Chapitre 12

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Je ne connais pas ce qu’il y a de l’autre côté, mais je peux l’explorer. Et si ce passage a des propriétés identiques au torii, alors je disparaîtrai. Mais il est probable que j’y survive. Je le sais. J’en ai déjà fait l’expérience avec l’un de mes cobayes les plus voraces qui n’attendait qu’une chose : avaler tout et n’importe quoi. Tu l’avais vu toi-même, Irène, quand nous avions installé les aquariums. Il avait englouti un guppy. C’était pour ça qu’on l’avait placé dans un autre bassin. Ce glouton voyait tout ce qui lui était inférieur comme bon à manger. La microcapsule lui parut être une simple friandise de plus.

Et moi, ce bijou de technologie comme une opportunité. Après l’ultimatum et le protocole que m’avait fait le médecin, j’étais resté seul un petit moment, saisi par l’inconfort que procuraient ces ventouses sur mon ventre et le poids de l’enregistreur à ma ceinture. Devant moi, un verre d’eau et cette vidéocapsule attendaient leur sort.

Si toutes les remarques des internautes que j’avais relues en salle d’attente rivalisaient de bêtise, j’en compris l’essentiel. Quelles que soient leurs interprétations, aucun contributeur ne niait voir la même chose que moi, à savoir, des disparitions. Ce que je pouvais observer de mes propres yeux ou via mes enregistrements n’était définitivement pas le fruit de mon imagination. Sans pour autant arriver à convaincre de la réalité des faits, tous ces verbiages prouvaient que ça n’était pas une vision de l’esprit. Pas uniquement du mien en tous cas. En d’autres termes, je voyais vrai, je n’étais pas fou ; ainsi, ces commentaires m’engagèrent à poursuivre.

Dès lors, l’intérêt de savoir ce qu’il se passerait dans mes intestins, si j’allais pouvoir combattre un cancer ou une tumeur à 75 ans et continuer à vivre, tant bien que mal, ma vie de veuf paraissait négligeable au vu des recherches que je menais. Quand l’infirmière revint, le verre était vide, la capsule dans ma poche. J’avais fait un choix. Il me condamnait au succès.

J’avais 8 heures ; un peu moins en comptant le temps du trajet, pour mettre en application ce que j’avais imaginé. De retour chez moi, je replaçai les capteurs sur les parois vitrées du bassin, au niveau du portail. Quand le barbu goba la vidéocapsule, j’attendis qu’il franchisse le passage. Ce qu’il fit, une heure après en lui saupoudrant quelques crevettes séchées devant le torii. Le poisson disparu comme les précédents. En fin d’après midi, le gastro ne comprenait pas ce qu’il voyait. Pour lui ça ne pouvait pas être mon tube digestif. Il conclut que l’enregistrement n’avait pas fonctionné, même si ce dernier avait capté une vidéo constante et une image très claire, et ce, toute la journée. Un rictus de satisfaction éclaira mon visage. En échange, un sourcillement d’incompréhension s’afficha sur celui du docteur. Cette conclusion de spécialiste était tout ce que je voulais entendre.

Et après ça ? Ce fut l’impasse. Pendant de longues semaines, sans idées pour de nouvelles expériences, mes calculs n’avançaient pas. Et ma santé, sans surprise, se dégrada. Jusqu’à cette nuit d’abandon. Celle du constat d’échec de ces réflexions. Celle où, avec un peu — beaucoup — d’alcool et autant de commentaires absurdes, je trouvai un sens à mes recherches.

Voilà. Je pense qu’il est temps. Le moment est arrivé pour que je prenne un nouveau départ. Un grand voyage de plus. Le dernier ? Je ne sais pas, mais le premier sans toi, Irène. Et loin, très loin des périples organisés que nous nous offrions.

Je vérifie la batterie de mon smartphone, regarde une dernière fois le cadre photo posé sur la table de nuit ; l’image de nous deux, prise à Hiroshima, devant le torii flottant dans cette baie paradisiaque. Je place l’appareil juste à côté, braqué en direction de l’antre secret. 12 h 20. J’active l’enregistrement « live » sur ma chaine. Et commence l’expérience, sans attendre la moindre présence de spectateurs.

Je m’approche, lentement, vers les minuscules particules toujours en suspension. Je plonge le bras à travers cette aire invisible. Sans surprise, je ne ressens rien d’autre que mes muscles tendus, tout simplement. Je prends une profonde respiration, fixe une dernière fois ces petits éléments flottants dans l’air, puis traverse la zone.

Je passe de l’autre côté. Je suis toujours dans la chambre. J’ai juste avancé de 3 pas.

Cette vidéo a capté en direct une personne âgée marchant chez elle. Bon, et bien je peux dire, sans m’avancer qu’elle intégrera dès à présent le bêtisier de mes recherches. Au moins, je suis allé jusqu’au bout. J’ai tenté l’expérience.

Aussi, je me sens plus léger d’avoir tout essayé, même s’il me reste encore beaucoup à explorer de ce phénomène. Libéré de ce poids, je repense à Sophie et Jules, en route pour de nouveaux horizons, ainsi qu’à toi, Irène. Un pas en arrière, puis un autre. Je recule, sans le vouloir, sans faire d’effort non plus ; comme si je m'étais toujours déplacé ainsi. Je me sens traverser la faille à reculons, dans l’envers d’un univers invisible. Ça marche ! Ça marche !!

Je m’apprête à arpenter l’ailleurs. À démontrer à tous ma découverte. Le sens de mes recherches, de mes convictions. J’en ai le souffle coupé. C’est sans doute l’émotion.

En fait, quel que soit le chemin qu’on emprunte, celui de la vérité reste le plus direct. Il faut toujours se rendre à l’évidence, qu’importe la route à prendre. Et aujourd’hui, la mienne commence ici. Je pense que tu m’aurais compris, Irène. Tu m’aurais suivi.

Quoi ? Je sens une présence. C’est derrière moi. On me tient par la main… Irène ?

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