a dit Jessica : "Tu as de la chance d'être au tri. Mais quand ils en auront marre de voir ta tête, ils te mettront au travail forcé". Je travaille pourtant encore à l'entrepôt mais ce n'est pas une chance. C'est quand même épuisant. Surtout lorsque l'on n'a quasiment rien avalé depuis des semaines à part du pain moisi et de l'eau.
Mon uniforme est vétuste, troué, délabré et sale ; souillé par la boue et mes propres excréments. Pourtant, il a été changé une fois depuis mon arrivée ici. De même pour mes chaussures, mais elles me font horriblement mal. On dirait que les semelles sont faites de bois. Elles ne sont pas du tout confortables. J'ai aussi un gilet dont la matière est semblable à du crépi. Il me pique et me gratte.C'est inconfortable. Avec tout ça, je me demande encore comment je suis passée à travers les maladies. Remarquez, je suis peut-être porteuse d'une cochonnerie, mais j'en ignore encore l'existence.
- Stehen !
Bon sang, ils nous rappellent à l'ordre. Il faut se lever. J'ai du mal mais je me force.
Nous sortons toutes dehors.
" Oh Seigneur, il neige ! "
Il y a au moins dix centimètre de neige au sol. Je ne distingue plus mes pieds.
Comme à notre habitude, nous nous rangeons sur cinq colonnes de dix rangées. Je suis à la troisième colonne, rangée cinq.
Et voilà, j'attends debout. J'attends dans la neige. Elle consume mes pieds à petit feu. Mais je ne peux, non, je ne veux pas bouger. Je ne veux pas leur donner ce plaisir.
Une femme tombe au sol. Si ma mémoire est bonne, je crois qu'elle est arrivée au camp il y a peu de temps. Un Allemand s'approche d'elle et lui donne des coups de pieds. Elle ne réagit pas. Elle est sûrement morte.
Une deuxième tombe un peu plus tard. Elle est épuisée. Les Allemands lui hurlent dessus et la menacent avec leur arme. Elle pleure et ne peut plus se relever. Elle est exécutée.
Je ne vous l'ai pas dit mais Jessica est morte elle aussi. Le typhus l'a emporté. Ils l'ont pourtant emmenée à l'infirmerie mais bon... Nous savons très bien que les prisonniers qui sont emmenés là-bas n'en reviennent jamais. Elle a été consumée depuis longtemps par les flammes de l'enfer qu'est Auschwitz.
Entre-temps, de nouvelles arrivantes sont venus remplacées les nombreuses mortes de mon baraquement. J'ai plus ou moins sympathisé avec certaines d'entre-elles.
Une chose me fait halluciner depuis que je suis ici. On est toutes dans la même galère et pourtant, certaines n'hésitent pas à vous voler, pendant que vous dormez ou que vous êtes sur le point de mourir, votre pain, votre couverture et même votre uniforme. Il n'y a pas ou peu de solidarité ici. C'est chacune pour sa gueule. Oui, chacune pour sa gueule.
Moi, malgré mon état affaibli, je ne peux pas raisonner de cette façon. Et pourtant, nombreuses sont les filles qui sont mortes à mes côtés. Jamais je me suis permise de leur voler quoi que ce soit.
" Drinnnnnggggg !"
La fameuse alarme. Enfin nous pouvons bouger.
Durant ce calvaire, dix femmes sont mortes : d'épuisement, de maladie, ou par exécution.
Les Sonderkommandos rappliquent. Il en sort de partout ! Comme chaque matin, ils font le tour de tous les camps et ramassent les corps qu'ils chargent ensuite dans des brouettes, avant de les déshabiller et de les emmener dans les fours crématoires.
On m'emmène comme chaque matin depuis que je suis ici à l'entrepôt. ce jour-là, lorsque j'entre à l'intérieur, un visage familier m'apparaît. Un visage que je n'avait pas revu depuis longtemps, et je m'en réjouissais d'ailleurs. Fixateur est là.
Il ne me regarde pas.
"Ouf."
Quel soulagement !
Je commence mon travail.
Je vide les poches d'un pantalon. Il y a de l'argent et des bijoux dedans. Je vais donc vers les coffres pour y déposer ma trouvaille et là, Fixateur me prend par le bras et prend le contenu qui se trouvait dans ma main. Il me regarde.
Là, j'ai peur. Son visage... son visage se décompose. Je pense qu'il ne m'a pas reconnue lorsque je suis entrée tout à l'heure. C'est sûr, je suis complètement amaigrie et affaiblie par rapport à la dernière fois qu'il m'a vue. Je me demande à quoi je ressemble d'ailleurs. Je donnerais cher pour voir ça.
Je le fixe de mon regard vide. Il a l'air choqué. J'entrevois presque de la pitié. Il jette un coup d’œil à son coéquipier qui fumait sa cigarette et nettoyait son arme. Il pose de nouveau son regard sur moi.
"Il a de la compassion. je n'en reviens pas !"
Il relâche la pression et me demande de déposer l'argent et et les bijoux dans les coffres.
Puis, il retourne s'asseoir.
Un officier entre dans l’entrepôt. Les deux compères se lèvent pour accueillir leur partenaire.
Depuis le temps que je suis ici, je commence à comprendre l'allemand. Il est question de transfert. L'une d'entre nous va être transférée au travail forcé.
Malheureusement, je reconnais le chiffre que l'officier appelle.
Fixateur se retourne vers moi.
- Ich nahm ihn, dit-il.
Ce qui veut dire " je l'emmène".
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