Le passé n'a qu'un œil
Alors que les grandes portes d’Orpalia se tenaient majestueusement devant eux, Astra s’adressa à son compagnon de voyage :
- Raffi, peux-tu m’expliquer pourquoi tu n’étais pas devant la porte lorque je suis sortie de la boutique ?
Elle attendit la réponse de son valet. Il s’était arrêté, quelques pas derrière la jeune femme et frottait sa barbe entre ses doigts, signe qu’il réfléchissait avant de donner sa réponse. C’était un processus si rare qu’Astra n’osa reposer sa question de peur de le déconcentrer.
- J’ai senti un fumet délicieux et je l’ai suivi.
Il haussa les épaules comme s’il était normal d’abandonner son poste pour aller manger.
- Ton estomac nous perdra, déclara Astra avant de changer brutalement de sujet. On va faire un petit tour dans la ville. J’irais bien me laver avant de repartir.
Depuis trois jours qu’ils avançaient sur les routes, les deux Orpaliens ne s’étaient pas changés et Astra portait en horreur la saleté.
Elle farfouilla quelques instants dans une besace suspendue au flanc du naq avant d’en sortir une carte. Elle la déplia sans faire attention au trou cendreux sur le haut du croquis, dommage collatéral d’un combat avec un dragon des airs. Son doigt se balada sur le parchemin avant de s’arrêter sur l’entrée Sud-Est : ils se trouvaient à cet endroit. Elle remonta son index le long des rues, tourna au coin des Axes avant de pointer un lieu ultime. Bains mixtes publics, était-il écrit. Elle montra le point à Raffi qui hocha la tête. Lui aussi se sentait sale.
Ils s’engagèrent dans la ville, Astra en tête, guidant sa petite troupe dans le dédale orthogonal, tournant aux angles des rues là où la carte l’indiquait. Mouiq suivait sa propriétaire, le chargement des voyageurs sur le dos tandis que le grand Raffi fermait la marche, assurant la sécurité du groupe.
Bien qu’elle n’aimait pas cette idée, Astra du se résoudre à emprunter la ruelle Quart-Sud-Est-Est afin d’arriver assez tôt pour éviter bousculades et cohues. Les raccourcis à Orpalia n’avaient jamais été les rues les mieux fréquentées aussi elle prévint Raffi de la possibilité d’une agression sur leur chemin. Il se mit aussitôt sur ses gardes, renvoyant un regard menaçant à quiconque tentait de les approcher. Ainsi, grâce à la taille impressionante de son gardien, Astra, son naq et le bon Raffi arrivèrent sans encombre Place du Grand Mât. Il ne leur restait qu’une ruelle à traverser : l’établissement des bains publics se trouvait au croisement de l’Avenue de la Richesse et de la diagonale Quart-Nord-Ouest-Ouest. Cette dernière était aussi mal fréquentée que son homologue du sud aussi Astra décida qu’ils n’avaient pas temps à perdre. Plus vite ils seront arrivés à destination, plus vite cette rue se trouvera derrière eux.
La quatrième cloche de la journée sonna et les gens commençèrent à sortir des bâtisses mitoyennes alentours. Notre petit groupe pressa le pas, bousculé de tous les côtés. Raffi grognait à quiconque essayait de s’approcher mais la foule devint bientôt si dense qu’il ne put rien faire pour défendre ses compagnons. Bien qu’elle ne soit pas agoraphobe, Astra détestait être ballotée dans tous les sens. Elle sortit son poignard et le pointa devant elle. Les gens, effrayés par l’arme, s’écartaient – parfois involontairement – de la jeune femme. Ainsi, un petit sillon s’ouvra devant eux et ils purent avancer sans louvoyer.
À peine un pied fut-il posé sur les pavés de l’artère Quart-Nord-Ouest-Ouest qu’ils furent en mesure de respirer. Les habitants respsctables d’Orpalia n’osaient pas s’aventurer dans ce chemin sombre. Astra garda sa main crispée sur son couteau tandis que Raffi redoublait de vigilance. Un trollin, une créature de très petite taille, vile et malicieuse, passa devant eux et Mouiq hennit, effrayé par la figure difforme du nain. Raffi posa une main habile sur le dos de l’animal pour le calmer alors qu’Astra saisissait sa bride. Il devaient éviter à tout prix éviter de se faire repérer dans un endroit tel que celui-ci. La jeune femme pria tous les dieux de sa connaissance pour que le naq arrête de ruer avant qu’il n’ai alerté la totalité des truands de la ville. Malheureusement, son vœux ne parut pas être exaucé car elle entendit une voix l’appeler derrière elle :
- Astra Om’atîs, quel plaisir de te rencontrer ici !
Elle se retourna, non sans frustation. Le cri qui l’avait interpellé provenait d’un jeune humain, approchant la trentaine. Il portait un cache-œil noir masquant sa pupille gauche et Astra en fut troublée : la dernière fois qu’elle l’avait vu, on pouvait librement plonger dans ses deux yeux sans être gêné par un bout de tissu sombre.
- Leonidz Os’traegan, que, diable, faîtes-vous là ? s’étonna-t-elle.
Dans son dos, Raffi avait réussi à apaiser Mouiq.
- Je pourrais vous retourner la question, ma chère, s’amusa-t-il, la sourire aux lèvres.
Son attitude commençait à agacer sa «chère» et elle se décida à abroger la discussion. Se tournant vers Raffi, elle lui demanda :
- Ne trouve-tu pas qu’il y a comme une drôle d’odeur dans l’air ?
Son valet, naïf comme il l’était, prit sa question au pied de la lettre et commença à renifler l’air ambiant.
- Ça ne sent pas très bon, mademoiselle. Mais c’est normal, il y a trois jours que nous ne nous sommes pas changés.
Avec lassitude, elle soupira. Leonidz éclata de rire face à la franchise de Raffi. Confus, ce dernier se mit à rougir.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire, contra Astra. J’avais plus dans l’idée de parler de la puanteur que dégage cet homme (Elle pointa Leonidz du doigt.). La lâcheté est quelque chose de très malodorant.
Le jeune homme cessa de s’esclaffer pour la fixer de son unique œil. Il bafouilla, mal à l’aise :
- Ce n’est pas… Enfin, je n’ai pas…
Astra leva une main pour le couper.
- C’est du passé. Je l’ai enterré sous plusieurs pelletés de terre avec leurs corps. Alors, j’aimerais que tu ne viennes pas remuer la couteau dans la plaie.
Elle marqua une pause destinée à reprendre ses esprits et à chasser les larmes qui ne manquait jamais de couler à l’évocation des funérailles de ses amis. Voyant sa détresse, Leonidz posa sa main sur son bras, dans un signe de réconfort. Astra se dégagea vivement.
- Ne me touche pas, murmura entre ses dents.
Surpris par l’attitude de la jeune femme, bien différente de celle qui l’avait connue à l’époque, Leonidz écarquilla les yeux.
- Maintenant, si tu veux bien nous laisser, nous allons y aller.
Elle bomba le torse, le contourna sans le laisser répondre et la petite troupe se remit en marche, Raffi sur ses gardes, Astra plus troublée par la rencontre qu’elle ne l’aurait avoué.
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