Greta IV
- Je sens que c’est différent cette fois-ci. Il se passe quelque chose de nouveau. En moi. À chaque instant. Avec lui. On fait tout ensemble. Notre toilette, notre lit, la cuisine, les courses, les loisirs, l’aménagement de la Caserne à notre goût et on fait l’amour soir et matin pour s’endormir et se réveiller, comme d’habitude j’allais dire mais non, il y a autre chose, je ne sais pas si c’est en plus ou en moins mais ça ne vient pas de lui ou de moi.
- J’ai peut-être la réponse Greta. Ça a sans doute déjà commencé. Un nouveau cycle. Les Chevaliers de l’Apocalypse l’ont découvert et ils s’y préparent. Quand on sera assez nombreux, on ne pourra plus se reproduire. Comme on ne pourra plus se reproduire, on ne sera plus obligés de s’aimer. Plus de A, plus de S. Nous seront condamnés au seul I. Mais ils ont trouvé une alternative à tout ça. Se soustraire aux ondes pour retrouver le A et le S mais ça ne se fera pas sans conséquence, il y a un prix à payer, celui de la mortalité. Disparaître pour laisser la place à nos enfants. Ils ne m’ont pas choisie parce que je ne croyais pas en toi. Pas seulement. J’ai le profil d’une Ange Noire parce que je ne suis pas encore stabilisée dans l’immortalité. Je suis encore en train de grandir. Chaque jour je suis plus belle que la veille. Dans deux ans je n’aurai que 18 ans. On se stabilise à 25. Toi, comme tous les terriens, vous êtes déjà passés par là. Ça sera plus facile pour vous je pense.
- Non Clémence. On est pas vraiment prêts à vouloir revieillir et remourir parce qu’on sait ce qui nous attend et ce n’est pas vraiment une expérience très agréable.
- Ne t’inquiète pas Greta, vous continuerez d’être jeunes et en bonne santé, jusqu’au bout. On ne peut pas échapper à ça. Les Anges Noires, nous seront là pour vous faire disparaître. Parce qu’il ne s’agit pas de mort, il s’agit juste de ne plus être là, de passer dans l’Invisible.
- De devenir une Ange Blanche ?
- Tout juste, d’où un nouveau problème se présente.
- Les garçons, ils ne peuvent pas l’être. Ils vont mourir ? Ou rester immortels ? Déjà sur Terre ce problème de garçons nous a posé problème pour la survie de l’espèce. Je me demande si il y a un lien.
- Le Chevaliers de l’Apocalypse continuent de chercher et crois-moi, si j’ose dire, ils sont motivés parce que ce ne sont que des garçons.
- Bon. Bien… Alors comme ça tu es encore une Ange Noire ?
- Future.
- Même si tu crois en moi maintenant ?
- En fait, ce que je ressens en moi, pour toi, ce n’est pas la Foi. C’est beaucoup plus simple. Justement, à propos d’Amour, alors ? Qui c’est ? Je le connais ? Ou la connais ? Ou iel ?
- Oui et j’espère que ça ne va pas poser problème. Est-ce que tu es libre ce soir, avec Spencer ?
- Tout le monde est libre à l’heure du dîner ici à Sylvania.
- Bien, on vous attend ce soir à la Caserne, au coucher du soleil.
*
- Tonton ? Et Alice ?
- Il n’y a plus de place pour moi dans sa fusion avec Aline.
- Greta, bienvenue dans la famille.
Et on trinque.
- Au Roi ?
- À la Princesse !
- À la Déesse.
- Et au nouvel Amour de mon éternité, Victor.
- À Nous !
Clémence me regarde avec approbation. Le futur n’est pas encore d’actualité. Ces histoires d’Apocalypse resteront entre nous. Elle n’avait le droit d’en parler qu’à une seule personne et c’est moi qu’elle a choisie. On est encore plus liées maintenant. Même par le Roi. Ce n’est pas si facile que ça de croiser son regard. Il nous faut même du courage pour parler. Mais je suis Greta et il est le Roi, alors je trinque à nouveau avec lui :
- Tous mes vœux de Bonheur, Spencer.
- Tous mes vœux de Bonheur, Greta.
Voilà, c’est fini. Une page se tourne. Mais ce n’est pas une page de plus. Je sens que c’est la dernière. Je regarde Victor. Oui. C’est le dernier. Je suis arrivée au bout de ma quête. Clémence me fait signe. Je la rejoins. On laisse les hommes discuter entre eux. De Dieu sans doute.
- Greta, j’ai du nouveau. Aurélie m’a montré des informations que même les Chevaliers de l’Apocalypse n’ont pas, ni toi au Conseil de Sécurité. Il y a un quota maximal d’âme sur la planète. Une fois un certain seuil atteint, dès que nos petits enfants deviendront parents, c’en sera fini pour nous. C’est là que les Anges noires entrent en jeux. Mais ce n’est que la phase 1. Il y en aura d’autres par la suite pour stabiliser le nombre. Aurélie a été consultée pour les ressources mais elles ne justifient pas les limitations.
- Clémence, pas de panique. Une chose est sûre, c’est qu’on a le temps. Je verrai ça avec Aurélie. Sinon, ce soir avec Spencer, j’aimerais que vous ne fassiez pas trop de preuves physiques d’affections, je ferai de même avec Victor. Je pense qu’il est encore un peu tôt pour ça. Pour Spencer et pour moi.
- Tout à fait d’accord. Je n’ai jamais aimé ce comportement animal de démonstration d’appartenance. On est en public, pas en privé.
- Ou a jouer un rôle dans un ballet.
- Tout à fait.
- Merci Clémence.
*
On a passé une bonne soirée. Ça lui a fait de l’effet. Il me lamine. Il tient plus longtemps. Sauf si je me mets à gémir, ça va l’exciter. Mais j’y pense… si il y a bien une personne qui peut savoir quel est le programme des antennes sans que le conseil de sécurité ne soit au courant, c’est bien le professeur… ça y est, il râle. C’est le Big Bang pour lui aussi. Moi je préfère jouir le matin, je lui en ferai profiter un peu pour le réveiller.
*
Il dévore devant moi un énorme sandwich dans un boui boui glauque du centre.
- Gaby a une planque pas loin.
- Si tu savais à quel moment j’ai pensé à toi pour cette histoire.
- Laisse-moi deviner, pendant un big bang avec le fils de ?
- Tu es vraiment au courant de tout. Et c’est moi qu’on appelle Dieu ?
- Le renseignement c’est le nerf de la guerre, surtout en temps de paix.
Il m’a manqué ce gros dégueulasse. Il est irrésistible. Et tellement intelligent. C’en est fatiguant. Il a toujours eu raison sur tout.
- Pourquoi tu ne m’en a pas parlé avant, de tout ça ?
- Parce qu’il n’y a pas à s’inquiéter. J’ai piraté l’accès mais je n’ai rien pu modifier. Sauf que j’ai pu copier la stratégie du programme. Un programme automatique qui s’adapte à n’importe quelle situation et sans aucune stratégie de génocide des vieux immortels ou autre. Si ça tourne mal, il sera temps de cracker les codes. Mais en attendant, tout va bien. Les Chevaliers de l’Apocalypse… sérieusement ? Les Anges Noires, je dis pas, mais eux… Après, je suis pas Dieu. Mais je serais vous, je les garderais sous le coude. Ils pourraient nous être utile à un moment ou un autre, on ne sait jamais. C’est bien que Clémence soit dans le coup. Et ne t’inquiète pas, elle ne craint rien.
- C’est bizarre, pour une fois tu ne m’alertes pas sur une situation.
Et il m’explique la bouche pleine :
- Les temps chanchent. Ch’est le noufo moi !
- Ou alors tu es le spécialiste de quelqu’un d’autre, je ne compte plus autant qu’avant.
- Tu rigoles ? Greta ! Tu me vois à la botte de l’extra-terrestre Alice qu’on voit en double ? Victor, à la limite, OK, mais tu es déjà dessus.
Il rigole puis il se ravise vite en voyant ma tête.
- Désolé Greta. Bon en fait il y a quand même une petite menace qui plane au loin.
- Quoi ?
- Qui. On a une médecin qui connaît bien l’espace et qui a les cellules souches du Messie multiversel. Et elle ne va pas bien. Son Augustin ne tient plus la route. Il faudrait lui présenter quelqu’un pour qu’elle aille mieux. Mais pas un terrien, un local, ils sont tous super motivés sur les terriennes. Toi tu pourrais facilement lui présenter.
- J’aimerais rester en dehors de ça. Je suis trop impliquée. Vois ça avec Flo. Florence Albertini, de la Law House au Village.
- OK. Merci Greta. Pour ça. Pour tout le reste. Je n’ai pas eu beaucoup l’occasion de te le dire. Je sens que c’est le moment. On vient de loin. Mais on est bien ici. On va faire au mieux. Et tu peux toujours compter sur moi, OK ?
- Oui je sais Big. Merci d’exister, tu as toujours été un guide pour moi.
- Ah ha ! Tu fais du Bang. J’apprécie. Je ne sais pas si je pourrais dire la même chose de toi.
Et on rigole. Il est tordant. Ça fait du bien de le revoir. Du coup je l’accompagne en goûtant le sandwich qu’il a commandé pour moi. Pas mal. Ça change.
- C’est quoi déjà le nom de ce sandwich ?
- Le corps du Christ.
- Amen.
*
Je rentre à la Caserne. Je pose le parapluie dans une douille d’obus à l’entrée. J’accroche mon chapeau blanc. J’avance et je pose les clefs de la voiture sur le marbre de la cheminée. Vivement que les transports en commun reprennent. Je déteste conduire. On ne voit pas où on met les roues. Je me regarde dans le miroir. Je suis élégante dans cette tenue blanche. Je me tourne un peu. Le pantalon serré fait ressortir mes fesses. Je regarde mon ventre. Je n’ai même pas réussi à me tacher avec le sandwich dégoulinant de sauce. Je caresse mes deux jolies nattes. J’approche mon visage. Je pourrais peut-être mettre un léger maquillage ?
- Tu es splendide Greta.
- J’allais le dire.
C’est Victor. Je lui souris. Je lui tend les bras. Il vient m’embrasser. Je suis heureuse. C’est si simple le Bonheur. Quand je nous revois au conseil, j’étais toute stressée, au plus bas. Que s’est-il passé ? On s’en fiche. Je l’embrasse aussi. Je sens ses main sur mes fesses. Je me baisse, je me mets à genoux et je commence à défaire son pantalon. Il me relève en disant non. Il me respecte trop. Je le fixe d’un regard félin et je redescends doucement. Je le dégage. Juste un coup d’œil et un coup de langue dessus avant de recapter son regard. Il est gêné. Pour l’instant. Il va s’habituer. Maintenant c’est moi qui ai mes main sur ses fesses. Et je le gobe au plus profond. Il est à moi.
*
Enfin je crois.
- Elle s’est même pas aperçue que j’avais disparu.
- Victor, elle est un peu perturbée avec cette fusion. Tu es perturbé aussi. Je suis perturbée. Mais j’aime tes perturbations. Et tu supportes les miennes. En fait je me sens pratiquement normale avec toi et ça m’était jamais arrivé avec personne. Vas-y, à toi.
- Moi aussi je t’aime Greta.
- Ça me va.
Et je lui saute dessus pour l’embrasser. Je le regarde amoureusement.
- Qui pourrait résister à ce regard ?
Ce regard ? Un regard. Regarder. Ça me donne une idée.
- Ton Alice est intelligente. Tu te rappelles la photographe de Clémence, Coralie ? Elle m’a demandé l’autorisation de mettre une photo de nous deux dans son expo à Laguna Beach. Alice va aller au vernissage. Je vais donner l’accord à Coralie.
- Et juste avec une photo de nous, elle va comprendre ?
- Je pense que oui. C’est une photo en grand format pour illustrer les gens qui s’installent à Sylvania. Coralie était venue avec Clémence pour regarder notre exposition dans le garage. Nous on était dans le salon en train de s’amuser. Tu avais un livre pour apprendre le suédois et tu tentais de me lire, de me dire des choses. J’étais morte de rire sur le canapé. Je suis à gauche de l’image. Elle a discrètement prise la photo en passant avec son objectif à notre hauteur. Je ris, la tête en l’air, les yeux fermés, les mains à plat sur mes genoux, j’avais mon joli collant blanc en laine. Et toi tu es sur la droite, de dos, un peu flou mais on te reconnaît, tu as le visage tourné vers moi avec une attitude concentrée et amusée, pleine d’intention, d’attention, surpris par mon hilarité, surpris mais content aussi de me faire rire, de me rendre si heureuse avec des choses toutes simples de la vie quotidienne. Voilà tout ce qu’on peut lire sur cette image. Ça raconte l’histoire de deux personnes qui viennent de se rencontrer, qui font des efforts pour se plaire et qui sont heureux, qui s’aiment. Il fait un pas vers elle sans peur du ridicule et elle rit parce qu’elle en est heureuse, il se donne à elle et elle l’accepte. Derrière on sent un environnement chaleureux, ils sont chez eux, ensemble et ils vivent, ensemble. C’est le message pour Alice qui va se demander : « Est-ce que j’ai déjà vécu ça avec lui ? » Qu’à t-elle fait de toi ? Est-ce qu’elle te mérite ? Elle en est où elle dans sa vie ? Et juste avec cette photo de nous, elle va comprendre
- Elle va comprendre que je l’ai enfin libérée. Elle était en train de se libérer avec cette fusion avec Aline. Elle m’a échappée. Je l’ai perdue. Quand j’ai réalisé ça, j’ai moi aussi cherché une échappatoire. Alors je me suis tourné vers Dieu.
Je ricane et je lui donne un coup de pied sous la table de notre petit-déjeuner. Tous les matins on fait le point devant des boissons chaudes et froides en mangeant des gâteaux aux fruits. Il me prend la main et m’embrasse tendrement sur la bouche pour goûter à la confiture sur mes lèvres.
- Tu as juste trouvé quelqu’une d’autre à sauver.
- Greta, on s’est trouvés au bon moment.
- Tu m’avais déjà envisagée avant ?
- Non, je crois que je ne t’avais jamais vraiment regardée, vraiment vue avant de ressentir ton désarroi au conseil.
- Tu jettes ton dévolu sur les filles affaiblies, vulnérables. C’est ce que tu as déjà fait avec Aline. Ça t’excite ? Petit profiteur. Je suis bien contente que tu m’aies attrapée.
Je l’embrasse.
- On a trop vite plongé dans l’Invisible avec Aline. On en est jamais vraiment sortis. Mais je savais qu’une mission se préparait. Elle devait être prête. Cette fois-ci je me concentre sur toi Greta, pas sur ton âme qui plane au dessus de tout.
- Cette mission c’était pour moi, en 2003. Tu continues la mission c’est ça ?
- Peut-être bien. Mon père était assez fou pour m’avoir programmé pour ça.
- J’aime bien ce programme. J’espère qu’il va durer longtemps. Parce que je me sens si bien avec toi Victor. Moi aussi dans notre relation je me concentre pour ne pas que l’occulte se mette entre nous.
- Alors laissons-nous porter. Je t’aime Greta. Et pour la mission j’ai pu récupérer le dossier. On pourra le regarder ensemble si tu veux.
- Tu ne l’as pas lu ?
- Je ne suis pas habilité. J’avais été pressenti pour la mission mais je ne voulais pas y aller. Je me suis dépêché de préparer Aline pour y aller à ma place. Mais ce n’était qu’un rôle de pilote, elle n’était pas au courant de la finalité de la mission. Dans le dossier il y a liste d’équipage et le rôle de chacun. Après, connaissant mon père qui est certainement derrière tout ça, je pense que eux-mêmes ne savaient pas pourquoi ils sont intervenus sur toi. Si tu veux vraiment chercher, je propose de t’accompagner là-dessus. En fait on peut même demander à quelqu’un de chercher pour toi. Ou mieux, lancer une enquête officielle.
- Merci Victor, merci. Je sais qu’avec toi, que grâce à toi, on peut savoir si Dieu existe vraiment. Quand je serai en pleine crise existentielle, pourquoi pas mais aujourd’hui, là, maintenant, je n’en ai vraiment rien à faire. Et surtout, je ne regrette pas d’avoir eu ce destin. Je ne vois pas ça comme une mauvaise chose. Sans cette mission je serais une pauvre petite autiste suédoise morte sur Terre. Grâce à cette mission, la liste de bonnes choses est vraiment trop longue pour être listée. Ton père y a consacré son éternité, il y a perdu son immortalité et encore longtemps après ça il finit par me donner son propre fils. Alors c’est qui Dieu dans tout ça ? Victor, mon Amour, continuons le programme, je t’aime.
- D’accord Greta. Je veux tout ce que tu veux. Je suis à toi.
- On s’appartient.
On s’embrasse, on s’aime. Dans toutes ces parts d’ombre, tout est clair entre nous. La vérité, ce n’est pas notre problème. Je lui annonce :
- On devrait faire un bébé.
- Un seul ?
- Au moins une fille. Je voudrais l’appeler comme ma sœur que j’ai perdue sur Terre. Beata Mona. Tu sais, elle avait les mêmes troubles que moi. Elle est née deux ans après. Ils n’auraient pas fait une mission en 2005 aussi ?
- Pas à ma connaissance. Mais c’est peut être dans le dossier de mission. Tu es habilitée à le lire avec ton niveau de sécurité au conseil.
- Je me demande si ce n’est pas elle qui était destinée à tout ça. Elle s’en est mieux tirée que moi. Je n’étais peut-être juste qu’un essai raté.
- Que lui est-il arrivé ?
- Suicide. On n’a jamais su pourquoi.
Il se lève et me prend dans ses bras.
- Je t’aime mon petit essai raté. On l’appellera Mona.
- Elle avait un troisième prénom, tu ne devineras jamais. On est en plein dedans. Et il est déjà pris.
- L’I.S.A. ? Mona Lisa bien-sûr. Lisa qui voulait mettre le Messie dans ton ventre.
- Tu lis dans mes pensées. Tu es dans mon esprit.
- Non Greta, je suis dans ton cœur. Et bientôt dans ton ventre avec Mona.
*
- Qu’est ce qu’on fait ici ? Je pensais que le dossier était à l’Agence Spatiale ou dans un hangar secret du Renseignement.
- En fait la mission était techniquement assurée par Western Technologie. Ce ne sont que des laboratoires d’ingénieurs mais sans eux rien n’aurait été possible. Contrairement aux fonctionnaires de l’Agence Spatiale ou aux fous furieux du Federal Express, ici ils gardent une copie de tout. Et les dossiers les plus importants sont matérialisés.
- C’était ton bureau ? Ingénieur Principal V. V. V. Intéressant.
Il m’installe sur sa chaise de travail, allume la table et sort dans le couloir.
- Victor ? Reste avec moi.
- Ce n’est pas la procédure, si on nous interroge…
- Arrête tes conneries. Viens. Mon amour.
Il rentre et il s’installe en face de moi.
J’ouvre le dossier. À chaque ligne j’aurais une question. Mais on verra plus tard, je vais mémoriser les pages. Non, il y a trop de références. Ce dossier est un résumé plus qu’un rapport. Je n’y comprends rien. Sauf le dernier tampon :
- Échec mission. Voilà ce que je suis Victor. Pas étonnant qu’il n’y ait pas de célébration pour ça. Attends, il y a une deuxième page. 2005, j’en étais sûre ! BMLEA.
- EA ? Où est le T ?
- Ernman Andersson, elle ne portait pas mon nom. Ce n’est pas le même équipage. Est-ce que je peux te montrer les noms ?
- Non, et je pense qu’ils n’ont pas les réponses que tu attends Greta.
- Ça se termine presque pareil. Abandon mission. C’est quoi la différence ?
- Ils sont perdu la cible.
- Au moins on a une explication à son suicide. Il y a une suite. Ils se sont rabattus sur moi. Il y a un même nom qui ressort pour les trois documents. Je ne sais pas qui c’est. Je ne vais pas te dire pour ne pas t’impliquer. Victor, ils ont tué ma sœur. Elle n’a pas supporté leur traitement. Sur moi ça n’a pas marché. Alors pourquoi je suis là ?
- Je me souviens d’une conversation de mon père avec le directeur de l’Agence Spatiale à propos des raisons de cette mission. Ces missions apparemment. Il disait que le résultat attendu n’était pas atteint mais que c’était suffisant faute de mieux. Greta, connaissant le personnage, il devait y avoir beaucoup de missions. J’imagine bien un leader dans chaque zone importante de la civilisation terrienne. Mais au final on a eu que toi. Avec un peu plus que la coalition Nord. Tu as réussi Greta, et tu as sauvé bien plus que prévu.
Je referme le dossier. Je mets mes mains à plat de chaque côté.
- Ma sœur est peut-être morte à cause de moi. Si ça avait fonctionné sur moi, ils ne s’en seraient peut-être pas pris à elle deux ans plus tard.
- Non Greta, tu n’es pas coupable. Si ça se trouve ils ne le sont pas non plus. Il y a trop de peut-être. Trop pour ne pas te polluer l’esprit avec cette histoire.
- Ne t’inquiète pas Victor, ça va aller, j’en ai vu d’autres. Je suis forte. Et intelligente. Je ne vais pas partir à la chasse aux réponses. J’en sais suffisamment. Le plus important, c’est nous. On va pas se gâcher l’existence dans une quête inutile. Et je ne leur en veux pas. Si j’ai affaire un jour à un autre responsable que ton père, je le remercierai. En attendant, j’ai une mission : te rendre heureux. Comme un premier merci à qui de droit. Je suis en paix. Je suis en amour. Je suis… Greta.
Je me lève et je sors dans le couloir, on referme la porte de son bureau. Je l’embrasse tendrement :
- Merci mon Amour.
Et on rentre à l’Est, à Sylvania, à la Caserne, chez Nous. On dîne, on se lave, on se met au lit, on fait l’amour. Mais il y va tout doucement. Quelque chose le tracasse. Je vais lui faire reprendre ses esprits. Je le fais ressortir. Je me tourne, je me cambre et je lui dis :
- -Vas-y Victor, pour Mona.
- J’ai une autre idée.
Et je le sens me laver les fesses avec sa bouche et il … oh nom de moi-même ! Je suis bouleversée par toutes ces sensations nouvelles. Il me remets sur le dos et il soulève mes jambes, j’ai les genoux sur les oreilles, il est sur moi, et il y va en murmurant :
- Pour Mona.
Je retiens. C’est sa position préférée. Je ferme les yeux et je me concentre sur son plaisir qui devient le mien. Une fois la saillie terminée, il s’écroule et je me termine en me frottant sur lui comme une bête sauvage, en essayant de ne pas le griffer ou lui faire mal.
Au matin il me réveille avec sa main entre mes cuisses. Je le guide un peu et je me laisse aller pour émerger à travers mon plaisir. Je finis par m’asseoir sur son visage et à me tortiller dans tous les sens. Comme ça devient un peu long, je redescends sur lui pour l’embrasser et m’emboîter sur la raideur de son désir à assouvir avant le petit-déjeuner où comme tous les matins, on fait le point :
- Victor, je te veux pour l’éternité. Et aucune révélation secrète ne se mettra entre nous. Au diable la vérité. Mon amour pour toi est plus fort que tout. Je souhaite ne jamais te décevoir. Je ferai tout pour te rendre heureux, pour me rendre heureuse loin de tout esprit négatif et nuisible. On va avoir une belle éternité toi et moi. Il est temps aussi pour toi d’être heureux, d’en finir avec tout ton passé, d’être et de rester comme sur la photo de Coralie, un homme dans le bonheur de son couple dans un chaleureux foyer. Que cette photo soit notre repère. Que jamais on ne s’éloigne de ce qu’elle dégage. Je t’aime. Je nous aime.
Et je mets ma main sur mon ventre. Je le sens, je le veux en moi, un peu de lui et aussi une célébration à la mémoire de Beata. Parce que c’est son histoire aussi. Parce que c’est mon histoire aussi. Parce que c’est notre histoire, d’Amour.
*
J’accompagne Victor à la visite du Parlement Bleu, là où son père a officié il y a bien longtemps alors que l’Ouest n’existait pas. C’est ici que 9 ou 10 guerres générales, on ne sait plus, se sont décidées et organisées. Ils ont perdu la quatrième apparemment. Ça les a calmé un bon moment. Coralie est quelque part dans la délégation mais elle est tellement discrète qu’on ne la remarque jamais. Je suis sûre qu’on découvrira une photo volée de Victor à la tribune de l’Assemblée, le regard dans le vide des gradins pour faire un parallèle avec l’histoire de son père. Même moi j’en fais partie, plutôt deux fois qu’une maintenant que je suis madame Victor. Je regarde les noms sur le monument aux morts au combat. J’en reconnais un. Celui de mon dossier. Mais c’était bien avant 2003. Il a eu des enfants je suppose.
Il y a ensuite une réception au Palais de l’Empereur, pas la peine de demander qui c’était. Il y a toute la famille Virein Volta et même les Raymond. C’est intimidant. Mais je me sens belle à côté de Victor, je cherche en vain Coralie du regard mais je lui fais confiance pour que notre bonheur de couple ressorte sur ses images. Pendant que l’attention se porte sur Clémence et son Roi, j’en profite pour aller discrètement discuter avec Heidi qui est là aussi.
- Heidi ? Enfin, Zoé. J’aurais besoin que tu me confirmes une information par rapport à ta mission sur Terre. Elle a duré 3 ans c’est ça ?
- Oui, c’est le temps qu’il a fallu pour que tu me repères enfin.
Elle plaisante. Elle est radieuse. Elle est sûrement enceinte. De qui déjà ? Mais peu importe :
- Est ce que tu te rappelles de ton chef de mission, un certain Garrison ?
- Oui, il ne se fait plus appeler comme ça depuis longtemps. Pourquoi ?
- Il était déjà responsable de la mission de 2003 qui est intervenue sur moi quand j’étais bébé sur Terre. Sans ça je ne serais pas là devant toi. Tu es encore en contact avec lui ? C’est pour lui faire passer un message.
- Pas la peine Greta, je peux te le présenter, il est là. C’est bizarre parce qu’on ne le voit jamais nulle part d’habitude, surtout pas à ce genre de réceptions. À mon avis, il est venu pour rencontrer quelqu’un. Et je comprends maintenant qui. Viens, je l’ai vu aller en terrasse.
Je l’avais remarqué au début de la réception. Il a la peau foncée. Zoé nous laisse, il parle en premier :
- Bonsoir Greta. Comme vous êtes avec Victor, je me suis dit qu’il fallait que je me montre, pour discuter.
- Bonsoir Garrison. J’ai vu votre nom sur le monument aux morts au combat à l’Assemblée cet après-midi.
- Mon père. Je porte un autre nom maintenant. La guerre est finie. Mes missions aussi.
- Vous savez, je suis habilitée par le conseil de sécurité à avoir accès à certaines informations, enfin, si je les trouve.
- Peu importe. Il s’agit d’une conversation de cocktail. Tout ce qui est classifié peut être dit verbalement à cette occasion. C’est l’usage. Ce qui est classifié, ce sont les documents, pas ce qu’on en raconte.
- Pourquoi moi ?
- Vous étiez une centaine de bébés sur lesquels on est intervenus. Il fallait des profils neurodifférents pour que ça fonctionne. Mais ça n’a pas bien marché. Même sur vous.
- Le but ?
- Créer des leaders pour rassembler le nécessaire avant la fin du monde et les rapatrier ici. Un échec mission colossal. Jusqu’à ce qu’on entende parler de vous. Je ne sais pas vraiment si c’est entièrement grâce à nous si vous avez accompli le but de la mission mais vous avez été la seule à s’en rapprocher.
- Ma sœur.
- C’est pour ça que je suis là. Je vous dois bien ça. Et on vous doit encore plus.
- Merci Garrison.
- Soyez heureuse Greta. Vous pouvez être fière de tout ce que vous avez accompli.
- J’ai eu tellement d’échecs.
- Apparemment, ce n’est pas ce qui compte. Regardez-moi. Je suis fier aussi de vous avoir devant moi.
Je lui tend la main. Il la prend. Je souris. Il sourit. C’est fini. Je suis en paix. Il est en paix. Nous sommes en paix. Il part, il disparaît. Zoé me récupère :
- C’est incroyable, Greta.
J’ai une larme qui coule sur ma joue.
- Merci Zoé. Comment va notre fille ?
- Elle est digne de ses mères, elle est formidable. On peut être fières.
- Zoé, on est enceinte à nouveau ?
- Cette fois-ci c’est plus classique. Mais c’est vraiment un grand jour aujourd’hui. Pour toi. Et ça ne sera marqué sur aucun monument.
- Et c’est grâce à toi Zoé.
Je l’embrasse sur la joue et je la tiens par la main pour revenir dans la réception. On tombe sur Aurélie, elle a un beau ventre rond.
- Toi aussi ? Il est énorme ! Ça fait combien de temps ?
- Quatre mois, j’ai décidé d’attendre le plus longtemps possible. Vous devriez essayer, ça donne accès à un nouveau monde de sensations, je pense que je serai beaucoup plus proche de ce bébé plus tard, ça créé des liens.
Elle nous tend ses mains, on les prends, comme si on allait faire la ronde mais on ne fait que se regarder en souriant de notre bonheur présent, et à venir. Un peu plus tard je reçois l’image sur mon monolithe. C’est magnifique. C’est pris de haut, je suis de dos, on est nettes, tout autour les gens sont comme des fantômes. Elles me regardent toutes les deux avec joie et bonheur. Quelqu’une me surprend par derrière, Aline, ou Alice ?
- Jolie bague. Je ne t’avais jamais vue avec un anneau.
C’est Alice.
- C’est juste une bague de fiançailles.
- Et tu profites de cette réception pour t’afficher avec lui, officialiser.
C’est tendu. Elle continue :
- Il ne m’avait jamais trompé tu sais. Mais c’est peut-être moi qui ai commencé, avec cette fusion avec Aline.
- On en sait pas encore assez sur la fusion pour que tu te sentes coupable.
- Oui, et puis, tu es Greta, la chasseuse de lignée. Gabriel, Spencer et maintenant Victor. Un beau triptyque.
- Alice, c’est lui qui est venu à moi, à un moment où j’étais vulnérable.
- Oui, je vous ai vu vous éclipser après la réunion du conseil. Comment ça s’est passé ? Qu’a-t-il fait ? Moi je n’ai eu droit qu’à deux éléments sur quatre. L’air dans lequel il me faisait voler et l’eau dans laquelle il … c’était des pratiques d’hypnose avec de la privation sensorielle. Pour me révéler. Pour me préparer à moi.
- Pour ta mission de 2003, sur moi. Je n’ai eu droit qu’à trois éléments sur quatre. On avait les pieds dans le sable, une vague nous les a mouillés et j’ai respiré son souffle.
- Non Greta, tu as eu les quatre. Le feu dans son cœur et le tien. On sent la chaleur de votre Amour. Tu as raison, je n’étais qu’une étape, un outil, pour finalement te faire venir et il a été patient, il a attendu le bon moment. L’éternité, ça se prépare. Moi c’est la fusion.
Je lui tend la main. Elle la saisit. Elle sourit. Je m’approche et je pose ma tête sur sa poitrine. Elle a grandi.
- Alice, je sens ton cœur battre. Il résonne, il y a comme un écho.
- C’est Aline.
Elle me serre sans ses bras. Je ferme les yeux. Je me sens bien, en sécurité.
- Je sens ton bébé Greta. C’est une fille. Tu ne fais que des filles.
- Il y a deux filles ?
- Non, je n’en sens qu’une. C’est peut-être une nouvelle phase de notre évolution ?
- Encore ?
- Pas tout à fait. Tu n’as jamais remarqué qu’ici les garçons sont souvent des agents reproducteurs ?
- Et les filles des pondeuses d’enfants. On a une planète à remplir. Jusqu’à un certain point. Trouver un équilibre. C’est notre dernière chance. Il n’y a pas de planète D.
Le professeur de danse passe de Clémence par là et surprend notre conversation :
- Trouver l’équilibre, c’est ce que j’essaie d’enseigner sur la planète C, la planète de Clémence.
Je demande :
- Qu’est ce qu’elle a de plus que les autres, danseuses ?
- Elle danse aussi avec son visage, ses expressions accompagnent et donnent un sens aux mouvements de son corps. Depuis que je l’ai vue danser, toutes les autres danseuses me paraissent insipides et froides, mécaniques, sans émotion. Après elle, je pourrai passer à autre chose car je serai allé au bout, au paroxysme de cet art.
Alice nous abandonne.
- Merci monsieur Mae de m’avoir sortie de cette conversation avec Alice. Comment va la Princesse ? Il paraît que vous la voyez plus que le Roi.
- Plus maintenant, il vient aux répétitions et il s’est trouvé un rôle en coulisse. Mais il ne faut pas qu’on aille trop vite, on a le temps, je vais espacer les séances et ils pourront se consacrer au couronnement.
- On parle de vous au conseil, il leur faut un numéro rond comme référent ici. On va demander à votre hiérarchie.
- S’ils acceptent, mettez une condition. Que je traite avec vous. Pas avec Alice.
- D’accord Seth Mae, l’Est contre l’Ouest.
- L’équilibre.
- Bien-sûr.
*
Le soir en se lavant avant de se mettre au lit, Victor me demande :
- Greta ? Elle t’a dit ? Avant qu’elle me vire, j’ai démissionné du conseil de sécurité. Je n’y étais que parce que j’étais monsieur Alice.
- On n’a pas parlé de ça. Mais je crois que tu y es toujours, en tant que monsieur Greta, et ancien directeur de l’Agence Spatiale où tu avais démissionné aussi. Et puis tu es le fils de ton père et bientôt le père de ma fille, ça fait beaucoup.
Il regarde son monolithe.
- Tu as raison, ma démission est refusée et j’ai toujours accès au serveur. Flûte ! Je dois annuler mon stage chez les pompiers alors… Quoi que, je peux sans doute faire les deux ? Éteindre les feux politiques et les vrais feux.
- Non Victor tu ne peux pas.
- Pourquoi ?
- Parce-que tu ne m’as pas demandé l’autorisation de te laisser faire une activité dangereuse, j’ai mon avis à donner maintenant. On s’appartient.
- D’accord, je te promets de ne pas être en première ligne et de rentrer tous les jours sain et sauf.
- Accepté mon amour.
On s’embrasse pour signer l’accord.
- Victor, j’ai eu une conversation plutôt tendue, avec Alice.
- Ah bon ? Tu veux dire qu’elle tenait un peu à moi ?
- Exactement. Je crois qu’elle vient de se rendre compte de ce qu’elle a perdu. Mais toi ? Tu y a gagné quoi ? Alice est belle, grande, plantureuse et moi je ne suis qu’une brindille.
- C’est avec les petites brindilles qu’on allume les plus grands feux.
- Arrête, tu n’es pas encore pompier. Au fait, je crois que ces murs sont hantés et qu’ils prennent le contrôle de ton esprit.
- Mon esprit est tout occupé à t’envisager comme je n’ai jamais envisagé une femme.
- Dans quel sens ?
- Toi au moins, je peux te porter.
- Arrête de penser en pompier.
Et il me saute dessus pour essayer d’éteindre le feu qui est en moi. Mon Victor. Ma victoire.
*
- J’ai essayé de consulter quelqu’un d’autre mais ils m’ont tous renvoyé à toi.
- C’est normal Greta. Tu es terrienne, je suis terrienne et ils n’ont jamais vu de mono grossesse. Greta, même si on est fâchées, tu peux me faire confiance, j’ai fait beaucoup d’erreurs dans ma carrière mais je me suis assagie, un peu.
- On a décidé de l’appeler Lisa.
- Elle s’arrête, interloquée.
- Tu sais bien que ce n’est pas possible, je porte déjà ce prénom.
- Mona Lisa. En deuxième prénom ça passe. Sinon on peut carrément mettre le tiret. Mona-Lisa. Ce sont les autres prénoms de ma sœur, Beata.
Elle me serre la main. Elle a les larmes aux yeux.
- Merci Greta.
On n’est plus fâchées. Elle m’embrasse. Elle se reprend et annonce :
- Je vais te confier à une de mes anciennes élèves à Sylvania, une jolie rouquine.
Ses yeux se perdent dans le vide un instant :
- Bref, elle a besoin de se faire la main sur une terrienne, une mono grossesse, Dieu etc.
- Mais en fait, Lisa, cette fois-ci, je veux faire comme Aurélie.
- Je ne sais pas Greta, tu es si menue, tes organes sont atrophiés et ton ouverture de bassin un peu trop fermée, il va y avoir des problèmes.
Elle me voit extrêmement déçue… elle reprend :
- Mais si tu acceptes qu’on modifie un peu ton corps, un peu plus grande, un peu plus large, un peu plus confortable pour un bébé à porter.
- Six mois ?
- Pas plus de cinq.
- Vendu.
- Et fini les galipettes avec Victor à partir de trois.
- Merci Lisa.
- J’envoie le dossier à Mathilde.
*
- Victor, j’ai vu avec les autorités, finalement ce sera Mona-Lisa.
- Mona-Lisa Virein Raymond Thunberg ?
- Va pour Mona-Lisa Ernman Raymond Virein Thunberg. Et je vais la porter pendant cinq mois. Pour ça je vais devoir grandir et grossir. Tu m’aimes toujours ?
- En fait, je crois que, je n’ai jamais vraiment aimé avant toi.
Et il m’embrasse pour signer notre accord. Et il me caresse. Et plus car affinités.
*
J’entends un bruit sourd qui vient du rez de chaussée. Je descends voir et je vois un énorme véhicule rouge garé au milieu de l’exposition permanente. Il y a même la grande échelle pliée sur le toit et les tuyaux jaunes enroulés derrière. J’arrive au niveau de la porte droite. Je vois une silhouette dans le rétroviseur chromé. La porte s’ouvre. J’escalade comme je peux pour monter jusqu’au siège. Il es là, en tenue.
- Victor ?
- C’est le vrai, d’origine, de notre Caserne. On aura qu’à dire que c’est une œuvre d’art.
- Je…
Il tire sur une corde au plafond et une corne de brume nous fait vibrer. Un tableau se décroche et tombe. Une statue tremble sur son socle. Je suis surprise, bouche bée. Excitée. Il enlève son casque et son gros manteau pour se jeter sur moi.
- Ils sont plus gros. Tu es plus… confortable.
- J’ai commencé le traitement.
Et mes fesses nues couinent sur le cuir de la banquette sous le va et vient de mon Fireman dans le plus gros sex toy de notre multivers. Une vague électrique monte de mes reins et vient exploser dans mon crâne. Je ne vois plus, je n’entends plus, je ne respire plus, je suis dans l’absolu et je reprends conscience dans ses bras, toute transpirante et haletante comme après un long jogging. Et mon esprit se remplit de coton. Et je m’endors sur mon Victor. Je me réveille nue, seule, j’ai froid. Tous nos fluides ont séchés sur mon corps et sur la banquette. J’ai peur. Je me rhabille, j’ouvre la porte et je descends avec prudence. J’entends du bruit, Victor est là, il accroche sa lourde tenue à une patère au mur. Je m’approche doucement de lui et je murmure :
- Victor ? Ne m’abandonne plus jamais. J’ai besoin de toi. Sans toi je ne suis rien.
Il se retourne. Il n’a pas entendu. Il me sourit et vient me faire un gros câlin. Et puis il pose délicatement sa main sur mon ventre. Il ouvre la bouche :
- Je t’aime Greta, je t’aime Mona-Lisa.
Je ne rêve pas. Je suis rassurée. Je suis heureuse. On passe en salle de permanence pour atteindre la chaleureuse cuisine où il nous a préparé un bon petit déjeuner.
- On va être heureuses ici. Je me sens bien dans cette Caserne. J’ai hâte d’aller promener Mona-Lisa dans le Parc en face. Au début on passera par le tunnel sous la route. Plus tard par la passerelle au dessus de la route. Mais on ne traversera pas la route, malgré le passage piéton. C’est trop dangereux, même si il n’y a pratiquement pas de passage de véhicules.
Je vois Victor concentré. Il mémorise ce que je dis. Il pense qu’il y a un code dans mes propos. Il y répond :
- Oui la route est dangereuse, il ne faut pas s’en approcher. Même sur le trottoir il faut être sur ses gardes. La sécurité est une illusion. Ce n’est pas une simple ligne blanche peinte sur le sol qui va empêcher deux véhicules de se percuter de plein fouet. On est en sécurité ici, dans la Caserne.
- Oui Victor. Même en cas d’attaque nucléaire il y a un sous-sol aménagé. Il faut que je montre ça à Aurélie, ça va lui rappeler des souvenirs.
Il me tend la main. Je la prends. Je suis rassurée.
- Greta ?
- J’ai eu peur tout à l’heure dans le camion. Je me suis réveillée toute seule.
- Désolé. J’aurais dû te réveiller. Je voulais préparer le petit-déjeuner.
- Il fallait me réveiller. Il ne faut pas me laisser toute seule. Il ne faut pas m’abandonner. On aurait préparé le petit-déjeuner, ensemble. Tu comprends ?
- Oui Greta. Je te propose un petit rituel. Quand on est ensemble dans une pièce et que l’un d’entre nous doit en sortir, on se fait un bisou.
- D’accord. Et quand on se rejoint, un nouveau bisou.
- Voilà, un bisou de bonjour et d’au revoir.
- Un bisou d’amour. Un B.A.
Ça me fait penser à ma sœur. Beata. En fait c’était Béatrice. Ma petite sœur. Elle était plus forte que moi. Elle chantait si bien pendant que je braillais mes discours. Et elle dansait si bien aussi. À propos de danseuse, Clémence, qu’est ce qu’elle devient ?
- Greta ? Tu es perdue dans tes pensées. Reste avec moi.
- Je suis avec toi. Avec une partie de toi. Avec Mona-Lisa. Elle commence à entrer dans mon esprit.
Maintenant je comprends ce qu’Aurélie voulait dire. Elle en est à cinq mois maintenant.
*
- Aurélie ? Tu comptes aller jusqu’à quand ?
- Je vais essayer 6 mois, mais je suis sur le point d’exploser. J’arrive à un moment où je ne peux plus rien contrôler. Et ça aussi c’est une expérience fascinante.
Clémence la regarde, elle n’a pas l’air rassurée. Je demande :
- Et toi Clémence, tu en es où ?
Elle rougit.
- Ce n’est pas au programme pour l’instant. Je suis jeune. J’ai mon ballet. J’ai mon projet. Je ne vais pas être tout de suite une pondeuse de Rois.
Et on se met à rire. C’est bien de rire sur ce sujet pour elle. Je me lève pour replacer un coussin sur le dos d’Aurélie qui me caresse de son regard comme un merci. J’ose la question, même si Clémence est là avec nous :
- Et le papa ?
Elle nous prend nos mains. Je prends celle de Clémence.
- Justement. Ça nous concerne toutes les trois. Jusqu'ici, tout allait bien, enfin, ça allait. Confiante, et peur de rien avant de tomber. On verra bien demain, mais ça, plus jamais. J'ai pas l'air de m'en faire, mais si vous saviez comment c'est dans ma tête, ça me fait vriller, l'angoisse me fait la guerre et part en fumée. Jour après jour, je m'habitue à mon ennemi qui me tue et j'apprendrai toutes les vertus. Jour après jour, je m'habitue quand j'en attends trop, je suis déçue mais grâce à ça, moi, j'évolue. Comment faire pour tuer mes démons ? Comme un ange en enfer, j'oublie mon nom. Si la magie opère, lui, il tombera. Comment faire pour tuer mes démons, tuer mes démons ?
Elle parle de celui qui l’a tiré de son enfer. Sans qui elle ne serait pas là, elle ne serait pas elle. J’annonce :
- C’est Patrice.
- Oui. Il a dû réintervenir sur moi.
Patrice est avec Victoria, la mère de Clémence. Patrice est le père de Gabriel, qui est le père de Spencer, qui est avec Clémence. Gabriel et Spencer, mes ex. Ça nous concerne donc toutes les trois.
- Aurélie ? Ton bébé, c’est un garçon ?
- Oui et il est tout seul dans mon ventre, comme ta fille dans le tien.
- C’est encore le début d’une histoire.
Clémence a l’air un peu sous le choc. Elle ne dit rien. Elle ne juge pas. Elle nous embrasse et doit partir répéter à l’Opéra. Nos émotions vont sans doute se voir dans sa façon de danser. Aurélie reste avec moi, elle a encore envie de parler. Alors je lui demande :
- Comment ça s’est passé ?
- Rien à voir avec la première fois sur Terre. Cette fois-ci c’est moi qui lui ai demandé. Je l’ai appelé en pleine nuit, j’étais en pleur, je ne voulais pas me rendormir. Mes rêves étaient des cauchemars. Maintenant c’est fini.
- Et le mode opératoire ? Ça passe encore par le S ?
- Quand le I ne suffit pas, ça doit passer par le S. Mais c’était très beau. Il m’a emmené dans une cellule pleine de lumière en haut de la Cathédrale, entre les deux tours. On a enlevé tous nos vêtements et on a fait l’amour comme dans un tableau de la Rome antique. C’était magique. Il me parlait en latin entre deux caresses. Il m’enduisait d’huile sacrée entre deux échanges frénétiques de nos fluides. Et je suis guérie. Et j’ai son petit en moi qui me protège de mes démons. Mais… Et…
- Aurélie, tu n’es pas obligée de tout me raconter. C’est ta vie, intime, elle doit le rester.
- Mais je … John n’est pas au courant. Marwah sait juste que l’intervention a eu lieu mais elle n’en connaît pas la nature, normalement, avec elle on ne sait jamais. Elle garde tout pour elle de toutes façons. Greta, à toi je peux le dire. On se voit régulièrement depuis avec Patrice. Une fois par semaine. À chaque fois un endroit différent.
- Tu es envoûtée Aurélie.
- Sans doute, c’est tellement fort, c’est tellement bon, ça ne peut pas être de l’A naturel. En attendant je me sens bien. C’est le plus important.
- D’accord, je suis avec toi Aurélie, quoi qu’il arrive.
Je la serre dans mes bras. Elle sent bon. Nos cous se frôlent. Sa peau est douce et chaude. Je l’embrasse sur la joue. On se regarde. Son regard est doux. Je me perds dans ses beaux yeux bleus. Elle me montre son âme. Je la vois avec Patrice.
- Il a l’air heureux aussi avec toi Aurélie. Tu es son refuge. Son secret. Sa gourmandise cachée. Il est accroc à toi. Il a besoin de toi. Il a envie de toi. Il t’aime. Et il a donné le maximum de lui-même et même plus pour te sauver, pour que tu te sentes bien. Il sera toujours là pour toi Aurélie, d’une façon ou d’une autre, dans ton cœur, dans ton esprit, dans ton âme, dans ton corps. Vous serez toujours ensemble, même génétiquement grâce à votre petit.
Elle m’embrasse sur la bouche, je ferme les yeux. Je goûte ses lèvres, je sens sa langue sucrée, ses mains sur mes seins, les miennes sur ses joues pour la repousser doucement et reprendre ma respiration. Je sens sa main dans ma culotte, je l’imite et on s’agite un peu puis on s’installe confortablement pour faire durer le plaisir. Lascive et languissante elle déborde d’amour et ses gémissements rauques vibrent en moi. Je pose mon petit ventre sur le sien et on sent en nous une chaleur, un frémissement, jusqu’à perdre connaissance tant le plaisir est intense. Quand je sors de sa suite au Palace je suis encore tout rouge, je le vois dans le miroir du couloir près de l’ascenseur. J’apporte avec moi une grande dose d’amour que je vais partager ce soir avec mon Victor.
*
- Seth m’a trouvée tendue.
- J’ai une idée Clémence. Je te propose une séance de relaxation avec Aurélie dans sa suite. On va se retrouver toutes les semaines elle et moi pour se détendre. Ça serait chouette que tu te joignes à nous. Je suis sûre que ça aura ses effets sur ta danse.
- Greta… Tu te rends comptes de ce que tu me proposes ? Je ne sais pas trop… C’est ce que vous avez fait quand je suis partie ?
- Et on a décidé d’en faire un rituel hebdomadaire. On reste entre filles, on prend du bon temps, on y prend goût aussi, un peu. J’en trépigne d’avance. J’ai hâte d’être à la semaine prochaine. Surtout si tu viens aussi. Si tu changes d’avis, tu connais le chemin, et le jour et l’heure, c’est comme aujourd’hui.
Silence. Puis elle coupe la com. Elle va y réfléchir je pense. J’abandonne mon monolithe près du lavabo et je retourne dans le lit conjugal terminer mon homme en retenant le lubrifiant que je me suis mise entre les fesses.
*
Je me regarde devant la glace avec mon petit ventre rond. Mon visage a grossi. Mes épaules sont plus larges. Mes hanches sont généreuses. Mes jambes sont plus longues. J’en impose. J’ai un peu le vertige. Avec des petits talons je suis aussi grande que Victor. Mais en fait c’est toujours moi. Je suis Greta. Je reste Greta. Et je me regarde fièrement. Je mets les mains sur mon ventre. Ça va être une belle aventure, Mona-Lisa. Victor entre dans sa salle de bain et mets ses mains sur les miennes en m’embrassant dans le cou. Je ferme les yeux et je penche la tête en arrière en m’adossant à lui. Je fonds quand une de ses mains descend entre mes cuisses. J’ouvre la bouche pour mieux respirer. Je laisse partir des gémissements. J’ai encore tant de bonheur à ressentir dans ses bras et à transmettre à notre petite Joconde.
*
J’arrive dans le Hangar sur deux niveaux au milieu du Parc. C’est là que s’est installée Coralie la photographe de Clémence. L’étage est entièrement vitré avec de belles verrières au style ancien. Je viens voir les photos de moi en grand format. Il y en a tant. Elles sont magnifiques. Coralie m’apporte une boisson chaude et on déambule. Elle est tellement discrète sur le terrain mais là elle resplendit en me faisant ses commentaires sur ses images. Elle pétille de malice. Elle est espiègle. Sa nouvelle coupe de cheveux de brune au carré lui va à ravir. Et on arrive dans une autre pièce, celle de Clémence, elle est somptueuse, l’éclairage est clair et doux. Il y a la danse, le portrait officiel de Princesse de Cambridge et un nouveau projet. Clémence est de trois quarts dos et elle nous regarde derrière elle. Elle a un turban bleu qui retient sa longue chevelure blonde. Je mets la main sur mon ventre et j’annonce :
- La joconde du nord. Comment tu connais ce tableau ?
- J’ai piraté les archives terriennes. Ça lui va tellement bien.
- Elle est mieux que l’originale, elle est plus belle, plus expressive, on entend presque sa voix. C’est fantastique Coralie.
- Oui, c’est le dernier portrait que j’ai fait d’elle. Je ne sais pas si un jour j’en ferai un plus beau que celui-là. Je vais arrêter un moment de la photographier. Faire une pause. Ce portrait mérite qu’on en reste là pour l’instant.
Et puis elle me regarde, elle tourne autour de moi et elle réfléchit.
- Je te mettrais bien un gros bonnet noir avec tes deux nattes derrière comme sur la photo de toi sur Terre en 1898, au Canada dans le comté de Yukon où tu travailles déjà à la construction d’un puits, de l’eau de Jouvence sans doute. Et pourquoi pas avec Clémence, dos à dos ?
- 1898 ? Mon plus vieux souvenir remonte à 2007.
- Tu apparais à toutes les périodes de l’histoire de l’humanité.
- C’est l’avantage des dieux.
- Tu connais le synonyme de photographier ?
- Oui, immortaliser.
- On en est là à présent.
Je découvre encore un aspect nouveau de l’œuvre de Coralie. Je ne pensais pas que c’était aussi pensé. On s’installe dans un grand canapé rouge.
- C’est vraiment très bon, aussi bien en odeur qu’en goût. Qu’est ce que c’est ?
- Du thé aromatisé aux baies rouges. Une de mes recettes. J’ai ajouté du miel bien-sûr. Mais il manque quelque chose. Quelque chose que toi tu peux peut-être ajouter. Clémence m’a initié. Elle m’a expliqué qu’elle avait appris avec toi.
- Il est encore trop tôt pour moi, je ne peux pas encore produire de lait. Contrairement à Aurélie. C’est avec elle qu’on a … joué. Qu’on joue. De temps en temps. En fait, toutes les semaines. Tu veux te joindre à nous ?
- Je viendrai avec Clémence. Est-ce que je pourrai … ?
- Nous immortaliser ? Absolument. Ce sera un honneur. Si il y a quelqu’un qui peut illustrer ça, c’est bien toi.
Et je finis de boire son thé sans lait. Je la regarde, je regarde mon verre et elle confirme :
- J’en apporterai.
*
- Mathilde, est-ce que tu pourrais modifier mon traitement pour que je puisse produire du lait dès maintenant ?
- Du lait ? Comment ? Par où ? Ce n’est pas dans ma formation. Et c’est nous les extra-terrestres ?
Elle est marrante, on rigole. En fait elle prend un peu la médecine à la légère. Elle sort tout le temps des trucs du genre :
- Le corps, on s’en fiche. Les antennes gèrent. Le plus important, c’est ce qu’on a dans la tête, et dans le cœur, et dans ventre, si tu vois ce que je veux dire.
- Elle a dû en baver Lisa à te former à sa médecine.
- C’est elle qui en a bavé. J’étais une étudiante insupportable. Elle a été d’une grande patience. Je crois que je lui plaisais, beaucoup. J’ai souvent réussi à la mettre mal à l’aise. La pauvre…
Elle reprend son sérieux. Elle m’ausculte puis elle me chatouille, j’ai du mal à savoir si elle fait des actes médicaux ou non.
- Et pour mon traitement ? C’est possible pour le lait ?
Elle me prend le bras et me fait un bisou dans l’intérieur du coude.
- Voilà, tu vas bientôt avoir les seins qui gonflent sous la pression. Pour le reste, tout va bien, vous grandissez bien toutes les deux.
- Tu n’attends pas les résultats d’examens et l’imagerie ?
- J’ai toujours été nulle en chimie et les dessins des machines ce n’est pas mon problème.
- En fait tu es une sorte de sorcière rebouteuse, une druide chamanique qui fait de la magie vaudou.
- Comme toutes les rouquines, on est maudites. Et je n’ai rien compris à tes insultes. Greta, comment tu te sens dans ta nouvelle vie ?
- Bien, j’aime bien notre Caserne. J’aime bien mon nouvel homme. J’aime bien cette grossesse. J’aime bien la ville, les activités, les gens d’ici, même toi. Je me sens bien.
- Bravo, c’est le plus important. On sort boire un coup ? Ce cabinet blanc ne met pas en valeur mes tâches de rousseur. J’ai envie que tu me vois dans un endroit sombre et chaud.
Elle est mystérieuse mais je la suis en toute confiance. Il y a une nouvelle plaque sur la porte en sortant. « Docteur H. Mat, médecine holistique. »
- C’est qui le docteur Mat ?
- C’est moi. Lisa m’a baptisée Mathilde mais en fait je me prénomme Hilde. Hilde Mat. Mathilde.
C’est assez tordu pour être une blague mais je pense que c’est la vérité.
- Il faudrait que je te présente mon conseiller scientifique. À moins que tu ne sois sa fille, tout s’expliquerait. D’ailleurs c’est un rouquin aussi. Bizarre… Qu’est ce qu’elle fait ta mère ?
- Rien, elle est fonctionnaire dans le renseignement.
- Et ton père ?
- Rien non plus, il traîne toute la journée en slip ou en peignoir à faire des aller retour dans un atelier dans le jardin où il y a souvent des incendies. Et la nuit il regarde les étoiles et fait des calculs étranges à la craie sur un grand tableau vert foncé.
Je le savais. Le professeur Bang. Il est toujours avec Gaby ? Ils ont fait une belle petite fille, ils peuvent être fiers.
- Tu lui passeras le bonjour de ma part. Je n’ai pas beaucoup fait appel à lui ces temps-ci.
Mathilde occupe son existence à tout sauf à exercer la médecine. Elle en fait le moins possible.
- C’est pas la quantité qui compte, c’est la qualité.
Tout s’explique.
*
- Lisa, merci du cadeau. Docteur Hilde Mat.
- Je savais qu’elle allait te plaire. Tel père, telle fille.
- Tu as réussi à faire d’elle un médecin, à sa façon.
- C’est toujours à sa façon à elle. Mais elle est tellement douée si tu savais. Avec son talent, on peut tout lui passer. Dans les cas les plus compliqués elle a toujours une explication simple. Elle est le meilleur médecin que j’ai croisée, même avec ceux de la Terre, Nasa comprise. Mais elle ne le sait même pas. Quand bien même, elle s’en ficherait. Sa vie ne se résume pas à la médecine. Elle est une leçon pour nous toutes.
*
J’ai enfin atteint ma taille définitive. J’en profite donc pour renouveler toute ma garde robe dans les somptueuses boutiques de la ville mais je suis limitée par ce ventre qui grossit. Les vêtements amples vont vite être remplacés par les gros manteaux car il commence à faire froid. Il y a beaucoup de choix et de styles car les usagers ramènent ce qu’ils ne portent pas en boutique. Victor me retrouve dans l’une d’elle. Je suis tellement heureuse de choisir avec lui, je lui trouve aussi des choses à mettre. On croise de plus en plus de personnes de l’Ouest qui viennent dynamiser encore plus les rues. L’Ouest est comme un vague souvenir terne par rapport à notre quotidien ici où l’on baigne dans la culture et dans le luxe sans jamais s’ennuyer et où la moindre petite action baigne dans l’amour et la bienveillance. Ça me rappelle le Canada, mais pas en 1898. Ce serait plus Québec au début du 21e siècle. En milieu d’après-midi je prends le thé au Salon du Parc avec Clémence qui a le même ressenti :
- Tous mes soucis de l’Ouest me paraissent si loin. Je ne suis plus du tout en mode survivaliste à préparer l’exode. On est si bien ici. Je ne me vois plus du tout aller sur l’île B ou C pour reconstruire une civilisation.
- Cette ville a une âme. Elle a été abandonnée. Ils ont préféré aller s’installer à l’Ouest dans une ambiance de vacances. Ici il y a comme une force, une intensité, on a l’esprit plus vif mais sans stress et avec sérénité.
- Sauf que j’ai une Mère Supérieure qui me harcèle pour que j’écrive la B4 avant de devenir une Ange Noire pour travailler avec les Chevaliers de l’Apocalypse.
- C’est vrai qu’entre ça et être une danseuse étoile qui devient princesse, le choix est difficile…
- Tout ça c’est ta faute Greta, on aurait moins de soucis si Dieu n’existait pas.
- Au moins je n’ai pas le Messie dans le ventre. Heureusement que tu étais là. On est sur la bonne voie je pense. Et qui sait, peut-être que l’Ouest va nous oublier ?
- Ou alors mieux : on n’a qu’à oublier l’Ouest et ses projets maléfiques.
- Ouais, Clem, t’en fais pas, on a deux ans devant nous avant d’avoir leurs problèmes à gérer, en attendant, paix et bonheur à Sylvania.
- Mais oui, excellent, je peux te citer ? C’est un super titre pour le chapitre sur le Paradis.
- Sinon, sur les 7, c’est quoi ton péché capital préféré ?
On en rigole mais j’ai la vague sensation qu’ils ne sont pas près de nous revoir à l’Ouest.
- Greta, il n’y en a que 4 pour la B4. On en a annulé 3. Pas d’orgueil, de colère ou de jalousie au programme. Tout le reste, j’en redemande !
- Et si on allait faire un tour à la Basilique pour vérifier ? Il y a une chapelle intérieure pour ça.
En arrivant on tombe sur Adé qui laisse sortir trois jeune filles en uniforme par la grande porte en leur faisant une bise avec un regard de bienveillance.
- Ce sont mes petites sœurs. Mais ne vous fiez pas aux apparences. Je ne fais pas ça pour le Vatican 4. Pour moi c’est une vaste supercherie tout ça. Ma mission s’est arrêtée à la page 666 de l’introduction de la B4. Malheureusement, quand un contrat se fini ou qu’on veut démissionner, on a une promotion. Au moins ça me permet de former une relève à ma façon. Elles sont bien mes petites. Et elle vont rester ici. Parce qu’on est bien ici. N’est-ce pas Clémence ? Je ne t’ai pas attirée ici par hasard. Je voulais que tu aies une vraie vie et que de là tu aies le choix de continuer ou pas ce cauchemar qui se profile à l’Ouest. Il faut sauver ceux qui peuvent l’être encore. Nathalie me les envoie, elle en extrade quelques unes de temps en temps. Que des filles. Comme je l’ai fait avec vous. Vous êtes venues avec vos garçons, c’est bien. C’est par les filles qu’on sauvera l’Humanité.
- Et toi ? Ton garçon il est où ?
- Si il y a bien une chose que j’ai apprise et comprise, c’est qu’il ne faut plus que je le choisisse dans mes relations professionnelles. No zob in job.
- Même pas le Pape 4 ?
- C’est vrai qu’il est intéressant. Mais il n’aime pas les filles. Enfin… pas comme ça. Pas comme je vous aime toutes.
Un jeune garçon en costume d’écolier arrive timidement vers nous. Il s’arrête à l’écart.
- Et lui, qui c’est ?
- C’est le fils de la Mairesse. Je dois lui donner des cours, particuliers. Il le droit au meilleur de chaque discipline. Je peux vous dire qu’on parle de tout sauf de Jésus. En fait, on parle beaucoup de toi Greta. Je peux te le présenter ? Comme ça il verra que Dieu existe !
Elle lui fait signe d’approcher et ils se font la bise avec tendresse et respect.
- Bonjour petit bonhomme, comment t’appelles-tu ?
- Mes hommages votre Saintetée, je m’appelle Benjamin.
- Évidemment, le fils de Rachel, dans la B1, mais aussi ici. Tu es entre de bonnes mains Benjamin. Écoute la bien. Mère Supérieure Adélaïde Phoebe de Montaigne est dans la confidence des Dieux, quels qu’il soient.
- Phoebe ? J’aime bien Phoebe.
- On l’aime toutes.
Je regarde Adé, elle est tellement fière de nous le présenter. Elle en trépigne. Elle lui caresse l’épaule et il s’exécute, il se remet à l’écart.
- No zob in job, t’es sûre ?
- C’est un client pas un collègue. Il est bientôt prêt.
Elle a l’air de l’aimer beaucoup. Il a vraiment de la chance. En revanche, lui, il est insondable. Elle fait un bon travail pour une démissionnaire.
*
Justement, on est invités à la Mairie avec Victor. Qu’est qu’elle est grande ! Et elle a un magnifique chapeau. Et elle fume avec un long porte cigarette. Rachel et son premier adjoint, son mâle reproducteur, Jacob bien-sûr, il ressemble à Benjamin. Cette histoire de Bible, ce manque de spiritualité se fait bien sentir ici. On est venues combler tout ça.
- Vous voilà enfin, Greta. Ça fait une éternité qu’on vous attend. Sans Mère Adélaïde vous seriez encore à l’Ouest.
- Même Dieu a besoin de faire son propre chemin, de croix. Je vous présente Victor, la légende de l’Ouest.
- Il est digne de vous. Il n’y a pas plus gros poisson.
- Oui, tout est très gros chez lui, son héritage je veux dire, aussi.
On les regarde. Ils discutent ensemble. Ils se connaissent depuis longtemps. On les laisse et on passe dans un salon privé pour être tranquilles. Elle regarde mon petit ventre. Instinctivement je le protège de mes mains.
- C’est pour quand ?
- Le plus tard possible. À la terrienne. Histoire de créer des liens.
Elle réfléchit. Je la rassure :
- Ne prenez pas mes mots pour des énigmes. On n’est pas dans la Bible. On est dans votre ville et on y est bien. Il va y avoir un chapitre sur vous dans la B4. Le Paradis.
- Il n’existe pas. Il faut savoir le voir, le révéler, le Paradis c’est ce qu’on en fait, c’est ce que j’essaie de faire avec cette ville, la sortir de l’Enfer de son passé.
- En tous cas on est très heureux à la Caserne.
- Je n’y suis pour rien, c’est votre Gabrielle qui a tout installé, même l’exposition permanente. Ah si ! J’ai demandé à Jacob de fournir le camion à Victor. Il était dans un autre musée.
- Un autre musée ?
- Oui la Caserne était un musée qui a fini par devenir son style, une Caserne finalement. C’est une démarche artistique architecturale de l’être et du paraître ou un truc du genre, j’ai oublié. C’est ça ! L’oubli est tellement important pour avancer. Enfin tout ce genre de réflexions à tiroirs comme vos miroirs au dessus des commodes. Peut-être même que votre relation avec Victor trouve son sens là-dedans.
Elle pose sa main sur mon ventre :
- Et votre bébé le fruit défendu auquel on succombe par gourmandise, luxure et…
- Envie. En vie. On ne peut pas dire non à la vie.
- J’aime ta motivation Greta. Tu as la flamme. Le fluide.
- Je ne sais pas si elle est vraiment mienne.
- Il n’est point là question de propriété. Ce qu’on en fait Greta. Ce qu’on en fait.
Je ferme les yeux. Je me sens si bien. Elle me prend les mains. J’ouvre mes yeux sur son regard bienveillant, respectueux, soumis.
- Rachel, et si je n’étais pas Dieu ici à Sylvania ? Et si j’étais simplement moi ? Greta. Je suis simplement moi, Greta. Ça sonne bien. Pour Dieu, il y a des maisons. Je veux bien le représenter à la Basilique mais en dehors, considère moi comme Greta.
- Tu as raison Greta, c’est comme moi, je ne suis rien en dehors de la ville.
- J’en doute, tu restes Rachel et tu deviens la représentante, l’ambassadrice de Sylvania.
- Ouais, ça sonne bien aussi.
- On joue des rôles. Des jeux de rôles. Mais derrière tout ça je me sens terriblement femme et mère. Femme dans les yeux de Victor. Mère dans mon ventre.
- Mère… oui, j’ai dû faire deux filles avant d’avoir enfin un garçon. Si j’avais su j’aurais commencé par Jacob plutôt que les deux autres. Maintenant que j’y pense, je l’ai gardé assez longtemps en moi mon petit Benjamin. On a dû créer des liens. Et il est resté, pour l’instant. Les deux autres sont à l’Ouest, à l’école des arts et à Russell.
- Et avec Jacob ? Ça se passe bien ?
- À la première occasion, je le vire de la Mairie. Je le préfère à sa place à la maison, dans notre foyer plutôt que comme un simple employé reproducteur. Je m’y suis fait. Il commence à me plaire. On s’entend bien. Il ne peut donc plus travailler pour moi.
- Il était ingénieur avant c’est ça ?
- Oui… dans l’aménagement urbain.
- Il pourrait superviser quelques travaux sur l’île B et C, là où les Chevaliers de l’Apocalypse vont œuvrer.
- Où veux-tu en venir ?
- Ils vont œuvrer avec des Anges qui vont aider à monter au ciel certaines âmes fatiguées.
- L’Échelle de Jacob.
- Ainsi, avec son expertise, Sylvania serait dans le coup aussi. Et comme on ne sait pas comment tout ça va tourner…
- Greta tu es une fine politicienne. Bien, je pense qu’on doit y retourner sinon ils vont croire que je suis en confession avec Dieu et ça dure bien trop longtemps pour être honnête.
On retourne dans la salle de réception où je rejoins Victor qui me dit :
- Je crois qu’on va recevoir la médaille de la ville.
- Toi ou moi ?
- Nous Greta. Notre famille.
Et il pose sa main sur mon ventre avant de m’embrasser. Ici je ne suis plus Dieu, je suis madame Victor, je suis la mère de notre Mona-Lisa. Ici il n’est plus le fils Virein, il est monsieur Greta, il est le père de notre Mona-Lisa. Ici on est à l’abri de et dans l’I.S.A.
*
Victor m’apporte un coussin pour le caler dans mon dos. Et il me cajole comme un chat et s’installe à côté de moi.
- Mon Victor tu es tellement gentil et attentionné, tu tiens ça de qui ?
- De ma mère sans doute. Parce que je ne suis pas très scientifique, très politique, très militaire comme l’était mon père. Et tout le monde attendait de moi que je sois aussi bien que lui. Mais je ne l’étais pas, je n’étais pas lui. Mais il fallait que je fasse mieux, encore et encore. Alors je suis allé plus haut dans les airs, plus loin dans l’espace, si loin pour lui échapper, j’étais l’homme le plus éloigné des siens dans tous les univers. Loin de la lumière, loin du temps, loin de lui, près de moi. Il n’y avait plus que moi et moi. On a tous un double, un jumeau, et là-bas je le voyais. Ici la fusion est comme un écho à tout ça. Là-bas nous étions deux. Je n’en suis jamais revenu Greta. Parce que c’est l’autre que j’ai renvoyé. Ici je ne suis plus que la moitié de moi-même. C’est ce que je ressens en toi aussi Greta. Comme si la vraie Greta était restée à l’Ouest et que l’autre était venue se réfugier à l’Ouest avec moi à moitié complet. Mais toi et moi on va devenir à nouveau entier dans ton ventre avec notre Mona-Lisa.
Et je m’endors comme une enfant à qui on vient de raconter une histoire pour sombrer dans le sommeil.
*
Dans le bureau de Rachel :
- Greta, Victor. Il ne s’agit pas simplement d’un trophée que je vous remets. Cette médaille de la Ville de Sylvania n’est que le symbole de l’indéfectible amitié que je vous porte, à l’un et à l’autre. Tant que vous l’avez, vous pouvez compter sur moi. Tous les récipiendaires se réunissent à certaines occasions que seuls eux connaissent mais vous ne serez pas forcement ensemble. Cela peut être que les filles ou que les garçons par exemple. Vous recevrez en conséquence vos documents de résidents permanents à la Caserne où Gabrielle était résidente temporaire, nous lui avons trouvé un autre point de chute. Je dois vous avouer également que la ville est très honorée d’avoir parmi elle deux membres du Conseil de Sécurité de l’Ouest, tant que nous ne sommes pas en guerre. Sinon, Greta, si vous le voulez, nous aurions besoin d’une consultante aux affaires stratégiques, juste histoire d’avoir votre avis sur certains dossiers précis à moins que vous vouliez vous impliquer plus, c’est à vous de voir. Victor, nous n’avons pas ici de quoi exploiter vos compétences spatiales mais vous seriez peut-être intéressé par notre cellule de veille technologique qui se pose beaucoup de questions sur les antennes et la fusion entre autres. Que l’Est et l’Ouest aient accès aux mêmes informations me paraît important. Les guerres ont souvent lieu parce que les différentes parties ont des versions différentes de la même Histoire, il serait donc mieux que nous en soyons au même point sur de nombreux sujets. Pour ce qui est de la religion, c’est vers toi Greta que je me tourne vu que tu es considérée dans ce domaine comme une autorité supérieure. Qu’en penses-tu ?
- Rachel, je comprends votre besoin en spiritualité, je le trouve d’ailleurs plus comblé ici qu’à l’Ouest, il n’y a qu’à vous voir. Personnellement, culturellement, mes dieux nordiques ont plus ou moins résisté au Christianisme qui pour moi est une religion douteuse qui nous vient du moyen orient, encore plus douteux. Elle n’était pas adaptée à l’Europe du Nord ou de l’Ouest dont les cultures spirituelles et autres ont tout été effacées pour laisser place à un moyen âge décadent qui a duré mille ans. Après, la religion, c’est ce qu’on en fait n’est-ce pas ? La B3 et maintenant la B4. Et moi. Dieu. Mais on n’en est plus là. Il y a autre chose. Qui a toujours été là et qui est premier. Mais je n’en suis pas non plus : c’est l’Invisible. Que certaines terriennes ont emporté avec elles, comme Gabrielle. Que certaines locales ont en elles, comme Sabine. Et Clémence. Et la Clémence de Dieu met d’accord tout le monde. Vous n’aviez pas besoin de nous, de moi dans votre quête de spiritualité. Vous l’aviez déjà.
- On a tous tout depuis le début mais il faut un déclencheur, un catalyseur. Et c’est toi Greta. Depuis toujours. Sur Terre. Et ici aussi. Même si ça vient de nous au départ, de ton père, Victor. Alors quoi de plus beau de vous trouver tous les deux ensemble aujourd’hui, à Sylvania ?
Rachel en sait plus qu’on ne le pensait. Peut-être plus que nous. Et elle accepte de jouer franc jeu avec nous en le révélant. Elle nous fait confiance. On lui fait confiance. Avec cette confiance, il n’y aura plus jamais de guerre sur cette planète C. Victor repart avec nos médailles, il n’est pas habilité à entendre la suite.
- Rachel, comment tu es au courant de tout ça sans être connectée au renseignement de l’Ouest ?
- Quand Sylvania a été abandonnée pour l’Ouest, ils n’ont pas emporté toutes les archives. En tant que Mairesse, j’ai accès aux archives. Déjà en 1993, soit 10 ans avant la mission sur toi, tout était déjà prévu. Pas en détails mais suffisamment pour se rendre compte que rien ne s’est bien passé. Le programme prévoyait beaucoup plus de missions. Et sur le peu qu’il y a eu, aucune n’a vraiment fonctionné.
- Même la mienne, et je n’étais pas leur premier choix. J’ai eu accès au dossier, je suis habilitée par ma position au CSO. En fait le projet a été abandonné. Je n’étais même pas prévue d’arriver. Sans Alice, je ne serais pas là. Elle était pilote sur la mission. Ensuite présidente du CSO. Elle a voulu comprendre. Elle a pris cette décision. Plus personne ne pouvait l’en empêcher, Vivien Virein venait d’être éliminé. Elle a choisie la folle dingue du nord pour ramener tout le monde. Elle s’est pris une fusion avec Aline, je lui ai pris son homme. C’est elle la vraie héroïne de la survie de ce qui reste de l’Humanité.
- En dame de pouvoir, elle n’a fait que son devoir.
- Elle n’a pas loupé son rendez-vous avec l’Histoire. À nous de lui être digne.
- Mais qui ? Alice ou Aline ?
- C’est vrai que ce sont de vraie jumelles maintenant. Elles sont la même personne, en double. Des clones. Aline était aussi une leader sur Terre. Je l’avais repérée, contactée et rencontrée. Je sentais qu’elle était importante. C’est moi qui ai fait le déplacement. Le voyage a été long, en hélicoptère. Les pistes pour les avions n’étaient plus praticables à l’époque. Aline est une femme de religion, elle est allée jusqu’à la congrégation et elle a eu des activités intimes avec l’Invisible. Maintenant Alice a très certainement ça aussi en elle. Alors ta veille technologique, c’est bien, mais un service de surveillance de l’occulte ce serait plus dans l’air du temps.
- Merci Greta, tes conseils sont précieux. Et sache que le but de tout ça n’est pas de devenir les maîtres du monde. Je veux juste préserver ma ville de ce qui se passe autour. Sans la fermer non plus. Juste rester en équilibre avec le reste. Mes résidents ne sont pas consignés à domicile, bien au contraire. Plus il y aura d’interactions avec l’Ouest, mieux ce sera, pour nous et pour eux. C’est pour ça que vous avoir chez moi est important.
*
Je vais au Diocèse où Adé dirige son petit Couvent. Elle me reçoit dans ses appartements. Elle est en tenue légère et elle n’est pas seule. Benjamin est en pyjama.
- Un garçon, ici ?
- Cours particulier. On a fait une nocturne. Soirée pyjama.
Elle rougit. Lui aussi.
- Dieu vous pardonne mes brebis, vous avez mon absolution, etc.
Ils sont soulagés, rassurés, contents, heureux. Il leur en faut peu.
- Adé, je viens te rendre compte.
Et je regarde du côté de Benjamin. Elle réfléchit.
- Benjamin mon chéri tu peux aller voir les sœurs, c’est bientôt l’heure des vêpres, elles vont te montrer. Mets ton aube.
Il va pour sortir mais elle lui tend les bras. Il accoure et elle l’embrasse tendrement, sur le front. Il me fait une révérence et sort discrètement. J’approuve :
- Il est mignon.
Adé a le regard perdu dans le vide avec un petit sourire.
- J’adore ma nouvelle vie ici.
- Moi aussi Adé, on est bien à Sylvania. J’ai eu un entretien avec Rachel au sujet d’Alice, et d’Aline. Avec cette fusion Alice a maintenant accès à l’Invisible. Il est question de créer un service de surveillance de l’occulte. Je pense que cette tâche va t’incomber.
- Super ! Mes bonnes sœurs sont prêtes. Elles sont géniales !
- Vraiment ? Déjà ?
- Oui, et prêtes à tout. Je leur ai faite une formation à la sauce des services spéciaux et secrets du Vatican comme à la bonne vieille époque. Tu peux rassurer Rachel, on a les meilleures sur le coup. Au fait, il faut que je te dise, on en est à la page 750.
Sacrée Adélaïde… Je suis sous le charme de son bonheur. Je m’approche tout près, dans sa zone d’intimité, elle est un peu impressionnée, je suis plus grande et plus large. Je lui murmure tout bas :
- 750 ? Il faut fêter ça. Tu veux goûter à la nouvelle Greta ?
Elle regarde ma main.
- Où est ma bague ?
J’ouvre mon chemisier pour lui montrer, elle est accrochée à ma chaîne en or :
- Elle me serrait trop. J’ai dû l’enlever. Les joailliers n’ont pas reconnu le métal pour retoucher la taille.
- Ici, le tableau périodique des éléments est différent. Mais il y a une technique pour ajuster.
Elle détache ma chaîne en m’embrassant dans le cou au passage. Elle récupère sa bague et elle la manipule. En tournant le motif, l’anneau devient plus grand. Elle me la remet au doigt et l’ajuste. Elle embrasse ma main. Puis mon bras, puis mon épaule, puis ma joue pour finir dans ma bouche.
- Tu as le goût de Benjamin. Qu’est ce qui se passe exactement avec lui ?
- Je lui fais son éducation. Mes trois petites sœurs se sont occupées de le déniaiser. Mais il veut goûter aussi aux terriennes apparemment. Il est tellement gentil. Mais je dois faire attention. Je ne veux pas l’abîmer. Il a des sentiments pour moi. Alors je n’ai pas le choix. Je vais y aller en douceur, de douceur en douceur. Et il me plaît, énormément.
- C’est vrai qu’il a bon goût. Mais attention de ne pas fâcher sa maman. Elle a l’air de beaucoup l’aimer aussi.
- Rachel est intelligente. Et elle me fait confiance. Elle veut le meilleur pour son fils. On le prépare du mieux qu’on peut.
Et je goûte à son bonheur, à son plaisir. Mais…
- Tu sens l’amour de ton élève. Il a marqué son territoire. C’est un message qu’il me laisse. Chasse gardée. Et je te sens différente aussi, plus tendue, moins libre. Tu t’es donnée à lui. Tu lui appartiens. On va respecter son choix et le tien. Mais n’oublie pas que je suis à toi aussi Adé. J’ai ta bague autour de mon doigt. Je t’aime pour toujours et à jamais.
Je la laisse tranquille. Je la serre dans mes bras. Quoi qu’il arrive, je serai toujours là pour elle. C’est peut-être un peu ça, être Dieu, je le vois dans ses yeux. Je m’en vais sous son regard doux de reconnaissance et d’amour.
*
Aurélie nous a fait livrer plein de fruits et légumes à la Caserne. Victor s’occupe à les ranger dans la chambre froide. Message d’Aurélie : « Tu vas en avoir envie. » Message de Adé : « Bisous sur ton ventre. » Elle a passé son temps à l’écouter entre deux séances de caresses frénétiques. Je crois même qu’elle l’a baptisé de sa salive bénite. D’où le message. J’enlève ma culotte avant de mettre des gants et je rentre dans la chambre froide où Victor s’affaire. Je soulève ma jupe et j’attrape les barreaux d’une étagère métallique, je me cambre et je lui annonce :
- Victor mon amour, prends moi dans le froid.
Je sens son corps contre mon dos, mes fesses se réchauffent, il me fait manger des fraises entre deux saillies. Le soir avant de s’endormir, tout contre lui je me réchauffe les pieds. Sa main se promène entre mes fesses pendant que je joue avec son outil de plaisir. Une douce existence de jouissance s’offre à nous ici à Sylvania. Et je me souviens d’un conseil que ma donné Aurélie : « Manger c’est comme dormir. Dormir c’est comme jouir. Il faut le faire plusieurs fois par jour. »
- Plus fort, Victor, mon amor de petite mort.
Et ses doigt s’agitent en moi, je suis le rythme sur lui. De mon autre main je l’accompagne entre mes cuisses.
*
Victor n’est pas là, il est en formation de pompier où Coralie ne profite pour faire un reportage. J’invite donc mes copines au thé de l’après-midi. Clémence est venue avec Aurélie et son bébé. On admire le petit garçon, on se le passe de bras en bras et puis elle le nourrit, au sein, c’est magnifique. Dommage que Coralie ne soit pas là. Je fais une photo avec mon monolithe et je lui envoie. Ensuite on va le mettre dans une petite pièce sombre et calme pour le laisser digérer et dormir. On s’installe à proximité pour le surveiller et on pose nos mains sur la table. On regarde nos doigts. On a toutes une bague en commune.
- Elle en a distribuées combien à votre avis ?
- On est beaucoup d’élues. Mais elle a été choisie aussi, et pas par nous.
- Rachel ?
- Presque. En quelque sorte. Elle est précepteuse de son fils. Elle s’implique énormément.
- Si elle se perd, on sera toujours là pour elle. Et elle le sait. Ça lui permet de se laisser aller, au plus loin, avec lui. Il a bien de la chance, et elle aussi. Ils sont heureux j’en suis sûre.
Voilà comment on se met au courant et comment on se met d’accord, avec amour autour d’un thé au philtre d’amour avant de se détendre toutes ensemble avec quelques caresses buccales et digitales. Aurélie nous fait goûter son lait et elle le goûte ensuite dans notre bouche. Je sens mon bébé qui bouge. Je leur mets leurs mains sur mon ventre et leurs visages rayonnent de surprise et de bonheur.
*
Je regarde le reportage de Coralie. Je vois le regard d’une jolie petite blondinette aux cheveux bouclés qui regarde amoureusement mon Victor. C’est vrai que je l’ai mis en carence de galipette pour notre bébé mais quand même, je lui fais tout le reste… Sauf que son admiratrice n’est pas une terrienne. Je n’avais jamais songé au fait que sa véritable façon de faire l’amour lui manque… Mon pauvre petit Victor… Je zoome sur le visage de la fille. On voit bien son regard. Ses yeux bleus. Je me concentre sur son âme. Elle est innocente. Fraîche. Pure. Sans aucune mauvaise intention. C’est une héroïne. Elle est volontaire, passionnée, audacieuse et particulièrement sensible au charme sombre de Victor. Un jour où j’étais à la Mairie, après une séance d’entraînement, il l’a invitée chez nous pour lui montrer le camion. Elle a posé ses fesses sur nos fluides séchés. Ils l’ont fait à cet endroit même. Victor voulait un lien. Un lien d’amour. De mon côté il me laisse aussi faire des choses avec mes copines. Je peux bien le laisser s’amuser avec une collègue locale. Elle a l’air bien cette petite. J’embrasse l’écran. Elle a l’air heureuse et elle le rend heureux.
*
Les pompiers font des démonstrations et de la prévention au Centre Culturel. J’y suis pour regarder Victor dans sa belle tenue de pompier en train d’expliquer le fonctionnement d’un extincteur à des enfants. Je la vois arriver sur la droite, resplendissante, souriante, heureuse, elle apporte du matériel à Victor mais quand elle regarde sur sa gauche elle me voit à l’écart avec mon gros ventre et son visage s’éteint. Elle s’arrête et vient vers moi.
- Bonjour madame, je suis Solange, une collège de Victor.
- Bonjour Solange, je vous reconnais, je vous ai vue sur les photos de Coralie. Vous êtes encore plus jolie en vraie. Ce doit être agréable pour Victor de s’entraîner avec vous.
- En fait c’est lui qui s’entraîne. Moi je suis déjà confirmée. Je suis son instructrice. C’est un bon élève. Il est doué. Et passionné. C’est vous qui avez bien de la chance.
- Merci Solange, je suis bien contente qu’il ait trouvé sa voie. Et il a bien de la chance de vous avoir aussi. Vous êtes très… gentille avec lui.
Elle pâlit. Elle se sent mal. Elle a peur. Je lui prend la main pour la rassurer :
- Ça va aller Solange, je ne veux que son bonheur, et le vôtre aussi.
Sa main est froide. Pauvre petite. Victor nous a vu. Il nous surveille d’un œil.
- Madame. D’accord. Merci.
- Je peux vous embrasser ?
Je lui tire le bras pour l’approcher, elle sent bon, je lui fais une bise sur la joue et je lui souffle tout l’Amour que je lui souhaite pour envelopper son esprit, son cœur et son âme. Sa main se réchauffe immédiatement. Son visage rayonne à nouveau, de joie et de bonheur. Elle va mieux. Gentille petite Solange, un joli petit bonbon défendu pour mon Victor. On se regarde intensément. Elle sera toujours la bienvenue dans notre couche.
*
- Ça sera pas du 6 mois, Greta. Du 4 tout au plus.
- Mais ça ne fait qu’un mois de plus que d’habitude. Tout ça pour ça ?
- Si tu veux on pourra inverser ta croissance après.
- Ah non je suis bien mieux comme ça.
- Tu sais, j’ai regardé les résultats d’examens pour une fois. Avec le thé au philtre, les liens avec ton bébé sont déjà créés.
- Mince, Aurélie en a pris aussi, et elle allaite.
- Le lait maternel est bien plus puissant que celui du thé. C’est ça qu’il faut faire pour créer des liens. Ce que je voulais dire, c’est que toi tu l’as shooté in utero.
- Mathilde, tu peux terminer ton examen comme la dernière fois ?
- Avec les sondes vibrantes ?
Elle s’affaire sous le drap. Cette fois-ci je sens son visage entre mes cuisses. Je ferme les yeux pour mieux profiter de son auscultation sans les mains. Une onde électrique traverse mon corps mon esprit et mon âme et elle s’arrête brusquement en entendant mes sanglots. Je sens les larmes couler sur mon visage et elle vient me consoler. J’explique :
- Je suis trop heureuse, Mathilde.
- Dieu est Amour, Greta.
Et on se regarde. Et je me calme. Je respire. Elle m’aide à me rhabiller. Elle me raccompagne à la Caserne et je prépare du thé au philtre.
- Il est très dilué mais comme c’est la première fois, tu vas le sentir passer.
- Et Victor ?
- Il s’entraîne avec sa cheffe, Solange. Je ne suis plus tellement opérationnelle pour lui. On ne le fait plus qu’une fois par jour.
On se regarde une seconde. Tout s’arrête, c’est le point de non retour. Dès la première gorgée, elle m’embrasse déjà et on baigne dans des couleurs merveilleuses sous des vagues de chaleur et de bien-être. J’ai de belles sensations oubliées, des odeurs, des impressions, des sentiments, tout ressurgit quand la chevelure rousse bouclée de Mathilde me caresse tout le corps. Elle est tellement tendre. Son armure est tombée, elle est à nue, est à moi, elle est la plus douce de toutes mes partenaires intimes. Lorsqu’on émerge à nouveau dans la réalité, elle ne me regarde plus comme avant.
- C’est merveilleux Greta. Je peux croire en Dieu maintenant. Je l’ai ressenti de tous mes sens en toi. Tu viens de changer ma vie, elle a un sens maintenant. C’est toujours l’effet que ça fait ?
- Ce n’est que le début. Il ne te reste qu’à gravir une à une les marches vers ton bonheur absolu. C’est le philtre de l’I.S.A.
*
En famille à la Caserne, avec les collègues à la Mairie, avec les copines au Palace, en soirée à l’Opéra, en promenade dans le Parc, à la Messe à la Basilique, notre routine du Bonheur s’installe. Il fait frais, il pleut, les feuilles des arbres jaunissent. On est loin de l’été éternel de l’Ouest. On se sent plus vivant ici. Aujourd’hui le Restaurant est réservé, Aline et sa fille Noëlle viennent en cuisine préparer les repas. Valentin s’occupe des desserts et Sandy du service. Aurélie arrive avec les dernières denrées et son bébé que tout le monde admire. Beaucoup des invités viennent à Sylvania pour la première fois. C’est l’occasion de leur expliquer quelle est notre vie ici. Rachel est là pour leur faire un discours de présentation :
- Ma Reine, chers membres du Conseil de Sécurité de l’Ouest, autorités spirituelles, bienvenue dans ma ville. Je ne vais pas vous faire un exposé pour vous convaincre qu’on est bien ici, je vous laisse juste le découvrir par vous-même.
En fait elle ne veut pas perdre de temps et commence déjà à goûter à l’entrée. Je regarde autour de moi et je me rends compte que je n’avais jamais vu autant de gens que j’aime en même temps. Même Isa Love est venue du Village mais elle me regarde méchamment :
- Alors comme ça tu as décidé de me remplacer ? Tu veux une autre fille préférée ?
Et elle rit.
- Impossible mon Isa Love, tu sais bien que je t’aime plus que tout. Alors comment tu trouves la ville ?
- Je connais déjà, maman. J’ai même un duplex dans la Tour R.
- R comme Raymond ? Émilie.
- Oui.
- Alors comme ça tu as décidé de me remplacer ? Tu veux une autre mère préférée ?
Et je ris.
- Impossible maman, tu sais bien que je t’aime plus que tout.
Mais je sens bien que quelque chose ne va pas, alors je lui prend les mains pour savoir. Elles sont tièdes et son regard est bloqué, elle ne me laisse pas rentrer.
- C’est qui ?
Elle rit. Un peu trop. Puis moins. Puis plus du tout.
- Il m’aimait bien jusqu’à qu’il découvre que j’étais la fille de Dieu et que mon père était le fils du Pasteur Patrice de la Cathédrale. Il a disparu en changeant d’identité, j’ai demandé à Aurélie de me prévenir de tout nouveau travailleur clandestin dans ses champs au Village.
J’essaie de me souvenir de la gouvernance des agents pour demander à vérifier si il n’est pas caché là-bas mais quel indice je pourrais leur soumettre pour le débusquer ?
- Je vais te le ramener ma puce. Mais il me faut quelques informations banales. Raconte le moi.
- Maman, non.
- Très bien, ça me suffit. Je te l’envoie ce soir à ton appartement de la Tour.
- Quoi ? Comment tu…
- Je suis Dieu.
Mon Isa repart, à son appartement apparemment. J’appelle Cécile, la capitaine 666 d’Adé, elle lui a filé son Tim.
- Salut Cécile, je recherche un ami de ma fille, il s’est enfui quand il a su qui elle était. C’est peut-être une de vos nouvelles recrues à l’Octogone, c’est là qu’ils vont pour disparaître définitivement.
- Je te l’envoie ce soir à la Caserne ?
- Non, je serai encore là, je suis au Restaurant.
- Très bien, ce sera le serveur qui te propose du fromage.
*
- S’il vous plaît, madame ?
Je me retourne et il réalise qui je suis.
- Elle vous attend à son appartement.
- Mais… ce n’est pas possible. Je ne suis rien qu’un ingénieur raté et…
- Et ?
- Et je suis désolé mais je ne crois pas en Dieu.
- Moi non plus. C’est pas le problème. Elle, elle croit en vous.
- D’accord… madame… euh, votre éminence ?
- Tu peux m’appeler belle-maman. Allez, oust ! Qu’est ce que tu fais encore là ?
Et il repart, un peu sous le choc. Il pose discrètement son plateau de fromage et se dirige vers la sortie. C’est un gentil. Innocent. Aucune ambition. Il aspirait à une vie simple. Un jeune local. Il est un excellent choix, elle est vraiment intelligente, elle va être heureuse avec lui. Je viens de réaliser qu’ils n’ont pas encore fait de galipettes. Je lui fais signe de m’attendre. Je le rejoins :
- Il faut que je vous dise quelque chose, monsieur … monsieur ?
- Maxwell.
- Max, Isa, elle est née sur Terre.
Et je lui fais un clin d’œil. Il en reste bouche bée. Son monolithe vibre avec l’adresse exacte où l’attend mon Isa Love.
*
Ils sont invités à la Caserne. Pendant que Victor lui montre son beau camion, Isa Love m’explique enfin :
- C’était à un congrès à Russell. Il représentait WesTech et présentait des travaux sur l’énergie physique. Il n’est pas pris au sérieux parce que tout a déjà été découvert dans ce domaine. C’est d’ailleurs pour ça qu’il est encore ingénieur, personne ne veut valider ses thèses. Mais je crois qu’il a fait exprès de choisir ce domaine. Les scientifiques sérieux le font rire. Il se cache derrière une apparence incrédule et innocente, il est presque niais et ça lui permet de tout oser, comme nous aborder mes copines et moi. J’ai tout de suite accroché. Il me fait beaucoup rire tellement il est maladroit et pataud. Il en devient attendrissant. Et ses recherches n’ont pas l’air si vaines et débiles que çà. En tout cas il publie plein de brevet même si ça n’intéresse personne. Tout allait bien jusqu’à ce qu’il sache qui je suis. Et le fait que tu lui aies parlé lui met encore plus la pression. Maintenant, j’aimerais bien aller voir Victor voir ce qu’il en pense. Je te le renvois ?
Il s’approche timidement, trébuche contre une table basse, je le rattrape.
- Désolé, Greta.
- Je vous aime bien Maxwell. Elle vous aime bien aussi. Vous êtes celui qui peut la satisfaire, satisfaire ses besoins, ses besoins en affection, elle a besoin de beaucoup d’affection et vous pouvez lui en donner n’est-ce pas ? Mais le jour où vous n’en avez plus pour elle, vous aurez affaire à moi.
Il déglutit. Il s’assoit à côté de moi.
- Bien madame.
- Maxwell mon petit, quand on est entre nous, en privé, toi et moi, tu peux m’appeler belle-maman.
Et je lui mets une main sur la cuisse avec un regard sévère. Je crois que son cœur a arrêté de battre. Mais il ouvre la bouche :
- Est ce que je peux vous appeler Maman Belle ? Isa Love, Maman Belle.
J’enlève ma main et je prends un air étonné :
- Excellente idée. Vous êtes brillant Maxwell.
Tout ça n’a aucun sens. C’est juste histoire de parler. Quand on se connaîtra mieux, on pourra vraiment communiquer. Elle revient avec mon Victor. Elle se met à côté de Max et lui prend la main. Comme ils sont beau ! Je rejoins Victor en face et je lui prend la main aussi. Et je lui fais un bisou sur la bouche. Ensuite je regarde Maxwell avec insistance. Il s’exécute. Il se rapproche d’Isa, lui tire le bras et l’embrasse sur la bouche. Elle est tout étonnée, et gênée. Mais elle se ravise et lui rend son bisou avant de se blottir contre lui et le regarder amoureusement. Victor me regarde en coin. Il trouve que je m’immisce trop dans leur relation. Mais c’est ma fille ! Mais il a raison. Je vais laisser faire les choses. Comme je le laisse faire lui avec Solange. Comme il me laisse batifoler avec mes copines. Mais là je suis heureuse, à la Caserne, en famille, et je mets mon autre main sur mon ventre. Max doit prendre ça comme un message parce qu’il a les yeux tout écarquillés. Mon pauvre petit Max, il est aux ordres. Je lui fais un clin d’œil. Il sait bien ce que c’est, les agents reproducteurs. Mais il n’en est pas un. Je le charrie.
*
On sonne ? Je vais voir. C’est Solange. Elle en fait une tête ! Triste. Mélancolique. Déçue. Résignée. Elle m’avoue :
- Ça va pas le faire.
Je la fais entrer, elle s’installe dans le canapé blanc, elle joue à trouver la bonne position avec les modules mobiles pendant que je prépare un thé réconfortant. Je prends la boite L’I.S.A. ou bien ? Je la regarde de loin. Elle n’a pas l’air d’humeur. Ce sera un thé normal.
On boit sans rien dire. Il faut attendre l’effet de l’alcaloïde.
- Raconte-moi, Solange.
- Ça devient tellement intense.
- Il n’y a pas de prochaine étape Solange. Tu ne peux pas l’avoir pour toi toute seule. Ni moi non plus. Nos hommes ne nous appartiennent pas. Profite de ce que tu as déjà de lui.
- D’accord, mais j’ai une drôle de sensation. J’ai l’impression d’être entre vous deux comme une esclave sexuelle. Et ça me plaît. C’est bizarre, non ?
- On a trouvé notre place, on est chacune à notre place. Et si c’était lui qui nous y avait mises ? Qui fait le premier pas ? Toi ou lui ?
- Greta, je ne me serais jamais permise.
- Intéressant. Moi non plus. C’est lui qui est venu à moi.
- Tu crois qu’il en a d’autres ?
- Non, je crois qu’il a tout ce qu’il lui faut. Toi et moi.
Elle se détend. Elle regarde autour d’elle.
- La décoration a changé ? On se sent bien ici.
- Et si tu venais t’installer avec nous ?
- C’est vrai que là où je vis c’est pas terrible.
- Ça va le faire.
*
Solange s’installe à l’étage dans la pièce en face de la barre de pompier. Je frappe. Elle entrouvre.
- Bonjour Solange.
- Bonjour Greta.
- Tu ne me fais pas entrer ?
- C’est mon endroit à moi. Tu n’as pas un endroit à toi ?
- Si, j’ai le Palais Royal, au nord.
Elle ouvre.
- Voilà le mien. Ce n’est qu’un début.
C’est douillet, plein de couleurs, fonctionnel. Ses diplômes sont accrochés au mur devant un bureau. La grande fenêtre éclaire la pièce et il y a aussi la verrière au dessus.
- C’est très romantique.
Elle me fait rentrer. Un mug de thé chaud est posé sur le grand rebord de la fenêtre.
- J’aime regarder les oiseaux dans les arbres en face en buvant du thé, assise sur le bord intérieur, adossée au mur.
Je suis émue, je touche mon ventre.
- Et tu chantes aussi ?
- Non. Greta ? Ça va ?
- Oui, ce n’est rien, c’est juste que… ma sœur faisait ça, chanter et regarder les oiseaux dans les arbres en buvant du thé.
- Tu as une sœur ?
- Elle est restée sur Terre. Ma petite sœur. Béatrice. Beata Mona Lisa. Notre bébé, on va l’appeler Mona-Lisa.
- Moi je n’ai pas de famille Greta. Et les oiseaux, ils n’existaient pas avant. Je les découvre. Je découvre tout. Derrière la jeune officière il n’y a pas grand-chose. Je n’ai rien. Je ne suis rien. Et je suis bien comme ça.
- Je t’aime bien Solange. Je suis contente que tu sois là.
*
Solange s’est mise en uniforme. Je les regarde s’expliquer.
- Bonjour je suis Isa Love, la fille de Greta.
- Bonjour, je suis la lieutenante Solange, responsable de la Caserne mais aussi instructrice de Victor qui est un apprenti pompier. J’ai également suivi une formation avec la docteure Mat pour assister Greta dans sa grossesse. Je suis donc à poste permanent ici.
Maxwell intervient :
- Apprenti pompier ? Ça a l’air intéressant comme formation.
Isa Love le regarde méchamment. Il n’insiste pas. Tout le monde repart sauf Isa qui me questionne du regard.
- Mon Isa Love, ça lui ferait du bien à ton Max.
- Hors de question. Tu as vu comme elle est jolie ? Comment tu acceptes ça pour Victor ?
- Ça lui fait du bien aussi. Je ne suis plus opérationnelle pour subir ses assauts. Solange m’assiste dans ce domaine pour éteindre les feux de Victor.
- Les feux de Max ne sont sont que pour moi. Et je n’ai surtout pas l’intention de les éteindre.
Je lui fais un signe de tête. Elle se retourne et s’empresse de rejoindre son Max qui commence à discuter avec notre Solange qui, du coup, me rejoint avec un petit sourire.
- Il est sympa, Max. Heureusement qu’elle l’a trouvé avant moi.
- Oui il est craquant. Comme toi. Vous iriez bien ensemble. Mais vous avez trouvé mieux.
Une belle ambiance de famille en perspective. Après le repas, Victor aide Isa Love qui suit Solange à la trace dans le rangement de la cuisine. Pendant ce temps, Maxwell vient me tenir compagnie. Il a un peu trop bu je pense.
- Greta, votre pompière est fascinante.
- Oui, on l’aime beaucoup. Heureusement qu’elle est là.
Et il me regarde. Et je le regarde. Il s’approche. Il m’embrasse sur la bouche. Un petit bisou.
- Max ! Tu as trop bu. Petit coquin.
Et je ris en lui donnant un coup d’épaule. Il me fait un autre bisou. Je lui rends, deux fois.
- On est quitte. Bas les pattes. Concentre toi sur Isa Love. Elle a besoin de ton affection. Moi je ne suis qu’une vieille Reine Mère pondeuse. Mais j’ai bien aimé, tes bisous. Quelle audace. Retourne voir les jeunes en cuisine. Non, reste avec moi, ça vaut mieux.
- Tout ce que tu veux. J’ai bien aimé tes bisous aussi.
- J’espère bien, des bisous de Dieu. Mais, ne fais pas tout ce que je veux, Maxwell. Mes mots ne sont pas des ordres, juste des suggestions. Tu as ton libre arbitre. Tu peux me dire non. Mais si tu veux me faire plaisir, ou plus, veille sur le bonheur de mon Isa, Love.
- Et toi Greta, dans tout ça, comment ça va ?
- Super. Et je m’éclate avec toutes mes copines.
- Avec Solange aussi ?
- Pas vraiment. C’est pas encore son truc. Elle est complètement sur les mâles et en te regardant je comprends l’inquiétude de mon Isa, surtout avec tes petits bisous secrets cachés. J’espère que tu ne vas pas crier mon nom au mauvais moment. Ou alors, nom de Dieu !?
Et on se met à rire alors qu’ils nous rejoignent. Ils se demandent pourquoi. J’explique :
- Maxwell a découvert une force bleue dans votre Multivers. Sans elle, les gens ne croient pas en Dieu. Et beaucoup ont autour d’eux un filtre jaune qui ne permet pas à la Foi d’atteindre leurs âmes. Il faut raconter ça à Clémence pour l’écrire dans la B4.
- Maman, j’ai l’impression qu’il fait ses recherches juste pour t’impressionner.
- Il a intérêt si il veut être digne de ma fille.
Moi aussi il ne faut pas que je crie Max au mauvais moment. J’adore ce petit. Il est craquant. Elle a bien de la chance mon Isa Love. J’espère que ça ne se voit pas trop qu’on s’aime vraiment bien Max et moi. Heureusement que Dieu n’est qu’Amour !
*
On sonne à la porte. Je me regarde dans le grand miroir de l’entrée avant d’ouvrir. C’est Max :
- Vous êtes prêtes ?
- On va encore flirter ?
Il a demandé l’autorisation à mon Isa Love et à Victor de me faire participer à ses recherches vu que je suis censée m’y intéresser. Sur le trajet en voiture :
- Vous savez, Maxwell, je ne l’ai jamais fait.
- Vous avez fait bien pire, plusieurs fois.
- J’étais différente, bien plus forte. Je me suis affaiblie et j’ai grandi avec le temps.
On arrive à la Tour R. Il faut monter tout en haut. Il y a une plateforme avec une drôle de navette en forme de fusée. De loin, on verra juste une antenne se détacher du toit.
- Ne vous inquiétez pas, les voyages sans l’espace sont très confortables. Il y a même un système pour garder un peu de pesanteur. Il n’y a aucun risque pour le bébé.
Il m’installe dans un grand fauteuil confortable. Il est beau dans sa tenue blanche et grise. Il s’installe à côté de moi, à ma gauche pour ne pas être à droite de Dieu. Il tourne la tête pour me regarder. On a pas besoin de parler. On se prend la main. Je glisse mes doigts entre les siens et de ma main droite j’appuie sur le bouton bleu devant moi. Il y a comme un glissement, en quelques secondes on est dans le noir et on voit les étoiles. On est passé de l’autre côté de la planète, à l’abri du soleil. Il me tend un casque noir avec trois grosses lettres rouges inscrite sur les écouteurs : BRI. Je le mets et je n’entends rien. Toute la cabine s’éteint, jusqu’à la moindre LED. Et là je commence à percevoir un son. Plus je l’écoute et plus il est nuancé. On dirait de la musique. Ou un langage. Ça a l’air vivant. La cabine se rallume. J’ôte le casque et il m’explique :
- C’est BRI de l’espace. Le son n’est pas censé s’y propager mais une ingénieure de l’Agence Spatiale a fait cette découverte. Brigitte, la fille de Gaby. Je me suis inspiré de ses travaux pour ce que maintenant je suis obligé d’appeler la force bleue. C’est derrière ce BRI, derrière ce bruit que j’ai détecter cette onde parce qu’elle est de la même nature. On peut entendre dans le silence et on peut voir dans la nuit.
- C’est… l’Invisible ?
- C’est pour ça qu’il fallait que tu entendes ça. Il fallait que ce soit toi, ici, dans l’espace, à l’abri du soleil, face à l’onde bleue. Tu peux la voir en fermant les yeux et en regardant devant toi.
Je le regarde, inquiète. Mais son visage me rassure. Je m’exécute et je vois une magnifique lumière bleue, tout en nuances, elle danse doucement. Ses mouvements calmes et intenses me rappellent Clémence sur scène quand elle s’entraîne en musique. Elle est sans doute connectée à tout ça. Je serre la main de Max. J’admire le spectacle. Je l’entends. Je le ressens.
- Alors ?
J’ouvre les yeux. Je tourne la tête pour le regarder. Il s’est approché, il est tout près de moi. Je lui murmure :
- Je l’ai vue.
Et il m’embrasse, tendrement, innocemment, ça n’a rien de sexuel. Je ferme les yeux et je vois une autre couleur. Je le vois lui. Je lâche sa main pour caresser son visage. C’est moi qui l’embrasse maintenant. Et puis on se regarde. Il met sa main sur ma joue. Je mets ma main sur la sienne. Je ferme les yeux et j’appuie. Câlin de mains. Et puis on se prépare pour le retour. En descendant de la fusée, je lui annonce :
- Je le savais.
- De quoi ?
- Qu’on allait flirter !
Et on rit en allant vers l’ascenseur qui nous fait redescendre sur le sol de nos existences.
- Max, pendant notre baiser, tu fermais les yeux ?
- Oui.
- J’étais de quelle couleur.
- Tu étais toute verte. Et moi ?
- Tu étais rouge. Tu l’es encore un peu.
Je lui pince la joue. Il me prend dans ses bras. Il plonge son visage dans mes cheveux et je sens ses lèvres dans mon cou.
- Mords moi Maxwell, et bois de mon sang.
Je me sers contre lui. Mais on entend le ding qui va précéder l’ouverture de la porte alors on reprend notre place de chaque côté de l’ascenseur. On se regarde furtivement avant l’ouverture des portes. La lumière nous envahit et on ne voit plus rien.
*
Pendant que les pompiers mettent la table, Maxwell m’aide à préparer l’entrée. En coupant les crudités je repense à plein de choses. Je regarde la lame pointue, je regarde mon index gauche, je regarde Max et :
- Oups ! Je me suis coupée.
Maxwell regarde la goutte rouge qui grossit sur mon doigt et il me prend la main. On se regarde, on a un air coupable, comme si on allait faire une bêtise. Il monte ma main à sa bouche et il gobe mon index, je ferme les yeux, j’inspire de surprise une sensation merveilleuse. Je tangue. Il m’assoit vite sur une chaise et appelle de l’aide. Solange arrive tout de suite, analyse et comprend la situation, elle me prend en charge et évacuent les autres. Mais je sens la présence de Maxwell en moi. Je le sens avaler sa salive fermer les yeux. On est connectés. La main d’Isa Love le réveille et il la rassure :
- C’est rien, elle s’est coupée en coupant la salade.
- Pourquoi, comment ? Tu l’as déconcentrée ?
- C’est ma faute, j’aurais dû m’occuper de l’entrée. Elle était pressée, peut-être un peu fâchée, contre moi. Je ne sais pas.
- Ça va aller Max, ne t’inquiète pas mon amour.
Solange claque des doigts pour me ramener à moi. Je suis passé en lui avec ma goutte de sang. Il est le géniteur de ma descendance. Il fait partie de moi maintenant.
*
Évidemment, quand Mathilde me demande comment je vais en consultation, je dois lui raconter :
- Je vois mon gendre en cachette et on fait de la méditation ensemble. Avec quelques massages. Du peau à peau. Il me fait voir des choses de l’Invisible. Il est en train de les mettre en formules physiques. C’est un ingénieur, chercheur, et il m’a trouvée.
- Ah bon ? Il faut le présenter à mon père alors. Ils sont faits pour se rencontrer. Mais ils doivent certainement déjà se connaître, non ?
- Non, Maxwell n’est pas reconnu par les scientifiques. Personne ne veut publier ses thèses. Même pas le Vatican 4.
- Vous êtes allés jusqu’où ?
- On n’en est qu’au niveau -4 de la basse conscience.
- Je voulais dire, physiquement.
- On a échangé quelques fluides. Salive, sang, lait et…
- Greta !
- Quoi ?
- Quand même… et Isa dans tout ça ?
- Il la comble affectivement.
- Ton bébé va bien.
- Je sais, j’étais juste venue pour l’examen final.
Et je sens les vibrations entrer en moi.
*
Il est chaud, il sent bon, je suis confortablement appuyé contre lui, comme dans un fauteuil, le ventre en avant.
- Mets ta main entre mes cuisses, tu y arrives mieux que moi maintenant.
De l’autre il me caresse un téton qui réagit. Je tourne la tête pour goûter à sa bouche. On s’embrasse tellement bien. Je le bois. Ça y est, je le sens entre mes fesses, et ce n’est plus son doigt, ses deux mains sont occupées ailleurs. Mais je m’évanouis déjà de bonheur.
*
Assis à table avec Victor, je me tortille devant mon dîner et des vagues de plaisirs montent encore jusqu’à ma nuque. C’est comme si il était encore en moi. Je ramène des devoirs à la maison. Et je prends des forces pour notre Mona-Lisa, et comme chaque soir j’assouvis son père. Il se met derrière moi et entre dans son antre, dans notre ventre, chacun son chemin, Maxwell connaît le sien, les siens avec celui de mon Isa Love. Et je ferme les yeux en pensant à lui et à nos jeux interdits.
*
Je revois Mathilde, à elle je peux tout dire. Je lui expose les deux modus operandi et j’attends son avis médical pour savoir si il y a une contre indication.
- Comment en êtes-vous arrivés là ?
- Et bien, en fait, un jour, il s’est soulagé sur mes fesses. Le jour d’après, sur mes reins. Puis sur mes épaules, ma nuque entre mes nattes, sur mon visage et c’est là qu’est arrivé la première… pénétration ? Dans ma bouche. C’est là que j’ai commencé à lui donner mon lait aussi. Et puis il a continué à se soulager, sur mes seins, sur mon ventre et même sur mes cuisses, devant et derrière. Alors, au deuxième tour, je l’ai laissé rentrer. C’est la deuxième. Dans mes fesses.
- Tous les jours ?
- Tous les jours ouvrables. Les autres jours on n’a pas le temps. Au fait, il est encore plus vigoureux depuis que ton père lui a permis de soutenir ses trois thèses de sciences physiques. Merci.
- Oui, une grande première, un professeur terrien qui produit du docteur local. Ça valide aussi sa chaire à lui.
- Le plaisir de la chair.
Et on éclate de rire. Elle m’embrasse.
- Tu es formidable Greta, je t’aime.
Et elle descend terminer son examen mais sans ses instruments, juste avec sa langue.
*
Il m’accompagne dans le Parc. Il fait frais. On respire. Les feuilles jaunes nous tombent dessus. On va à la marre aux canards. Il n’en a jamais vu.
- Aurélie a eu du mal à acclimater les oiseaux. Il sont trop léger. Ça manquait de graines et d’insectes. Elle a réussi finalement.
Il me regarde, il est en pleine conscience. Je lui souris et je lui dis :
- On est heureux toi et moi. Ensemble et séparément. Chacun de notre côté.
Mais il ne dit rien. On s’assoit sur le banc et je lui prends le bras. J’ai envie de mettre ma tête sur son épaule. Je le ferais si c’était Victor. Mais aujourd’hui, c’est Maxwell. Le Docteur Maxwell. Et je suis citée et impliquée dans ses recherches sur l’Invisible, même si ça déborde un peu sur le S. Un peu beaucoup. Passionnément. La Passion de Dieu ?
*
C’est dans ce tourbillon d’émotions que notre petite Mona-Lisa grandit dans l’œil du cyclone de mon ventre. Justement, voilà Mère Adélaïde, je sens que je vais me faire disputer :
- Greta, tu monopolises la B4. Il n’y avait que 1286 pages de prévues et on en est déjà à 766.
- 1286 ? Pourquoi ?
- C’est le nombre de page de la Bible de Gutenberg, la première fois qu’elle a été imprimée à grande échelle. Pas de Jacob !
- Ma mère, je suis Dieu. Et puis, tout augmente. Regarde moi, je suis la Greta augmentée pour supporter mon petit bidon. Il reste 520 pages, ça va suffire, non ?
Elle a l’air fâchée. Elle réfléchit.
- Greta, tu es euphorique. Ce n’est pas normal. C’est ton bébé. Ou alors tu es amoureuse. Ou heureuse. Ou les quatre comme la B4.
Elle est drôle. Je rigole. Sacrée Adé. En fait elle n’en a rien à faire. Elle parle d’elle. Amoureuse, heureuse. Mais il a autre chose. Oh mon Dieu. Je m’assoit. Je la tire pour qu’elle s’assoit. Je lui prends la main et je la regarde dans les yeux.
- Adé ?
- Ça a toujours été compliqué. Il y avait peu de chance. Alors j’ai pris l’habitude. De ne pas prendre mes précautions.
- C’est un Miracle.
- Bonne idée, c’est ce qu’on fera croire.
- Je ne savais pas qu’il avait déjà 15 ans. Il fait plus jeune.
- Ouais. Mais pour Rachel ? Elle va être furax.
- Tu rigoles, elle savait exactement ce qu’elle faisait quand elle te l’a confié. Mais oui je ne pense pas non plus qu’elle s’attendait au cadeau bonus. Et lui ?
- Il m’aime tellement. Il en veut plein d’autres.
- Il sera beaucoup plus mûr, en fin de gestation. Tu comptes le garder dans ton ventre aussi ?
Elle affiche un grand sourire, elle rayonne :
- Oui.
Je lui prends les deux mains et je l’embrasse.
- Bénie sois-tu entre toutes les mamans et le fruit de tes entrailles est béni.
*
Il pleut. On sonne. Je vais ouvrir. C’est … sous un grand parapluie.
- Alice ?
- Aline. Tu as fait analyser l’eau de pluie ? J’ai l’impression qu’elle sent le philtre.
- Ça expliquerait bien des choses. Entre.
- Tout le monde s’aime, tombe enceinte et veut mener une gestation avancée. Je ferais bien de déménager à l’Est.
- Tu crois que c’est possible ?
- Oui, je ne suis pas prisonnière à l’Ouest. Et la fusion est réversible. Au fait, je suis venue voir Victor.
- Il est encore à l’entraînement, avec Solange. Alice ?
Elle marque un temps d’arrêt. Elle baisse les épaules.
- En fait, je sais plus.
- Normal, vous êtes la même personne maintenant.
- Ça y est, je me souviens, je suis Aline et je viens te voir.
- Pour ?
- Bonne question.
- Je crois que tu as besoin de moi pour redevenir Aline. Et je sais qui peut nous y aider.
*
Aurélie présente son petit garçon à Aline.
- Toi aussi, Aline, tu as eu un bébé avec Patrice.
- Oui, Noëlle.
Aurélie vérifie que tous les faits importants de la vie d’Aline sont bien encore là.
Sœur Nathalie, qui fait partie du groupe de travail sur la fusion, nous explique :
- Les doubles qui sont restés loin l’une de l’autre n’ont pas vraiment fusionné, pas à ce point. Alice et Aline faisait de la méditation ensemble pour mieux se connecter. La distance entre les deux va peut-être à nouveau les différencier mais pour couper la connexion, c’est une autre histoire.
Je demande :
- Et son Jean-Paul ? Qu’est-il devenu ?
- Quelqu’un d’autre, un jeune qu’elle n’a pas connu, qu’elle n’a pas aimé.
Beaucoup de couples terriens n’ont pas survécu à la cure de jouvence.
*
Et comme tous les soirs, mon Victor s’emboîte en moi par derrière. Il est tellement chaud. Il est tellement doux. Il rentre à la maison. Mais il a pris de mauvaises habitudes. Il ne bouge plus, il attend que mon corps prennent le relais de son plaisir, mais je ne suis pas une locale. Je bouge pour remplacer ses mouvements mais ce n’est pas suffisant et il s’endort. Il est fatigué. Chaque jour il se vide à l’entraînement avec Solange. Mais il m’aime, je le sens, par ses bras autour de moi, par sa respiration dans mon cou et par tout le reste du quotidien. Sa façon de me regarder, sa gentillesse, sa bienveillance, nos longs baisers, notre vie commune dans la Caserne même si Solange est toujours dans les parages pour palier à ses moindres besoins. On est une famille. Et on va avoir un bébé. Notre fille. À Sylvania.
*
Je n’étais jamais montée sur le toit de la Caserne. Il commence à pleuvoir. Et si Aline avait raison ? Non, ça ne sent pas le philtre, ça sent l’automne. Je souris. Ça me rappelle la Terre. Je ne souris plus. Une larme coule sur ma joue. Ce doit être les hormones. L’inspire et j’expire l’air frais de ma pleine conscience. J’ai échoué, j’ai tellement perdu, je me suis tellement trompée et on me prend pour Dieu ? Je m’approche du bord. On voit presque au dessus des arbres. Les oiseaux restent à l’abri de la pluie. Je pose les mains sur le muret. Je regarde en bas. C’est l’entrée de la Caserne. Il y a des repères sur le sol. À quoi ils correspondent ? Un carré jaune autour duquel il y a des lignes bleues perpendiculaires à ses médiatrices. Qu’est ce que je raconte ? J’inspire à nouveau. J’expire. Ça va mieux. Je me retourne et je contourne la verrière de Solange pour aller voir de l’autre côté. Je jette un œil quand même en passant. Elle est allongée sur son lit, elle a sa main entre ses cuisses. Qu’est ce qu’elle fait ? Bref. De l’autre côté on voit la ville et ses buildings, ses gratte-ciels et je cherche l’inspiration, la révélation. Pourquoi ? Oui, pourquoi elle fait ça toute seule ? Il est où ? Je redescends et je vais toquer à la porte de Solange. Elle ouvre, elle a les joues rouges :
- C’était toi sur le toit ? J’ai vu une ombre passer.
- Il n’est pas avec toi.
- Aline me l’a pris. Elle lui demande ce qu’il voit d’Alice en elle, pour faire la différence. En détails.
Je croise les bras. Je réfléchis. Elle me prend par la main.
- Allez, viens, on va se faire une boisson chaude et sucrée.
Elle passe devant moi pour descendre les escaliers. Je glisse, elle me rattrape.
- Ça va Greta ? Qu’est ce que tu faisais sur le toit ?
- J’essayais de faire le point.
- N’y va plus sans moi. C’est dangereux là-haut.
- Ils sont où ?
- Au Palace, je crois. On peut vérifier, je lui ai mis un mouchard.
- C’est des méthodes d’agent de l’octogone.
- Pompière, c’est ma couverture. On a ciblé Victor et on t’a eu en bonus. D’une pierre, deux coups. Tous les leaders sont surveillés de près.
- Je ne suis pas censé le savoir.
- Bien-sûr que non, mais tu es Dieu, tu sais tout.
- J’aimerais être le bon Dieu sans confession.
- Chacun sa croix.
- Tu as mis quoi dans les boissons chaudes ?
Elle vérifie le sachet. Elle me le montre. Il y a une étiquette avec deux lettres majuscules : S et V.
- Sérum de vérité.
- La vérité est ailleurs.
Et on part en fou rire. Ma pauvre petite Mona, je lui fait encore partager des psychotropes. Et Solange commence à me parler, vraiment :
- Tu sais, Greta, je ne suis qu’une petite jeune de l’Est. J’ai grandi dans cette ville abandonnée. Même mes parents m’ont abandonné. Et quand j’ai vu des opportunistes comme Rachel arriver avec toutes ses solutions, j’ai commencé à me méfier. J’ai vite compris qu’il fallait que j’infiltre la voie du parti encore plus à l’Est, à l’Octogone. C’était vraiment dur leur formation. Devenir pompière, c’était un jeu assez basique en comparaison. Mais je suis revenue ici, chez moi. Avec une bonne mission. Importante. Et je préfère que ce soit moi plutôt que les abrutis de ma promo. Je n’ai pas eu de mal à me faire affecter ici, ils voulaient tous se la couler douce à l’Ouest. Mais le meilleur de l’Ouest, finalement, il est ici. Même le meilleur de la Terre. C’est ici que ça se passe. Et ne vous laissez pas berner par Rachel qui vend même la chair de sa chair aux plus hautes autorités spirituelles de la planète B. Qu’est ce que tu disais sur Terre quand tu étais jeune, Greta ?
- There is no Planet B. Mais je ne savais pas qu’on y était déjà, qu’on venait de la planète A, qu’on venait de Mars.
- There is no Platet D, Greta. À nous de jouer pour préserver la C, même si je trouve que ça a mal commencé et que ça continuait mal jusqu’à ce que vous arriviez, jusqu’à ce que tu arrives. C’est ta seconde chance. Celle-là, tu peux y arriver. Je suis avec toi. On est avec toi.
- On ? Qui ?
- On est un peu comme toi. Mais on préfère rester anonyme. Mais on est de ton côté Greta. Si un jour quelqu’un te pose problème, on peut le faire disparaître en un claquement de doigt. N’importe qui. On l’a déjà fait.
- En tant qu’agent de l’Octogone ?
- Pas du tout. On ne peut pas leur faire confiance. Même Alice s’est faite avoir. Ils l’ont manipulée, utilisée alors qu’elle était une jeune avocate innocente qui travaillait pour un coupable. Ils l’ont condamné pour en profiter. Elle est devenue une super agente, de terrain. Quand les criminels savaient que c’était elle qui leur courait après, ils se rendaient tout de suite. Finalement elle a pu s’échapper pour finir sa peine sur la Base aérienne, c’était coefficient 10 pour faire voler leur briquets volants. C’est là que Victor est tombé sur elle. Il purgeait une peine aussi. Des repris de justice, ils sont au conseil de sécurité de l’Ouest maintenant, comme toi. Tu me crois ?
- Oui, j’ai déjà entendu cette histoire, de différentes sources. Je te crois.
- Tu me crois. C’est le monde à l’envers.
- Est ce que Rachel pose problème ?
- Franchement ? Non. Elle est pas méchante et factuellement, elle a de bonnes intentions.
- Qui pose problème ?
- Plus personne. Ils ont déjà été éliminés. On n’est pas là pour tergiverser ou se poser des questions. Si tu commences à douter c’est que tu as déjà perdu. Aucune organisation officielle est prête à assumer cette devise. Nous, si.
- Quelle devise ?
- Douter, c’est perdre. Et pour ne pas douter, il faut avoir les meilleurs renseignements. Tu as entendu parler du Réseau A ?
- Oui, vaguement.
- Nous on est le Réseau C, de la planète C, pour la planète C et on est avec toi Greta.
- Et le Réseau B ?
- There is no Réseau B.
*
Après nos ébats secrets on discute un peu :
- Alors, docteur Maxwell ? Comment ça se passe avec mon Isa, Love ?
- Elle se fait des nattes pour te ressembler et elle me crie : « Tape dans le fond ! Je suis pas ma mère ! ». Tu crois qu’elle se doute de quelque chose ?
Il plaisante.
- Max, les relations entre les couples sont devenues très Spéciales en particulier ici dans l’effervescence d’une grande ville. Et avec l’éternité les possibilités sont devenues infinies. S comme Sylvania. En arrivant ici, Aline a senti le philtre sous la pluie.
- Le philtre ?
- Une préparation aphrodisiaque qu’on utilisait sur Terre pour avoir des relations augmentées avec de l’hypnose dans des cérémonies occultes. On était déjà dans l’I.S.A. C’est ce qui nous a sauvé. Et ici je représente le A, devant le S et le I.
- Il va falloir que j’identifie leur couleur. Ce sont certainement des énergies, comme les antennes, localisées sur la planète C. Et officiellement je vais continuer de travailler sur les forces qui maintiennent notre multivers en place. Mais je pense que j’ai déjà compris ce qui se passe. Les couleurs viennent toutes d’ailleurs. Les antennes ou plutôt les ondes qui dansent autour du noyau de notre planète C, elles sont là pour amplifier les différentes couleurs, énergies, forces. Les CEF. C’est l’objet de ma quatrième thèse. Le professeur Bang est tout excité. Et depuis qu’il travaille sérieusement sur ces sujets sensibles, Gaby est beaucoup plus affectueuse avec lui.
- Vous parlez de ça ? Tu lui a parlé de nous ?
- Je lui raconte que j’ai une relation privilégiée avec Dieu, avec Belle Maman, ma Manbelle, et qu’on fait de la méditation ensemble, mais pas de la transcendantale. Du coup il s’imagine des choses, tu le connais, il te connaît. Il demande même à Gaby de se faire des nattes pendant leurs ébats.
- C’est tout à fait lui. Sacré Big.
Et puis on s’embrasse à nouveau. Et je me mets sur le dos. Il s’accroche à mes seins et j’écarte les cuisses pour qu’il se frotte contre mon ventre, sans y rentrer, pour mon seul plaisir à moi, en première. Quand je m’évanouis mon esprit flotte au dessus de nous et je le vois se terminer en arrosant mon bas-ventre pour ensuite venir le nettoyer avec sa bouche et me ranimer de plaisir.
*
Justement, je les reçois à la Caserne. Pendant que Gaby admire l’exposition permanente autour du camion de pompier, je bois un alcaloïde chaud avec son professeur. Mon professeur en fait.
- Greta, elle va passer un moment là-bas, c’est son double qui a installé l’exposition et il paraît qu’il y a plein de messages cachées dans les œuvres.
- Gabrielle a aussi choisi cet endroit. Et je ne pense pas que c’était une caserne de pompiers avant. Il n’y a aucune trace de son existence dans les archives de la Mairie. Tout le bâtiment est un message codé, caché, un langage entre elles peut-être ?
- Quand on voit ce qu’est devenue Aline, Gabrielle a bien raison de se planquer en Principauté.
Big reçoit un message sur son monolithe :
- Bri va pouvoir venir ! Est-ce que ton… gendre est dans les parages ?
- Aujourd’hui il est à l’Observatoire, dans la salle de conférence du hall d’accueil.
- Très bien. Je peux lui donner l’info ? Ces deux là ont besoin de se rencontrer en privé. Sinon, est-ce que tu veux des nouvelles de la Terre ?
- Je ne préfère pas, Big. Il faut aller de l’avant, et surtout au présent.
- Tu as raison. Et il faut ralentir aussi. On est trop dans l’urgence alors qu’on a le temps maintenant. D’ailleurs j’ai mis Maxwell en chômage technique. Sa quatrième thèse est bien trop sérieuse pour être bâclée et il faut qu’on laisse à nos homologues locaux le temps de nous rattraper parce qu’on aura besoin d’eux, un jour, peut-être, pour nous aider.
Et il ne peut pas s’empêcher d’en rire.
- Papa !
C’est Mathilde, elle arrive.
- Ça y est ? Tu as réussi à te débarrasser de maman ?
- Non elle est à l’expo.
En fait elle est montée dans le camion de pompiers. Je me sens un peu moins tranquille tout d’un coup. Qu’est ce qu’elle cherche là-dedans ? Mieux vaut ne pas aller voir pour ne pas éveiller les soupçons. Victor arrive avec Solange, je fais les présentations. Solange regarde en direction du garage avec inquiétude :
- Elle est là ?
Gaby est une légende pour les jeunes de l’Octogone ;
- Dans le camion, va lui dire bonjour.
On s’affaire à préparer l’apéritif améliorer dans le grand salon, ce sera plus convivial et confortable que la salle de permanence. On entend un énorme coup de klaxon. À mon avis Solange s’est amusée à surprendre Gaby, elle se souviendra de leur rencontre, c’est sûr. Il y a une bonne ambiance. On discute, on créé des liens, on apprend à se connaître. C’est ce qu’on fait Brigitte et Maxwell qui finissent par nous rejoindre. Isa Love récupère son homme avec un peu d’inquiétude envers la grande Bri qui vient droit vers moi.
- Bonjour Greta. Ça faisait longtemps. Ça a l’air bien ici. Ça me plaît. Tu as changé. Tu as l’air bien. Ça me plaît aussi.
- Bonsoir Bri. Attention, ta mère est là aussi.
- Ah bon ? Et moi qui croyait que c’était une fête de scientifiques… J’ai plus de contact avec Big qu’avec elle. Mais bon… Au fait, je ne serais pas ta belle-fille par hasard, maintenant ?
- Par alliance ? Sans doute.
- Je sens qu’on a d’autres points communs, Greta.
- Sans doute. Comment va Graham ? Et ton gendre, R1 ?
- Mon gendre ? Et le tien ? Et le tien. Non ? Max.
- Tu l’appelles déjà comme ça ?
Mon Dieu qu’elle est intelligente et intuitive. Elle n’a pas besoin de pouvoirs. Elle s’assoit à côté de moi et me prend la main avec un sourire. Elle regarde mon ventre.
- C’est une fille.
- Oui, encore. Je vais essayer de la porter le plus longtemps possible. Ça va Bri ? J’ai la sensation que tu te sens dans une impasse en ce moment, dans ta vie. Tu as l’impression d’être arrivée au bout. Tu as besoin de renouveau. En fait, tu es en train de me demander quelque chose. Une autorisation. Tu me demandes à moi, pas à Isa Love. Tu as vu, elle se méfie déjà. Vous n’aurez pas beaucoup d’occasions. Ne les laisse pas passer. Amuse toi.
Elle lâche ma main. Elle me regarde. Elle ouvre la bouche mais rien ne sort. Elle fait oui de la tête. Elle se relève et part vers le garage. Elle s’arrête. Elle revient. Je me lève.
- Greta ? Où est-ce que tout ça va nous mener ?
- Brigitte. On navigue tous à l’aveugle, aux instruments de nos désirs. Il n’y a pas de carte, pas de plan, pas de projet, juste jouir de l’instant présent avec quelques repères passés et à venir.
On se rassoit.
- Alors comme ça, il vous a amené dans l’espace ?
- Oui, et je n’y étais jamais allée. Mais il le fallait. Il fallait qu’il me montre. Ton bruit du silence. Tout est parti de ta découverte. Sans ton B.R.I. il n’y aurait pas quatre thèses sur l’arc-en-ciel de l’I.S.A. Au fait, ça veut dire quoi le B.R.I. ?
- Bruit Récursif Invisible, mais ce n’est pas une découverte. C’est une recherche. Et quand on cherche bien, on trouve. Il a eu raison. Il fallait que ce soit vous. Pour écouter ce bruit. Et c’est là-haut qu’on l’entend le mieux. On ne peut pas l’enregistrer. Les machines ne l’entendent pas. C’est peut-être juste le bruit de nos âmes ?
- Tu veux dire qu’on entend pas tous la même chose ?
- Comment savoir ? Et il y a beaucoup de sourds. Je voudrais tout savoir, et voir dans le noir mais pour l’instant je n’entends que dans le silence.
- Vous allez travailler ensemble alors.
- Oui, et plus si affinités. C’est pour ça que je suis venue le demander à Dieu.
- Il va y avoir de l’ambiance dans le labo, heureusement que Big est là pour vous surveiller. Et ta mère ne sera sûrement pas loin. Et ma fille non plus.
- Greta, il risque d’être moins disponible.
- Big m’a dit que vous alliez prendre tout votre temps.
- Il ne s’agit pas de disponibilité de temps.
- Tu crois qu’il ne peut pas assurer pour trois ?
- Je ne veux pas prendre le risque de l’abîmer.
- Bri, laisse le décider. C’est lui qui a fait le premier pas avec Isa. C’est lui qui a fait le premier pas avec moi. Ne lui mets pas la pression. Laisse le venir à toi.
*
Le soir on dîne, l’ambiance est conviviale et chaleureuse. Je suis à l’écart avec Gaby, on s’amuse moins car on ne boit pas d’alcool. Mais on peut discuter :
- Gaby, comment vont vos enfants ? Big ne m’en parle jamais.
- Ils ont fait leur vie, ma fille travaille avec Aurélie sur les écosystèmes et mon fils est plus dans la gestion des ressources de la planète. On est loin de l’espionnage et de la physique. On est fiers d’eux. Et de nous aussi, on a fondé une famille heureuse et avec Big c’est encore et toujours un bonheur quotidien. On s’aime beaucoup. On n’était vraiment pas faits l’un pour l’autre. L’Amour, cette illusion, a permis tout ça, D’habitude, l’Amour ne dure pas. Mais avec nous il a l’air éternel. Gaby + Big = AE.
Une question. Une réponse. Une leçon existentielle. Maintenant je dois aussi faire appel à elle lorsque je n’y vois plus clair.
- Gaby, on vient d’un monde ou rien ne dure, ni l’Amour, ni la vie, ni le reste. Dans ce contexte, le comportement des humains est différent. Il n’est pas meilleur qu’ici. Ici c’est le Paradis et tu es le Paradis de Big. Tu es son Paradis au Paradis.
- Même s’il vient de l’Enfer, il est aussi mon Paradis. Même si tout n’est pas parfait. Même dans notre multivers, il y a des cassures, des pannes, des échecs.
- Et presque tout est réparable. Pour le reste, il suffit de l’accepter. On ne peut que positiver. Il n’y a plus de fatalité.
- Vous êtes tellement proche de Big. Il ne s’est jamais rien passé ?
- Il s’est tout passé, mais pas dans l’I.S.A. et pour cause. On a vécu la fin du monde, on était aux premières loges. Déjà sur Terre, le docteur R était un repère pour les leaders, une référence. Il est de cette trempe, de cette race, c’est en lui. On a beaucoup de vécu ensemble mais rien dans l’I.S.A. De son point de vue on voit mieux l’I.S.A. On en prend conscience de l’extérieur, depuis sa réalité scientifique. Le professeur Bang est notre pilier de pleine conscience de nos âmes. Sans lui on serait aveugles. Il est notre neuvième sens. Mais les terriens mâles ne sont pas tous comme lui. Le garçon mortel est programmé pour se reproduire à tout prix. C’est cet instinct animal primaire qui a permis à l’Humanité de perdurer. En gros, seules les filles riches et intelligentes avaient le pouvoir d’éteindre les lignées par la contraception, par le choix de ne pas devenir mère, le pouvoir de dire non à la vie, non à la subsistance de leur humanité, de l’Humanité. Le progrès c’était l’extinction de masse pour préserver la planète de ce cancer qu’est l’Humanité, le seul animal qui naît prématuré sans rien savoir du tout, aucun savoir inné, mais qui peut apprendre et surtout ne jamais s’arrêter d’apprendre. C’est comme un bug, une panne, une anomalie, un moteur polluant qui s’emballe jusqu’à exploser, tout faire exploser. J’ai fait tout ce que j’ai pu mais je n’ai pas pu réorienter et sauver l’Humanité. Et puis la Terre s’est défendue. Et on a tout perdu, les nôtres et notre planète. Big avait une famille. J’avais une famille. Les cataclysmes de défense de la Terre nous les ont pris. Dans notre univers on a aussi eu nos cassures, nos pannes et nos échecs. On a dû les accepter pour repartir à zéro ou presque, ici, avec vous, sur la planète C de l’Humanité.
Justement, Big se pointe tout sourire pour nous charrier et détendre l’atmosphère. Je le regarde avec tendresse, elle le regarde avec Amour. Je continue de parler à Gaby en sa présence :
- Mais sur Terre, on est femme que pendant trente ans, pas avant, plus après, la question de la survie de l’Humanité ne se pose plus en dehors de cette… période.
La joie de Big s’estompe. Il se résout à nous laisser seules. Je poursuis :
- J’ai vécu entièrement cette vie de femme animale, du début à la fin. Et puis avant même d’arriver ici je suis redevenue féconde. Béatifiée de mon vivant. Et de miracle en miracle j’ai été canonisée, tellement qu’on a fini par me prendre pour Dieu. Mais tout ça vient sans doute d’ici, de votre science, de votre intervention sur moi à ma naissance. Gaby, j’ai eu plein d’enfants mais les seules qui comptent vraiment pour moi c’est Isa Love et celle que j’ai dans mon ventre. Et toi, en locale, comment tu vois les choses ? Ceux de Big ? Ceux d’avant ? Tous ? Aucun ? On est toutes différentes face à la maternité, grâce ou à cause de celle qu’on a vécu aussi.
- C’est dur ce que tu dis Greta.
- C’ est dur ce qu’on a vécu Gaby. Mais ce n’est pas une excuse. Je suis juste sincère avec moi-même. Je ne dis pas ça pour toi ou contre toi. Je te donne juste des éléments pour comprendre et aimer ton Big, il n’est pas si léger et intelligent qu’il le montre, il se cache derrière son humour un peu particulier.
Je le vois dans son regard, une révélation, la peur, le respect, quelques mots qui changent ses convictions et elle me prend sans doute pour Dieu maintenant.
Il revient à la charge tout sourire. Mais quand il voit le regard que lui jette Gaby, il repart aussi sec. Puis il s’arrête et revient.
- Ça va les filles ? Gaby, ne te laisse pas embobiner par Dieu. Elle parle plus que toi, ce n’est pas bon signe. Il faut toujours parler plus que Greta sinon…
Il l’aime vraiment beaucoup. J’abandonne la partie. Avant de s’éloigner elle s’accroche à moi et elle me murmure à l’oreille :
- Brigitte.
Big la récupère, il est rassuré, il sent que la conversation est terminée et que sa Gaby a eu le dernier mot. Je regarde Gaby. Elle sait que je veillerai toujours sur Bri. Elle sait que je sais qu’elle a eu le courage de choisir. Elle n’est pas si lourde et bête qu’elle le montre. Elle se cache derrière ses fonctions un peu particulières. Et me voilà seule avec moi-même, à faire le point, à réaliser que finalement je finis avec l’héritier de celui qui m’a sans doute, peut-être, faite telle que je suis, une programmation, comme ce que l’héritier, Victor, a testé sur l’innocente et coupable Alice, pour en faire une leader, une cheffe qui a contribué à en créer une autre en pilotant la mission de 2003. Et cette nuit je le sens se soulager en moi par derrière pendant que je porte son enfant par devant.
*
- Alors qui suis-je, moi, au milieu de tout ça ?
Que je demande à Adé en allant tester notre Aline.
- Une pauvre petite petiote qui essaie de s’accrocher à tout. Et ton gendre ?
- Il m’a remplacée à son boulot avec la fille de Gaby.
- Les choses vont trop vite. Il faut ralentir.
- Il faut revenir au rythme des grossesses.
On se regarde d’un air complice avec nos bébés d’héritiers de leaders dans le ventre. On arrive au Village. On ne va pas faire ça à la Chapelle, juste de manière informelle, autour d’une collation à la Taverne, avec Noëlle pas loin si besoin. Je sens une sensation de froid lorsque je vois que Vincenzo est attablé avec Aline. On ne regarde avec Adé genre on va se le faire le clone. Quand on approche il se lève et vu nos regards il s’éloigne rapidement. Je commence.
- Désolée Aline, mais on redoute de savoir ce qu’il est et qui il est.
- Oui Aline, il n’est pas vraiment dans notre camp celui-là. La thérapie est compromise avec lui.
- Non mais je rêve, vous rigolez ou quoi ? Greta, tu as quoi dans ton ventre ? Il est de la même lignée même si on ne sait pas vraiment à quel niveau. Et toi Adé, ça va te mener où tout ça ?
- Quoi ?
- Je ne sais pas, je bluffe. Mais il doit sûrement y avoir quelque chose, te connaissant.
Bon, le test est terminé, on a bien Aline devant nous. Je les laisse et je vais voir Vincenzo.
- Toi et moi on est pareil. Des programmes du même auteur. Il m’a faite Dieu venant d’un autre univers. Il s’est cloné en toi dans le ventre de sa propre fille. Mais on n’est pas des robots. Et on a notre libre arbitre. On décide de qui on est.
- Greta, moi aussi je veux retrouver Aline et pas ma tante Alice par alliance, même si ils ne sont plus ensemble. Mais c’est surtout à elle de dire ce qu’il en est. Si elle redevient Aline, elle aura sans doute autre chose à penser ou à envisager pour son existence que moi. J’attends de voir. Au pire, j’irai pleurer dans les bras de ma mère, ou prier plutôt ?
- T’es un marrant Vincenzo. Allez viens, on va voir ce qu’il en est.
On se remet à table et Adé nous a attendu pour poser quelques questions de contrôle.
- Aline, dans quelle rue tu habitais à Dijon ?
- Rue Saint-Honoré ?
- À quel numéro ?
- 14.
- Avec qui ?
- Jean-Paul ? Et notre fille, Pauline.
Vincenzo est très étonné. Elle n’est pas l’Aline qu’il a connu. Il ne savait pas tout ça. Je prends la parole :
- Très bien les filles, on vous laisse, je ramène Vincenzo .
Je le prends par le bras et on s’en va.
- Greta, je n’ai pas vraiment envie de rentrer à Laguna Beach.
- Si tu veux, je t’emmène à Sylvania ?
- Oui, j’ai un logement dans la Tour de ma grand-mère.
Un logement… Deux étages entiers avec vue sur tous les angles de la ville.
- Avec ton oncle Victor, on s’est installés dans la Caserne près du Parc. Je te propose de s’y voir tous les jours, pour faire le point, à la Brasserie.
Je pose mon monolithe sur le sien. Il examine ma main et toutes mes bagues.
- Tu appartiens à beaucoup de monde.
- Et encore, je ne les ai pas toutes remise depuis que j’ai dû grandir pour garder mon bébé le plus longtemps possible en gestation.
Il descend de la navette. Je l’accompagne sur le toit avant de repartir.
- D’accord pour demain au Parc, à la Brasserie pour le brunch ?
- Parfait. À demain.
Comment se dire au revoir ? On se fait la bise.
*
Comment se dire bonjour ? On se fait la bise.
- Je suis venu en métro, c’est dingue ce truc.
- Non ? Il y a un métro ?
- Opérationnel. Jamais personne. En fait il ne se met en route qu’en détectant un usager. Et il s’éteint après.
- On y va. Montre moi.
Ça me rappelle les parcs d’attraction. Ça va vraiment vite. Il faut s’accrocher. Il demande l’arrêt à une station. On sort du manège et on se promène dans les couloirs. Il y a des boutiques. On peut se servir. Mais toujours personne. Il ouvre une porte secrète dans le mur. Un couloir mène à une grande pièce avec une énorme baie vitrée qui surplombe deux quais. Ce n’est pas notre ligne, la couleur est différente.
- Alors Greta ? Que penses-tu de la balade ?
- C’est magnifique, Vincenzo.
Il installe un canapé devant la baie. Il allume les quais en appuyant sur des boutons. Une machine nous prépare de l’alcaloïde aromatisé et on s’installe confortablement. Je l’écoute parler.
- Ils sont allé trop loin. Il y a vraiment du potentiel dans cette ville. À l’Ouest tout est vide et plat.
Il laisse ses pensées aller et venir. Je l’écoute sans réagir. Comme Dieu face à une confession. Et puis on s’en va. On rentre. Chacun chez soi. Et tous les jours on se retrouve à ce même endroit pour ce même rituel. On s’y installe. Parfois il m’amène un petit cadeau. Une fleur éternelle. Un joli stylo bleu. Une barrette précieuse pour attacher mes cheveux. Alors moi aussi. Un mouchoir imprégné de mon parfum. Une montre avec des aiguilles dont je lui apprend la lecture. Un jeu de cartes pour faire des parties en discutant. On créé des liens. Il se prend au jeu. Il est triste quand il perd. Ça me fait rire, je lui fais un bisou sur la joue pour le consoler. Il me rend mon bisou au coin de ma lèvre. On se regarde en souriant. On s’aime bien.
*
Le lendemain dans le Parc :
- Finalement, on n’a jamais brunché à la Brasserie ?
- Je crois qu’on est prêts à s’afficher ensemble.
- Après tout, on est de la même famille, non ?
- Et bien plus apparemment.
Ça nous change de nos rencontres clandestines souterraines. On est en plein jour, au grand air, avec les oiseaux qui chantent et les feuilles d’arbres qui tombent. C’est plus romantique. On nous amène une assiette salée et des boissons sucrées. Je trouve que c’est le bon moment pour lui parler vraiment :
- Pendant que mes amies s’affairent à récupérer notre Aline, je suis là avec toi et ce n’est pas par hasard. Je dois découvrir qui tu étais, qui tu es et qui tu seras. Pour cela, on va plonger dans l’Invisible toi et moi. Parce qu’il existe aussi un Conseil de Sécurité de l’Est. Et on commence à comprendre comment fonctionnent les antennes. Elles étaient plus puissantes avant, mal réglées, trop dosées, c’est pour ça que vous êtes un peu plus différents que nous, surtout les filles. En plus de l’immortalité il y a aussi des corrections génétiques qui se font. C’est là que tu entres en jeu. Je dois vérifier qui tu es. Pour cela, il faut qu’on ait un contact, en méditation, rapprochée. Pas seulement se tenir les mains. Pas seulement s’embrasser. On doit échanger nos fluides. Mais pas n’importe comment. À ma façon. Avec du I, du S mais aussi du A. Et je sens que c’est possible, parce qu’on s’aime bien, qu’on se sent bien ensemble. Et qu’avant d’aller plus loin, je voulais être franche avec toi. Sincère. Tu sais Vincenzo, j’ai plein d’Amour à donner et à recevoir, même et surtout pour toi, toi que tout le monde veut éviter. Nous on veut juste affronter notre destin, avec Amour. Et qui que tu sois, quoi que tu fasses, je t’aimerai toujours. On est déjà de la même famille. Je serai toujours là pour toi.
Dans notre antre souterraine, il pose délicatement son ventre sur le mien pour ne pas brusquer sa cousine germaine, voire plus. C’est face à moi, tout en douceur, qu’on se donne en peau à peau interne et intime. Il se frotte lentement en moi et je ferme les yeux pour entrer dans son âme. Et je vois dans le passé un savant fou inoculer sa semence dans l’ovule de sa propre fille pour une descendance à 75 % de lui-même et un peu d’Émilie Raymond. C’est comme ça que Vincenzo apparaît. Et je vois dans l’avenir Vincenzo partager son patrimoine génétique avec… Mona-Lisa pour un bébé qui reste à 75 % de lui-même mais cette fois-ci avec un peu d’Émilie et de moi, la recette parfaite, l’ingrédient suprême de la mission de 2003 dont il est à l’origine. C’est dans cet être final que le savant fou est censé se réincarner. Mais pour quoi faire ? Quel est le but de tout ça ? Je ne sens rien de négatif. Ni de positif. Si il avait voulu rester immortel, il y avait plein d’autres solutions beaucoup plus simple. Il doit y avoir une finalité à tout ça mais je ne la vois pas. Pas encore. Alors je reviens à moi au présent, j’ouvre les yeux et je caresse Vincenzo, je le cajole, je l’embrasse, je le fais s’agiter en moi, je le fais gémir et je pousse des cris de plaisirs pour l’exciter encore plus jusqu’à son râle final pour je ferme les yeux pour me replonger en lui pendant qu’il se vide en moi. Mais rien. Le vide. Le noir. C’est comme si l’avenir venait de changer. Et je vois une couleur merveilleuse m’envelopper de douceur et de chaleur. C’est l’âme de Vincenzo. Il m’aime et ça change tout. Comme à chaque fois c’est l’Amour qui décide.
*
- Vincenzo, on était programmés pour se rencontrer, peut-être pas de cette façon mais… je ne regrette rien. Bien au contraire. Tu sais, Victor, ton oncle, c’est mon homme. Mais on est à Sylvania et on est dans l’I.S.A. et j’ai beaucoup d’amour en moi à donner, à te donner.
Et ce soir on est venus à l’Opéra où Clémence fait une apparition. Dans nos sièges rouges, dans la pénombre de la salle, pendant le spectacle, je tiens la main de mon Victor assis à la droite de Dieu. Je regarde à gauche et je vois Vincenzo et son Aline. Il se retourne et on se regarde. Le temps s’arrête et tout le reste n’existe plus, disparaît, il n’y a plus que lui et moi, on est connectés. Je lui dis :
- Je t’aime.
Et le temps reprend son cour, et on revient à la réalité, je lui souris, il a l’air rassuré, et heureux.
*
Et on l’est, tous les jours dans notre antre, à échanger nos fluides, je bois de sa semence, il boit de mon lait, mon petit Vincenzo qui me fait vibrer et sa cousine avec dans mon ventre avec nous.
- Alors Greta ? Après toutes ces séances de … méditation, raconte moi.
- Je t’ai tout dit de ce que j’ai vu, avant, pendant et après. L’avenir a changé. Tu as le libre arbitre. Le destin qui t’était programmé n’est plus. Ton Amour a tout effacé. Il n’y a plus rien à craindre. Je n’ai plus rien à craindre. Ni pour toi, ni pour ma fille.
- Et nous dans tout ça ?
Je l’embrasse, langoureusement, avec passion et j’attends une réponse qui ne vient pas.
- Je ne sais pas. L’Amour aveugle tout. À nous d’en décider. Il nous donne ce pouvoir.
On est heureux chacun de notre côté. On est heureux ensemble. C’est notre vie, notre existence, éternelle, absolue, inondée d’un Amour qui va au-delà des couples. De l’Amour à donner, à recevoir, à partager, dans la paix de nos âmes, dans la frénésie de nos esprits, dans l’épanouissement de nos corps vivants, vibrants, en sueur de désir.
*
On a quinze belles années devant nous. L’Amour sauve tout, nous, nos histoire, notre Histoire, au-delà des plans machiavéliques du savant fou. Ceux qui l’ont éliminé ont bien fait les choses. À moi d’assurer la suite. Je garde Vincenzo à mes côtés, je le protège des autres et de lui-même. Et Aline s’y accroche aussi. Il est son homme à elle. On n’est pas trop de deux pour lui donner tout l’Amour dont il a besoin, tout l’Amour qu’il a droit et qu’il nous reflète, qu’il nous rend comme dans un miroir, il en garde un peu pour lui au passage de nos âmes dans la sienne, je sens Aline en lui, je sens Aline sur lui, elle doit aussi me sentir, il faut qu’on en parle :
- Aline ? Ça va ?
- Oui, Greta. Mais je vois que je n’ai pas le choix. On ne peut pas rentrer au Village. Je le priverais de toi. Je te priverais de lui. Mais j’accepte tout ça, parce que je t’aime Greta.
- Et comment ça se passe avec Alice.
- Elle n’est plus en moi. Et elle ne t’aime pas. Tu lui a pris son Victor, même si c’est plutôt elle qui était sa chose. Elle est perdue, confuse, blessée.
- Ne t’inquiète pas pour ça, ni pour elle. Elle va découvrir le vrai Amour et tout sera effacé, elle pourra enfin être elle-même.
- Tu vois ça dans l’Invisible qui se trompe tout le temps. Et si ça n’arrivait pas ?
- Il nous reste le philtre, les agents reproducteurs, ou moi !
J’arrive à lui arracher un sourire, puis un rire. Elle accepte. Elle me fait confiance.
- Greta, Vincenzo ne nous appartient pas. Il faut rester léger avec lui. Ne pas lui mettre la pression. Il est fragile. Il ne faut pas le casser. En prendre soin. Il est notre garantie, de notre Bonheur et de notre avenir.
- On fera de notre mieux Aline, il aura tout mon Amour et le tien. Si on y arrive pas, ceux qui ont éliminé la menace de Vivien prendront le relais. Personne ne veut ça.
*
Maintenant j’ai le début d’après-midi de libre. Mes occupations ne reprennent que vers l’heure du goûter, avant l’heure du thé et ainsi de suite. Après l’heure du déjeuner, je fais une courte sieste, juste quelques caresses intimes pour perdre connaissance et me réveiller détendue, assouvie et reposée. C’est souvent à ce moment là que la cloche de l’entrée sonne. Ding dong ! Je vais voir à qui je vais changer la vie à présent. J’ouvre la porte sur une jolie blonde aux cheveux bouclés et aux yeux clairs. Son regard est doux.
- Bonjour Greta, je demande audience.
Elle est initiée, elle a le code. Un vieux code. Elle doit être d’une lignée terrienne importante. Je la fais rentrer. On s’installe confortablement pour discuter. Elle se présente :
- Je suis Maëlle. Je suis la fille de Solène. La grand-mère de Solène, c’est Aline. Je suis son arrière petite fille. J’ai fuis l’Ouest. Là-bas, on lave le cerveau des plus jeunes pour déporter sur une île étrange. Et ici, j’ai débuté, commencé, une aventure avec un local. Mais on est en plein délire aussi. Parce qu’il s’agit du petit ami de mon arrière grand-mère. Et je sens que vous n’êtes pas étrangère à tout ça.
- Tu le sens ?
- Je sais que ma grand-mère avait des pouvoirs incontrôlables sur Terre. Qu’elle en a retrouvé un peu ici. Et j’ai quelques visions sur l’Invisible également. Mais ce n’est pas l’Invisible que je sens. C’est vous que je sens, en lui.
Elle vient me voir pour avoir la vérité. Elle est courageuse. Je la lui dois.
- Maëlle, j’ai aussi une liaison avec Vincenzo. On se voit tous les jours à l’heure du brunch. On se rejoint à la Brasserie du Parc et on va… méditer dans un endroit à nous.
Elle est choquée. Bouleversée. Je continue.
- À te voir ainsi je réalise que Vincenzo n’a rien à faire avec Aline, ni avec moi. Tu es tellement belle, jeune, tu as l’air libre et indépendante. C’est avec toi qu’il doit être.
Elle me regarde, me sonde, réfléchit, elle me croit, elle se détend, elle prend confiance.
- Bien. C’est tout ?
- Oui. Je vais lui parler. Rompre. Et lui dire de quitter Aline, pour toi.
- Mon Dieu… merci Greta.
Je pense que Vincenzo cherche une porte de sortie à tout ça. Il l’a trouvée. Elle est devant moi.
*
- Aurélie ? Je viens de perdre deux amants coup sur coup. Heureusement que j’ai un régulier.
- Les hommes vont, les hommes viennent, les enfants restent, il nous reste les enfants.
- Il va falloir se calmer. Des arrières grands mères et leurs arrières petits fils peuvent désormais devenir un couple fécond grâce à la bienveillance des antennes.
- Mortellement parlant, ça n’a pas de sens. Mais on est immortels maintenant. Et tout est possible, même ça. Tu as quel âge ?
- Je vais sur mes 113.
- Greta, tu es plus vieille que moi.
- Ouais. Tu sais, j’étais sincère avec Max et Vince. Je serais allé jusqu’au bout.
- Tu as su les libérer au bon moment. Comme tu sais garder ton Victor.
- Je t’admire Aurélie, de me comprendre.
- J’aimerais être aussi forte que toi.
- Ils vont me manquer. J’ai tant d’Amour à donner.
Elle m’embrasse :
- Et moi à recevoir. Tiens, prends le.
Elle me donne son bébé qu’elle était en train d’allaiter. Je lui demande d’un regard, elle acquiesce. Je soulève mon chemisier et je donne le sein de Dieu à son petit Pierrick.
- C’est son premier contact avec Mona-Lisa, à travers mes fluides.
- Tu es leur lien désormais.
Et elle m’embrasse à nouveau, langoureusement, et elle me donne son sein aussi. C’est merveilleux. On est dans une boucle de vie. Il nous faut un moment pour nous remettre de nos émotions. Un peu plus tard, on reprend notre conversation :
- Greta ? Et Aline dans tout ça ?
- Avec Maëlle, j’ai vu quelque chose d’Aline, qui se répète encore et encore, avec le frère, Willem. Il est fasciné par son arrière grand-mère. L’épisode de la fusion l’a un peu marqué. Mais maintenant il l’a retrouvée. Maëlle le sait, elle le sent que son jumeau aime son arrière grand-mère de toutes les façons. Et elle la rend disponible en lui enlevant son Vincenzo. Maëlle fait tout ça par instinct, par Amour, pour son frère Willem, pour son arrière grand-mère Aline mais aussi et surtout pour son amant Vincenzo. Ils se sont trouvés.
- Et nous, Greta. On porte les deux lignées. Et elle vont se rejoindre.
- Dans l’Amour.
Et on se câline, on s’embrasse, et nos mains s’égarent entre nos cuisses, respectives. Elles sont chaudes et humides. À travers la main de Dieu, je sens aussi leur odeur enivrante de puissantes phéromones. Du pur jus de philtre, elle en suinte, elle embaume mon âme, nos âmes, pour une sensation qu’on n’oubliera jamais à travers le temps et l’espace.
- Greta, je vais te faire jouir 112 fois et à ton anniversaire, ce sera 113.
Je la désire tellement, j’ai envie de boire son sang. Et elle commence, je ressens la première vague. Peut-être que le temps s’arrête, ou pas. Peu importe, j’attends la suivante et j’essaie de ne pas compter comme si ça n’allait jamais s’arrêter.
*
Du coup, j’évite d’aller me balader dans le parc. Je ne peux pas passer devant la Brasserie sans penser à lui. Et j’ai peur de les croiser. Je ne retournerai plus dans le métro non plus. Même si je pense qu’il a la décence d’aller ailleurs avec elle. Il me reste mon Victor avec qui je m’affiche officiellement aux événements. Dans la Caserne j’entends des bruits anormaux. C’est Solange qui ferme des boites et les charge dans une navette. Elle vient me voir, elle a l’air reposée.
- Bonjour Greta. Je m’en vais. Victor n’a plus besoin de moi. Tu lui suffis désormais. Je pars pour d’autres aventures.
- Tu vas me manquer. Merci pour tout ce que tu as fait. Je te souhaite une belle existence.
Elle voit ma tristesse. On se serre dans les bras. Elle part. J’ai froid, seule dans cette Caserne qui paraît vide maintenant. Je pose mes mains sur mon ventre pour me rassurer. J’appelle mon autre fille, Isa Love :
- J’ai perdu Solange.
Elle vient me réconforter. Mais c’est elle qui a besoin de réconfort :
- J’ai perdu Max.
Il est parti avec Bri. Et on regarde dans le vide, par dessus la buée de nos boissons chaudes en salle de Service.
- Je vais devoir assurer plus mon devoir conjugal avec Victor.
- Je ne savais pas mon bonheur quand j’étais avec Yaël. Iel a été parfait(e). Je ne retrouverai plus une relation de couple comme celle là. Tout paraît fade après Yaël.
- Vous vous êtes encore disputées ?
- Elle s’est remise en fille.
- C’est peut-être ce qu’il te faut. Tu as la chance d’avoir les deux en même temps.
- Tu crois que je peux me remettre avec elle ?
- Personne ne peut dire non, à la fille de Greta.
Du coup elle repart, pressée de la revoir. Je monte les escaliers pour aller sur le toit. Mais la porte d’accès ne s’ouvre pas. Je regarde la serrure. Il faut une clé. Solange… J’inspire et j’expire. Je redescends et Victor arrive.
- Tu rentres tôt.
- J’ai des consignes. Tu as essayé d’aller sur le toit.
- Victor, j’ai besoin d’un endroit pour faire le point. S’il te plaît.
- D’accord. Je n’aime pas non plus les portes fermées.
Il va à l’entrée ouvrir une boite en bois sur le meuble de l’entrée. La clef est là. Il la prend et montre ouvrir la porte. Il redescend.
- Merci Victor.
- Tu n’as pas à me remercier, c’est normal. J’ai laissé la clé dessus. Je te fais confiance.
J’ai besoin du toit pour mes séances de pleine conscience et pour me connecter aux éléments et aux cieux. J’y vais de ce pas. Je me mets au centre du toit. Le ciel est sombre, il pleut un peu. Il y a une petite brise vivifiante. J’enlève mes chaussures et je pose mes pieds nus sur la dalle tiède. Je tends les bras, je penche la tête en arrière, je ferme les yeux et je sens cette force au loin qui fait vibrer chacune de mes cellules. J’inspire, l’air, l’énergie bleue, le multivers tout entier en mon âme et conscience.
En redescendant, j’enlève la clef de la serrure et je la remets dans sa boîte près de l’entrée. Je ne veux pas chez moi de verrou fermé dans mes portes ni dans celles de mon esprit.
*
- Hilde ?
- Greta, il va falloir ralentir. Tes journées sont trop actives. En fait, on ne se voit pas assez. J’ai loupé des trucs. Il y a de la place dans ta Caserne pour un cabinet médical ? Pas pour recevoir des patients, juste pour toi.
Je la ramène avec moi.
- Il y a la pièce des batteries mais il n’y a pas de fenêtre vers l’extérieur.
- Tant mieux. Au contraire. Lumière contrôlée, c’est parfait.
- Et si tu veux les appartements de Solange sont libres.
Elle adore le concept du lit sous la verrière. Son nom est vite remplacé sur la porte, une jolie écriture manuscrite de toutes les couleurs, comme sur une chambre d’enfant. Hilde valide tous les styles et les idées de décoration intérieure de sa prédécesseuse.
- Super ! Il y a même une porte privée qui donne sur l’extérieur. Je vais pouvoir recevoir en cachette.
- Je te laisse t’installer, Aurélie est arrivée pour le goûter.
Mais je ne fais que la goûter.
- Aurélie, ton lait ne me suffit plus. Tu me retournes le cerveau. J’ai envie de boire ton sang. Est-ce que je peux te mordre la lèvre ? Ou le cou ? Ou ailleurs ?
- J’ouvrirais bien la cicatrice sur mon poignet mais avec ton assistante médicale.
- Elle n’est pas au courant de nos petits jeux et je ne veux pas non plus qu’elle me fasse des examens supplémentaires pour voir si je ne me transforme pas en vampire.
- Juste une goutte alors, sur mon doigt, j’ai une aiguille.
- Quelle riche idée ! Comme ça tu peu aussi profiter du plaisir de ma langue sur ta peau saignante.
Pic ! Et on se regarde de façon intense pendant que je goûte sa goutte. Mes sens s’aiguisent à la saveur salée de son doigt dans ma bouche. Elle me malaxe les seins, elle les prépare pour que son fils s’y nourrisse après elle. Et je sens ses doigts s’aventurer ici et là. Je suis comme un instrument de musique sur lequel elle joue la mélodie du bonheur. Et elle me maîtrise, m’accélère et me ralentit, elle sait doser mon plaisir et le sien, le nôtre. Nos gémissements risquent d’attirer l’attention de Hilde qui aménage son cabinet. On se retire discrètement dans le petit salon fermé et douillet où le confort des coussins sur le canapé détend et stimule encore plus des parties de mon corps dont je ne soupçonnait pas la ressource en plaisir. Elle me met de la confiture sur les lèvres avant de m’embrasser. Quand nos langues se mélangent je reconnais le goût du philtre. Tout es tellement mieux encore avec ce psychotrope. On ne se refuse rien avant les restrictions de Mathilde qui va faire des bons en lisant mes analyses.
*
- Aïe ! Ça brûle !
- C’est pas de l’ail, c’est de l’eau bénite. Je te trouve pâle. Tes analyses de sang c’est vraiment n’importe quoi. Heureusement qu’il n’y a pas de fenêtre au cabinet. Pas le lumière du jour. Ça te brûlerait.
Tout d’un coup elle sort quelque chose de dessous de sa blouse blanche. Elle me brandit une croix en bois, catholique. Ça ne me fait rien.
- Hilde, tu plaisantes ?
- Tu pourrais au moins jouer le jeu. Je n’ai jamais eu de vrai contact avec l’Invisible jusqu’à aujourd’hui.
- C’est vraiment de l’eau bénite ?
- Par le Père Simon, il l’a ramené de la Terre même.
- Et mes analyses ?
- On va rectifier tout ça. Je veux que tu me remettes tout ce qu’il te reste de philtre ici.
- Je peux sortir dehors voir le soleil ?
- Oui, on ne doit pas avoir les mêmes rayons de l’enfer ici. Tu vois, j’ai bossé dur. J’ai lu un brouillon de la B4 même. Jamais je n’aurais cru que la médecine holistique allait m’amener jusque là. Je vais changer la plaque sur la porte. Je vais mettre médecine ultra holistique. La M.U.H. On dirait un cri de guerre. En attendant, je te fais une prescription : ne plus jamais retourner sur Terre. Ta planète d’origine est mauvaise pour ta santé.
- Et Mona-Lisa ?
- Ta Joconde de Sylvania va bien. D’après les projections, je peux assurer sa sécurité dans ton ventre encore une soixantaine de jours.
On sonne. C’est Adé qui passe nous voir.
- Adé, toi qui est Mère supérieure du Vatican IV et qui a des compétences médicales occultes, j’ai des symptômes de vampirisme. Qu’en penses-tu ?
Elle me prend les mains et ferme les yeux :
- Je ne vois plus la B4. Ça y est, on a splitté. Tes symptômes sont des signes de l’Invisible. On est toujours connectés à la Terre et à notre histoire. Hier, c’était Halloween. Aujourd’hui c’est la fête des morts.
- Tu as dit une soixantaine de jours Hilde ? J’ai compris. Mon anniversaire. Mona-Lisa va naître dans 64 jours. On va avoir 113 ans de différence.
Adé admire la décoration zen du cabinet, les couleurs pastel, le parfum d’ambiance, la température élevée et la faible hygrométrie , il y a même un aquarium avec des poissons.
L’auscultation ne se termine pas comme d’habitude car on n’est pas entre nous. Mais Adé reste pour le dîner. L’ambiance est chaleureuse. Je capte quelques regards entre elles. À mon avis, Adé va rester dormir à la Caserne.
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