Chapitre 17
Chapitre 17
Je suppose que l'on est le vingt-cinq décembre aujourd'hui.
La veille au soir, les Allemands étaient particulièrement excités, festifs, bourrés mais pas plus violents que d'habitude. Comme vous vous en doutez, la violence ici est déjà à son extrême. On peut difficilement faire pire.
En revanche, les exécutions ont été beaucoup plus nombreuses.
Sans raison, les SS venaient dans nos baraques, nous sortaient de force de nos châlits, nous sélectionnaient et nous achevaient en criant " Frohe Weihnachten ". Comprenez par là " Joyeux Noël ". Et cela passait par différentes formes de tortures : viols, coups, morsures de chiens... Certaines étaient brulées vives, d'autres enterrées vivantes.
J'ai eu la chance d'en réchapper. Mais les cris, les pleurs et les supplices de ces pauvres femmes m'ont empêchés de dormir toute la nuit.
Ce matin, l'Appel a un goût de sang.
Il neige abondamment. J'ai ôté mon gilet avant de sortir pour le donner à une femme complètement meurtrie, prénommée Édith. Depuis que je suis arrivée ici, cette femme est présente. Et Dieu seul sait comment elle a fait pour survivre jusque là. Surtout pour faire du travail forcé. Elle est tellement pâle et amaigrie, limite fantomatique.
Il y a quelques jours, je l'ai entendu dire qu'elle gardait son pain pour le jour où ses filles, Anne et Margot, lui reviendraient. Elles ont été transférées vers un autre camp peu de temps avant mon arrivée ici. Elle grelottait tellement que je n'ai pas pu m'empêcher de lui donner mon gilet et de lui dire que ses filles lui reviendront un jour.
J'espère avoir raison...
La neige recouvre mes pieds. Je ne les sens presque plus. Tout comme mes mains. Mon corps entier est un glaçon. Ma respiration est rapide, mais j’essaie de ne pas trop bouger. Je ne veux pas me faire remarquer par les SS. Surtout après ce qui s'est passé cette nuit.
Alors que la neige continue de tomber en grosse quantité, le médecin SS passe dans les rangs et nous ausculte. Une quinzaine de femmes sont mise de côté. Lorsqu'il vient à moi, il me regarde. Il fait vite fait le tour de mon état de santé et remarque des plaques de boutons sur mon avant-bras.
" Merde. "
Il note quelque chose sur son calepin et, contre toute attente, il passe son chemin.
" Ouf. "
Dix-sept femmes sont emmenées en direction de l'infirmerie, huit sont mortes de froid durant l'Appel.
L'alarme retentit. Enfin, c'est fini. Mais je reste figée. Mes pieds sont complètement congelés, j'ai du mal à les bouger.
J'entends hurler " Halt ! "
Un SS débarque. Toutes se retournent dans sa direction.
D'un pas décidé, il vient jusqu'à moi et m'empoigne le bras. Mes pieds se décolle du sol et je tombe, tellement ils sont engourdis. Il me tire par les cheveux et me conduit jusqu'aux toilettes en me trainant comme un vulgaire sac de patates.
Une fois à l'intérieur, il ferme la porte et me pousse contre le mur.
- Il n'est pas question que Franz soit le seul à en profiter. Moi aussi je veux ma part, me susurre-t-il. C'est Noël aujourd'hui et je compte avoir mon cadeau.
" Seigneur ! C'est le SS qui nous a surprit lorsque Franz et moi sommes sortis des toilettes la dernière fois qu'il m'a expliqué vouloir me sauver. "
- Tu es à moi.
J'ai peur. Je me débats mais il me retient par les bras. Il me demande d'arrêter mais je continue à me débattre. Pas question qu'il s'amuse avec moi, je ne suis pas un jouet.
Il devient colère. Il prend de l'élan avec son bras et me colle un coup de poing en plein visage. Je suis étourdie et tombe à terre.
Il en profite pour se jeter sur moi et me retirer mon pantalon. Je suis encore sous le choc du coup. Je ne peux rien faire, mis à part hurler. Alors, je hurle. Je hurle de toutes mes forces. Il me colle sa main assassine devant la bouche et me chuchote à l'oreille :
- Personne ne viendra te sauver. Ferme-la sale chienne et laisse-toi faire.
Il me lèche le lobe de l'oreille. J'essaie de me débattre, mais son poids m'empêche de bouger les jambes. Il défait sa braguette et sa ceinture.
" Non, pitiez. Je vous en prie Seigneur, aidez-moi... "
Tout en me tenant la bouche, il m'écarte les jambes à l'aide de ses jambes et de sa main libre. Je tente de résister mais il est bien plus fort que moi.
Je sens un truc dur et chaud contre mon ventre. Ce truc essaye d'entrer en moi. Je sais de quoi il s'agit. Je pleure et j'essaie de hurler. Je crie mais personne ne m'entend. Je pleure. Je me débats...
Il est trop fort.
J'écarquille les yeux. Je sens cette chose dure pénétrer mon intimité. C'est horrible. C'est affreusement douloureux et le pire, c'est que je ne peux rien faire mis à part pleurer de douleur.
Je sens cette brulure en moi, elle s'en va et revient par à-coups. Mon corps ne me répond plus. Il est vide, inerte. Je n'arrive même plus à pleurer. Je deviens une marionnette à la merci de son tortionnaire. Je subis ses mouvements. Je ne prie même plus, car à cet instant, Dieu n'existe plus pour moi. Il n'est pas là pour couper les cordes qui me retiennent prisonnière de mon bourreau. Je suis seule et je me fais violer.
Mon calvaire dure et dure encore. Je ne sais pas depuis combien de temps ça dure. J'ai horriblement mal et lui, il continue de prendre son pied.
J'entends des voix dehors. Mon bourreau met fin à son plaisir et à mon calvaire. Je reste à terre, incapable de faire le moindre mouvement.
- C'est bien petite, tu as compris qui était le chef.
Il me crache dessus.
- La prochaine fois, ce sera plus violent encore.
Puis, il sort.
Je l'entends discuter avec quelqu'un mais impossible de comprendre quoi que ce soit. Je suis complètement ailleurs, perdue dans un monde parallèle. Je viens de me faire violer. Ma virginité était la seule chose qui me restait encore de potable ici. C'était la seule chose que l'on ne m'avait pas volée. Maintenant, je n'ai plus rien.
Je me mets soudainement à pleurer à chaudes larmes, recroquevillée sur moi-même. Je n'ai pas encore seize ans et je viens de subir un acte forcé. J'ai toujours pensé que ma première relation sexuelle allait être préparée, que ma maman allait tout m'expliquer, dans la complicité.
Malheureusement, maman n'est plus là et j'ai été le jouet sexuel d'un nazi sanguinaire. Je me mets à crier.
Quelqu'un rentre. Je n'y prête pas attention. Je suis prête à mourir maintenant.
La personne s'avance vers moi. Je l'entends. Elle s’accroupit.
- Tiens, remets ton pantalon.
Cette voix masculine, je la reconnais.
Je regarde l'individu. C'est Franz.
Prise de colère, je me lève et le frappe.
- Tout ça c'est de ta faute. Je ne dois pas te faire confiance. Tu m'as trahie. Tu m'as dit que tu allais me...
Il me plaque sa main sur ma bouche et m'empêche de continuer à le frapper.
- Je ne t'ai pas trahie. Je n'étais pas au courant de ce qu'il allait te faire je te le jure. Je suis passé dans ton camp et on m'a dit qu'un SS était venue te chercher. Quand je l'ai vu sortir des toilettes, j'ai compris que...
Il se tait.
- Remets ton pantalon s'il te plait.
Il retire la main de ma bouche et se retourne.
Je me remets à pleurer. J'ai mal au vagin. J'ai du sang entre les jambes et je ne peux pas plier mes jambes.
- Je n'y arrive pas, lui dis-je. J'ai trop mal. Il m'a fait mal. Aide-moi.
Il se retourne et me regarde. Il est gêné et effrayé. Je ne sais pas si c'est à cause de ma nudité ou de ma maigreur. Il baisse de nouveau les yeux.
- Non, fais-le toi-même.
Une colère s'éprend de moi. J'enlève mon haut et crie sans trop élever la voix.
- Regarde-moi et affronte ce que ton peuple me fait subir. NOUS fait subir. Aller, regarde-moi soldat Franz !
Je l'engueule. Je me surprends même à le tutoyer. Je n'ai plus peur de lui, ni de ses amis nazis.
Il se retourne, hésitant.
Lorsque son regard se pose sur mon corps, ses yeux vacillent. Il a du mal à garder son regard sur moi. Il se pince les lèvres.
- C'est ça, regarde ce qu'ils font de nous. Ils nous déshumanise. Ils nous tuent à petit feu, ils nous torturent par la faim, le viol, l'humiliation. Nous ne sommes plus que des ombres de nous-même.
Il s'approche de moi.
- Je suis désolé. Sincèrement. Je t'en prie, rhabille-toi s'il te plait. Tu n'es pas la seule que j'ai vu dans cet état. Et contrairement à ce que tu peux penser, c'est une déchirure. Chaque jour qui passe est une souffrance pour moi, mais aussi pour d'autres Allemands.
" Nous sommes une petite poignée à essayer de sauver des juifs d'ici et d'ailleurs. Un certain Oskar Schindler est venu ici il y a quelques temps déjà. Il a fait en sorte de sauver des ouvrières juives pour les faire travailler dans un camp d'administration. Il en a aussi sauvé venant d'autres camps. Même des enfants. Mais il est surveillé et a de plus en plus de mal à en sauver. Cet homme est un héro.
" C'est à nous maintenant d'essayer de sauver quelque uns d'entre vous. Mais nous sommes une minorité et il est difficile de sauver beaucoup de juifs en même temps. Surtout sans éveiller les soupçons. Si jamais on venait à nous surprendre, nous nous ferions exécuter sur le champ et personne ne pourrait vous sauver. Vous seriez vous aussi exécutés avec nous. Et je n'ose imaginer comment.
J'écoute son récit avec attention. Ce qu'il vient de me raconter est tout simplement hallucinant et incroyable.
- Quand tu dis "nous", tu veux dire combien d'Allemands ? Combien essaient de nous sauver ?
- Dans ce camp, il n'y en a que trois.
- Trois ? C'est si peu... Et combien avez-vous sauvé de juifs ?
- Un seul. Un homme de trente-trois ans. Il y a six moi de cela.
- C'est toi qui l'a sauvé ?
- Non. J'ai essayé de sauver quatre juifs et deux juives mais...
- Mais quoi ?
- Je ne suis jamais arrivé à temps. Tous sont morts de faim, d'épuisement ou d'exécution.
Je suis décomposée.
- J'ai encore une question, lui dis-je. Comment tu choisis ? Comment tu choisis les juifs que tu dois sauver ?
- Je n'aime pas ta question.
- Réponds, s'il te plait.
" Oh, je deviens polie. "
- En fait, je n'en sais rien. C'est automatique. Quand je regarde un juif ou une juive, je me dis " c'est celui-ci " ou "celle-là " que je dois sauver. Je n'ai pas de critères de sélections. Pourquoi lui et pas un autre ? je n'en sais rien. C'est instinctif. Il ne faut pas se poser cette question sinon, on ne s'en sort pas. C'est impossible de tous vous sauver. Il faut faire un choix, c'est tout. Pourquoi toi ? Je n'en sais rien...
J'en reste sans voix.
Je me rhabille, silencieuse, malgré la brûlure.
- Je vais t'emmener au travail forcé maintenant. Tâche d'avoir l'air... (Il me regarde de haut en bas.) En fait, tu es parfaite. Ils ne se douteront de rien.
" Parfaite ?! "
Nous sortons. Personne en vue.
Je suis couverte de sang et de boue.
Je le suis avec difficulté car j'ai encore mal suite à mon agression. Je tords des fesses.
Tout en me conduisant au camp, il arrive à me dire ces quelques mots.
- J'ai entendu dire que L'Armée Rouge progressait. Si ça se trouve, ils seront bientôt là. J'espère te sauver bien avant leur arrivée. Sinon, cela risque d'être compromis.
L'Armée Rouge. Je souris du coin des lèvres. C'est la première bonne nouvelle que j'entends depuis deux mois.
" Je vais peut être survivre. "
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