Chapitre 1 – Ce que les étoiles voulaient raconter
Univers 7655, Amas de la Vierge, Groupe Local, Sous-groupe Local, Voie Lactée, Bras d’Orion, Bulle Locale, Système Solaire, Nuage d’Oort, Neptune…
2028
* * *
*L’Enchanteresse
Il fallait bien atterrir quelque part.
Nel sortit du vortex en trébuchant et tomba sur ses genoux dans un couloir de métal et de lumière. Elle pesta en se relevant, l’Hexasceptre serré dans sa main, et sentit sur son crâne rasé la chaleur qui émanait du plafond et, sous ses pieds nus, la fraîcheur du sol. L’apprentie jamais formée se releva en s’appuyant sur son bâton, les jambes flageolantes : ouvrir un portail entre les dimensions lui avait demandé énormément de force, et il lui en restait peu.
Autour d’elle, les lumières de Tehm… non, de kirrosi filaient au sein des murs. Elle pouvait sentir leurs vibrations chatoyantes et presque les effleurer ; si elle le voulait, elle pouvait les inverser, les tordre et les changer selon son bon désir. Mais comme toujours, elle résista au Pouvoir et à ses murmures incessants. Où se trouvait-elle donc ? Les alentours ne ressemblaient guère aux couloirs de Casteldor, avec ses belles pierres taillées et ses tapisseries d’aubepur. Elle sortit le journal du Détenteur, feu son maître : un vieil ouvrage en cuir où un serpent de cuivre dévorait une étoile d’or, et y lut :
« …et dans les couloirs de nacre et de marbre se croisent le sang des démons et la salive des étoiles. Ce sont d’immenses bâtisses qui peuplent le Là-Haut, là où les oiseaux ne volent pas et où aucune voix ne porte. La nuit y est éternelle, froide et grandiose, mais dans ces navires gravitent une vie et une chaleur montée de toutes pièces, et… »
Elle referma l’ouvrage en un claquement mat : apparemment, il s’agissait bien du monde de son maître. Synnaï lui avait parlé sur son lit de mort comment son peuple avait conquis les mondes de l’au-delà, là où la plume et l’épée tombent à la même allure. Son rêve, maintenant, se réalisait : Nel s’avança d’un pas hésitant, titubant, mais l’excitation d’enfin rencontrer toutes ces histoires en vrai lui donnait suffisamment de courage pour ne pas trébucher. Et là, elle en eut le souffle coupé.
Le couloir s’ouvrait sur un vide d’une noirceur insondable d’un côté, et sur une immense sphère bleue parsemée de blancheurs éthériques. Au début, elle eut un mouvement de recul de peur de tomber, avant de se souvenir qu’il s’agissait d’une « vitre », un autre élément trouvé dans le journal. Elle s’approcha et toucha la paroi invisible, légèrement froide au toucher, et un peu de buée se forma à la surface quand son visage s’y colla presque. La Terre, le berceau des hommes. D’où elle venait, le bleu était plus rare que n’importe quoi, mais ici il abondait. Elle revint dans le journal et y trouva l’entrée de « l’eau », cette ressource vitale.
Tant de choses à apprendre et à…
— Hé !
Elle fit volte-face et aperçut un humain aux alentours du couloir. D’un physique qu’elle trouvait quelconque, il portait une sorte d’armure aux mêmes couleurs du couloir et un « fusil », ou du moins quelque chose qui y ressemblait mais ne laissait aucun doute quand il le pointa vers elle.
— Comment vous êtes arrivé ici ? Déclinez votre identité !
— Je suis Nel et je viens d’Oulm.
— Oh non… (l’humain pâlit puis porta son poignet à sa bouche) Centrale, j’ai une Outsider en visuel. Je répète, j’ai une Outsider.
Puis il reprit sa position où il pointait son arme vers elle, ce qui l’agaça quelque peu. Elle n’était pas idiote : il venait de prévenir d’autres humains pour sûrement la capturer, tout ça parce qu’elle ne venait d’ici. C’est partout pareil, pensa-t-elle en prenant son bâton à deux mains.
— Ne bougez pas ! lui cria l’autre en chargeant son arme, qui émit un son aigu.
— Je bouge si je veux.
D’un mouvement de poignée, elle fit tourner les mécanismes de l’Hexasceptre, qui réarrangea ses runes pour créer la combinaison que sa Porteuse lui ordonnait de faire. Les symboles gravés se mirent à luire le long du bois et l’arme de l’homme devint [froide] ¤ [ø] ¤ [chauffée à blanc], ce qui le força à la lâcher dans un cri alors que Nel fonçait sur lui pour le mettre à terre. D’un coup bien senti au menton, elle le mit au tapis puis entendit des pas de courses. Elle tourna la tête : à droite, des hommes et des femmes en armure, fusils et lances plasmiques à la main. Ils se mirent en position et la visèrent.
Pas maintenant ! Elle fit de nouveau tourner les mécanismes, changeant la combinaison. Cette fois, [l’air laissa passer] ¤ [ø] ¤ [un mur de lumière solide se forma] entre elle et les soldats au même moment où les tirs fusaient. Les projectiles d’énergie ricochèrent ou s’écrasèrent ça et là en traînées noirâtres. Soudain, un élancement de douleur dans la poitrine de Nel lui apprit qu’elle ne pourrait pas tenir très longtemps, et déjà d’autres débarquaient et approchaient avec précaution, avant de se rendre compte qu’elle ne pouvait pas attaquer dans cet état. Ils se mirent à frapper le mur de leurs armes qui projetaient des étincelles.
Nel fit tourner de nouveau le bâton : le mur se rétracta d’un coup avant d’exploser sur les soldats qui furent projetées en arrière, la laissant fuir. Mais elle était ralentie par le manque d’énergie et la colère qui la saisissait, aussi ne fit elle trois pas que cinq tombèrent sur elle et lui arrachèrent le bâton des mains. Immédiatement, elle sentit la magie lui échapper et la fit redevenir une simple Bafouilleuse, tandis qu’une des soldates lâcha :
— Tu fais moins la maligne sans ton joujou magique de mes deux ! Vous autres, mettez-la dans un cachot ; on préviendra le commandant dès son retour.
On traîna la jeune femme sans ménagement par les cheveux, non sans lui donner deux trois coups de pied dans les côtes, lui arrachant quelques cris de douleur et insultes dans son langage. Quand ils la balancèrent dans une cellule et appuyèrent sur le bouton qui fit apparaître des barreaux de plasma, elle leur cracha au visage mais rata, la salive s’évaporant instanément. Le soldat qui l’avait vu le premier, réveillé par ses compères, la regarda d’un air mauvais avec une main sur son menton gonflé.
— Profite bien de tes derniers jours avant qu’on t’extrait ta Porte, saleté de mage !
— Vous n’avez aucun pouvoir ! s’écria Nel quand ses geôliers s’éloignèrent. Vous êtes sous l’emprise de l’Auteur et vous n’en savez rien !
Le silence accueillit sa provocation. Après tout, qui croirait une inconnue si elle vous disait que vous n’étiez qu’un personnage parmi tant d’autres, prêt à disparaître ? La jeune Nel se sentit honteuse d’être tombée aussi bas, alors qu’elle avait réussi le rituel pour traverser le Tamis. Elle s’assit, menottes aux mains et de sombres pensées commencèrent à l’assaillir. Non, pensa-t-elle en les chassant immédiatement. Je ne vais pas me laisser abattre aussi facilement. Je vais trouver un moyen de sortir. On lui avait retiré son bâton mais pas son journal : elle prit, l’ouvrit… avant de le refermer sèchement : elle préférait s’en sortir sans son maître. Ce dernier était mort, elle était en vie et devait avancer.
Sa prison n’avait nulle autre pareil : des murs en fer, deux lits superposés en métal avec un matelas de prince, même si elle savait que ce genre de fournitures était le strict minimum dans ce monde. Il y avait également deux autres éléments : un lavabo et des toilettes. Si le second ressemblait plus ou moins à ce qu’elle connaissait de chez elle, le premier était réellement intriguant. Cependant, elle n’eut pas le temps de continuer son observation qu’une voix rêche parla :
— Alors, tu viens d’où, toi ?
Elle tourna la tête et blêmit : un humain, assurément, mais pas vraiment tout compte fait car il n’avait pas de visage. Cette créature était allongée sur le lit et venait de se redresser, la regardant de son perchoir ; voilà pourquoi elle ne l’avait pas vu. Méfiante, elle garda son calme et répondit :
— Pas tes affaires, le monstre.
— Moi, monstre ? (la chose rit ; elle avait, malgré son absence de bouche, un rire très audible et naturel) C’est la meilleure ! Tu n’es pas la première à dire ça, mais venant de toi, je sais pas si je dois être flatté ou vexé.
— Comme tu veux, j’en ai rien à faire.
Nel vint s’installer sur son lit et voulut se mettre à réfléchir à un plan d’évasion, mais la tête de l’autre détenu apparut à l’envers dans son champ de vision.
— Je veux rien de plus que sortir d’ici. J’imagine que c’est aussi ton cas ?
—…
— Si j’ai pas une réponse claire, je prends pas ça pour un oui.
— Et si je te réponds, tu me laisses tranquille ?
— Je peux pas le promettre.
Elle roula des yeux avant d’acquiescer. L’autre gloussa et glissa par l’échelle pour s’asseoir à son chevet, en tailleur pied contre pied, les mains sur les tendons. Il se balança d’une façon très agaçante, mais elle ne dit rien : se mettre en colère son colocataire forcé la nuirait plus qu’autre chose. C’était étrange en tout cas : on aurait dit qu’il la regardait parce que sa tête était tournée vers elle, mais sans yeux ça ne rimait à rien.
— Alors, reprit ce dernier, tu veux partir d’ici.
— Tu t’attends à ce que je t’aides.
— T’es maligne ! Ouais, je veux bien que tu m’aides à sortir.
— Ça m’apporterait quoi ? Si je t’aide sans contrepartie, je vais juste prendre un risque inutile.
— Même par gentillesse pure et simple envers un co-détenu ?
Le ton qu’il avait pris était sincèrement espérant, mais elle le trouva exaspérant et préféra lui offrir un sourire carnassier, qui ne le fit pas réagir jusqu’à qu’il dise :
— Hmmm, j’imagine que tu fais pas dans la charité. C’est d’accord ! Je peux t’offrir quelque chose de très utile. Être ton guide sur Terre !
— J’ai déjà ça.
Elle sortit le journal. Il haussa les épaules et tendit la main, Nel hésita avant de s’en séparer. Le sans-visage tâta le matériau, le porta à son oreille avant d’ouvrir le tout et parcourut les pages avec lenteur. À un moment donné, il s’arrêta subitement, paraissant hésiter…
— Quoi ? demanda Nel, curieuse.
— Rien, c’est juste que – il agita sa main devant son visage – Je peux pas lire.
Oh, lui, elle ne l’aimait vraiment pas. Après lui avoir arraché le journal des mains quand il dit « Pas sympa ! », elle le caressa entre ses doigts : malgré le danger que cet objet représentait, il gardait une charge émotionnelle forte dans son cœur et elle peinait à s’en départir. Le détenu pencha la tête sur le côté.
— Il n’est pas à toi, pas vrai ?
Nel le plaqua contre son sein, méfiante.
— Comment tu le sais ?
— Ta respiration, expliqua-t-il. Elle est plus douce quand tu l’as entre les mains.
Curieusement, elle le crût. Pourtant, alors qu’elle savait qu’aucun aveugle n’avait un tel niveau de sensibilité, son instinct lui chuchotait le contraire pour cet individu. Et Nel savait son instinct extrêmement pointu.
— C’est pratique, hein ? Enfin, ça marcherait encore mieux si on m’avait pas volé ton visage.
— On t’a volé ton visage ? répéta-t-elle.
D’un geste éloquent, il désigna sa face et elle leva les yeux au ciel ; pourquoi avait-elle demandé, aussi ? Là où demeurait la magie s’installaient aussi bien les rêves que les cauchemars les plus sordides, autant un visage volé qu’une planète enfermée dans un dé à coudre. Pensive, Nel observa le vide qui remplaçait la face de son interlocuteur, quand soudain il demanda :
— Au fait, je m’appelle Hadrian. Et toi ?
— Nel. Ça fait combien de temps qu’on t’a volé ton visage ?
— C’est joli, comme prénom, Nel. (elle rougit) Et ça fait quelques jours, je crois. La notion du temps, c’est difficile quand on peut pas garder la face.
— Ha, ha.
— Ouais, pardon, c’était pas drôle.
Hadrian se frotta l’arrière de la tête, visiblement gêné, ce qui fit sursauter l’apprentie. Ce geste, on le lui avait rabâché des centaines de fois dans l’histoire de…
— Attends, tu t’appelles Hadrian, c’est ça ?
— Euh, ouais ? Aux dernières nouvelles.
— Tu ne connaîtrais pas Synnaï ? Edward, Maty, Eikorna, Ludwig ou Ugo ?
— Ah, eux ? C’est mes meilleurs…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que quelque chose se produisit dans l’air. Non, il s’agissait plutôt d’une sorte de vibration adimensionnelle qui perturba l’ensemble des dimensions au sein du cosmos, ébranlant même Nel jusque dans son impuissance. Elle vibra tel un caillou en plein tremblement de terre et aurait chuté si Hadrian ne l’avait pas rattrapé. D’un regard elle le remercia, avant de se rappeler qu’il ne voyait rien. Pourtant, elle sentit presque qu’il lui rendit son geste.
Mais ce n’était pas ça qui lui importait : tout son corps la faisait souffrir, comme quand on essaie de retirer une écharde particulièrement vicieuse et que tout votre corps réagit violemment. L’apprentie dût se mordre la lèvre inférieure jusqu’au sang pour ne pas hurler. Le phénomène dura quelques secondes de plus avant de s’arrêter complètement. Sa tête lui tournait, Nel avait envie de vomir… et vomit sur Hadrian.
— Oh, pas encore ! C’est la sixième fois qu’on me fait le coup cette semaine.
L’autre l’ignora et rota quelques débris de repas de la semaine dernière. Chaque partie de son corps lui donnait l’impression de vouloir fuir de tous les côtés tout en se collant les uns aux autres. Une sensation définitivement peu plaisante – un euphémisme – mais l’apprentie avait connu pire ; elle se releva sur ses pieds, tituba pour voir si son sens de l’équilibre avait été endommagé. Elle se laissa ensuite glisser contre le mur sous la menace d’une nouvelle régurgitation. Son regard fut attira à l’extérieur de la cellule, visible : tout garde et tout détenu avait subi le même choc, comme si la vague avait touché non pas seulement ceux qui avaient eu affaire à la magie, mais toute forme de vie. Elle se tourna vers Hadrian : il était le seul non affecté, peut-être parce qu’il n’avait pas de bouche pour vomir ?
— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-il avec une sincère inquiétude.
— Je ne sais pas vraiment… (Nel s’essuya le coin de la bouche) J’ai senti une force immense m’écarteler.
Avec un peu de recul, elle comprit de quoi il en retournait : une Vérité, au travers d’un Fragment, venait de faire des dégâts intersidéraux à un degré quarkique. Cette énergie, elle l’avait reconnu puisque qu’elle ressemblait presque à celle de l’Hexasceptre du maître. Mais qui avait donc décidé d’utiliser un tel pouvoir et dans quel but ? De nouveau, elle se tourna vers Hadrian : s’il s’agissait bien du vrai – et elle en doutait peu à présent – alors lui aussi devait posséder un Fragment.
— Si je te fais sortir d’ici, tu pourras m’aider à trouver qui est l’auteur de ce désastre ?
Le sans-visage hocha de la tête, silencieux. Malgré son ignorance, il restait capable de lire l’ambiance de la situation. Nel se tourna vers les barreaux plasmiques : si l’ancien ami de son maître n’avait pas été capable de les traverser, alors elle avait peu de chances d’y parvenir et encore moins sans son bâton. Sauf qu’il y avait une règle universelle pour chaque système de sécurité : il existe toujours une faille, conçue pour et par le créateur afin de ne pas voir son œuvre lui échapper des mains.
Elle s’approcha et observa les endroits d’où partaient les rayons : des trous assez larges pour permettre aux fluctuations énergiques de s’étaler selon le bon vouloir des lois physiques de ce monde. C’était un peu comme des barreaux de métal dans son monde : on laissait toujours un peu d’espace pour permettre à la mousse, aux insectes et autres poussières de s’installer, permettre au fer de s’ancrer profondément dans la pierre par un mortier naturel. Et si l’air était ce mortier ? Elle alla chercher dans la cellule un objet long, n’importe quoi, mais rien. Hadrian s’approcha et lui demanda :
— Tu cherches quoi ?
— Un crochet, un truc.
— C’est pas vraiment le genre de choses qu’on nous laisse. Mais je crois que j’ai ce qu’il te faut.
D’une main, il arracha une mèche de cheveux. Il la tendit à Nel qui le regarda d’un air interrogateur, et son co-détenu ajouta :
— Je peux pas être blessé, endommagé. Ça s’applique aussi à tout ce qui fait et a fait partie de moi. Mais le hic, c’est que je peux blesser absolument personne.
— Vraiment ? Dans l’histoire, vous avez déjà blessé pas mal de monde.
— D’accord, je veux blesser absolument personne. Pacte de non agression, tu comprends ?
Piètre excuse mais bon, il fallait sortir. Elle prit le cheveu et prit pour le placer près de l’endroit du laser quand elle arrêta son geste. Hadrian pencha la tête sur le côté.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? Encore un problème de nausée ?
— Vous n’avez jamais pensé à utiliser ce cheveu pour vous faire sortir d’ici ?
Il se gratta le menton puis leva les paumes en l’air.
— Je viens juste d’y penser.
— Cela fait combien de temps que vous êtes enfermé ici ?
— Euh… Je dirais deux semaines. J’avais encore mon visage quand je suis arrivé.
— Vous êtes aussi idiot qu’il me l’a raconté, et Nel enfonça le cheveu dans le laser.
Il y eut un claquement dans l’air et une distorsion se forma le long du plasma, qui grésilla et s’éteignit. Ce fut plus facile que prévu… Nel regarda le cheveu : absolument intact. C’était fabuleux, mais elle n’avait pas le temps de s’attarder sur les prodiges des Fragments : elle devait sortir d’ici, trouver le sceptre et aller prévenir les autres Porteur.euse.s sur Terre de la menace qui couvait dans l’Outremonde. Elle sortit, les mains toujours liées et Hadrian sur ses talons, elle sortit de la cellule. Déjà des gardes encore nauséeux pointèrent leurs fusils vers eux.
— Retournez dans votre cellule !
L’un d’eux, trop nerveux, appuya sur la détente. Le coup partit, sans faire mouche : Hadrian venait de s’interposer entre le tir et Nel. Cette dernière le bouscula pour foncer sur les gardes, ficha un coup de coup dans la mâchoire de l’un et partit pour donner un coup à la tempe sur l’autre, mais ce dernier se baissa, recula d’un bond et la chargea pour la renverser. La chute lui coupa le souffle et le canon devant son nez ne lui laissa pas le temps de riposter. Seulement, deux mains attrapèrent violemment les épaules du soldat et le ramenèrent en arrière. Nel en profita pour lancer ses deux pieds dans l’estomac de son adversaire, chez qui l’armure ne suffit pas pas à absorbe le puissant choc qui déforma le métal souple. Le type tomba au sol, laissant apparaître Hadrian, qui lui présenta une main pour l’aider à se relever. Elle ne la prit pas et se releva d’elle-même, une légère douleur dans le dos.
— Pacte de non agression, hein ? le railla-t-elle.
— Je t’ai protégé, c’est différent.
Ben voyons ! Elle lâcha un bruit de bouche caractéristique d’Oulm, un claquement des lèvres et de la langue ; ça signifiait qu’elle y croyait peu et était vexée, excédée et voulait passer à autre chose. Avec des mouvements nés de l’habitude, elle prit les menottes aux ceintures des soldats et les attacha à la rambarde de l’estrade qui séparait la corniche donnant accès aux cellules aux centaines d’étages de la prison.
— On y va, annonça Nel quand elle eut terminé.
— Où ?
— Là où y a ton visage.
Et les deux se précipitèrent alors que les sirènes d’alarme se mettaient à chanter pour attirer les autres marins du navire.
* * *
Partout, les prisonniers et les gardes semblaient complètement déboussolés. Nel comprenait bien qu’il fallait du temps pour se remettre d’un tel désordre cosmique, mais ce qui la turlupina d’autant plus était l’origine de cette perturbation : quel.le Porteur.euse avait bien pu provoquer autant de dégâts d’un coup, et pourquoi ? Que visait-iel ?
Elle partit pour sortir du complexe de cellules à droite quand Hadrian l’attrapa par le bras et lui montra la gauche. Il devait sûrement connaître l’endroit mieux qu’elle, alors elle le suivit. Ils parcourent des couloirs blancs et, surprenamment, ils ne trouvèrent aucun garde qui patrouillait malgré les alarmes assourdissantes, à tel point que Nel s’en inquiéta – aussi pour ses oreilles – mais alors qu’elle s’arrêtait à chaque détour pour regarder en catimini, Hadrian finit par perdre patience en lâchant :
— C’est bon, là ! Ça fait cinq minutes que tu nous fais du James Bond, faut qu’on avance plus vite !
— Tu veux retourner en cellule ?
— Avec toi dans l’équipe, ça risque pas. Et puis, j’ai plus de raison d’être attrapé.
Elle en était sûre ! Hadrian ne s’était pas fait prendre juste comme ça : il avait fait exprès.
— Pourquoi tu m’as rien dis ? s’enquit-elle en cachant son agacement.
— Je te connais même pas. Tu débarques au beau milieu d’un champ de bataille en devenir, alors forcément que je vais pas poser toutes mes cartes sur la table.
Bon, le bougre n’avait pas tort ; conserver ses atouts était l’une des premières leçons que Nel avait apprise, bien avant l’arrivée de son maître dans sa vie. Seulement, ça n’expliquait toujours rien et visiblement, Hadrian ne souhaitait pas lui partager. Il devait lui faire confiance pour cela.
Sans se départir de sa vigilance, elle pressa le pas sans s’arrêter à chaque croisement. Au bout de déambulations plus ou moins hasardeuses, elle finit par comprendre qu’ils s’étaient perdus. Alors, pour éviter cela, elle partit pour marquer de l’ongle la peinture des murs ; ces derniers en étaient absents, complètement dans ce métal blanc parcouru de veines irisées, aussi dut elle les rayer à plusieurs reprises pour une marque visible. Cette fois, Hadrian approuva son geste et l’aida même, bien que moins précis qu’elle en l’absence de regard. Avec ce système, ils purent se repérer bien plus facilement et finirent par vaincre le complexe labyrinthique. Une grande salle des machines avec une immense vitre ouvrant sur le noir et le bleu, sur le lointain et l’inconnu. Ce fut là qu’ils le virent, dans ce poste de commandement, les mains derrière le dos, son nez rouge de rage après sa précédente déconvenue à Oxford. À côté de lui, il y avait l’Hexaceptre ! Elle fit un pas un pas en avant. Dès qu’il les vit, son air changea du tout au tout, passant de la sombre colère à un sourire radieux.
— Hadrian, vieux poto ! J’espère que t’as passé du bon temps en prison.
D’un geste théâtral, le sans-visage pointa du doigt le Porteur de la Connaissance.
— Ton règne de terreur est fini, le gobelin !
L’autre se cura le nez et envoya la crotte d’une pichenette vers Hadrian avec une précision chirurgicale, qui ne put l’éviter et se la prit en plein visage. Il recula de de dégoût en gesticulant sur place et en pestant. Ugo se mit à rire.
— C’est la guerre, ducon. Toi et tes héroïsmes à la noix, tu sais où tu peux te les carrer (il se tourna vers Nel et un coin de sa bouche se tordit) Toi, je te connais pas. T’es qui ?
— Je suis la propriétaire de cet objet, j’aimerais bien le récupérer.
Elle désigna le Fragment, qu’Ugo observa d’un œil maussade.
— Ah oui, cette usine à merde. J’aurais dû y penser !
Un tir de laser la toucha à l’épaule, brûlant le point d’impact et une douleur intense lui arracha un cri. Elle s’agenouilla, Hadrian se précipitant pour l’empêcher de s’effondrer. De ses yeux à moitié fermés, Nel distingua le pistolet dans la main de Ugo, dégainé avec la même vitesse que son précédent geste grosssier. Les tenant tous deux en joue, il descendit lentement de son estrade, son armure cliquetant pour épouser ses mouvements. Son air avait encore changé : cette fois, c’était un dépit dégoulinant de crainte.
— Tu pouvais pas t’en empêcher, hein, Synnaï ? T’avais déjà pris la vie de Yannis, maintenant c’est celle-là. Quand est-ce que tu vas arrêter de faire le vampire ? Y a déjà Edward dans l’équation pour ça.
Nel aurait souhaité répondre mais la douleur était trop forte. Ugo finit par s’approcher et lui aurait fiché un coup de pied en plein visage si Hadrian ne s’était pas interposé, stoppant net l’élan du personnage le plus savant de l’univers. Ensuite, le sans-visage porta ses mains devant lui comme pour montrer d’un geste que son ancien ami ne pourrait pas approcher. Ce dernier grinça des dents :
— Ah, manquait plus que le Gandhi de Leaderprice ramène sa gueule. Elle a belle gueule, ta bravade.
— Tu es hypocrite, protesta l’autre. Tu veux détruire la magie mais au final, tu ne te gênes pas de l’utiliser à tes fins personnelles !
De façon impressionnante et complètement impossible, Ugo gifla Hadrian qui s’étala au sol, plus par étonnement que par la force dans le geste. Puis il pointa le canon de son arme sur Nel.
— Faudra me dire un jour comment tu fais pour revenir encore et encore. J’en ai marre de marcher sur ton cadavre.
Dans une tentative de dernière chance, Nel surmonta la douleur qui lui donna l’impression que son bras était traversé de centaines de guêpes forcenées, et bouscula le tireur. Enfin, son essai fut fructifiant et Ugo perdit l’équilibre et ces quelques secondes suffirent à l’apprentie de se précipiter vers le bâton. Un tir la manqua, un autre l’attteignit à la jambe quand ses doigt se refermèrent autour du bois. Elle hurla, et tourna les engrenages. Les runes s’illuminèrent en reconnaissant l’ordre et la pièce fut [faiblement éclairée] ¤[ø]¤ [inondée de lumière]. Quand la clarté aveuglante eut disparue, Nel rouvrit les yeux : elle était dans une clairière calcinée, devant une maison très abîmée. Devant la porte attendait une jeune fille brune aux yeux remplis de formes qui auraient rendu fou les dieux les plus anciens.
Chapitre 2 –
*Eikorna
Ielle était en train de prendre une pause après l’écharpement que Ludwig avait tenté d’accomplir avec le Tranchecoeur, alors voir Hadrian sans visage et une inconnue atterrir dans un sursaut de Vérité lui laissa entendre que les ennuis venaient seulement de commencer. Ielle se précipita pour aider son ami et l’inconnu qui l’avait sûrement aidé, qui d’ailleurs était blessée à l’épaule et à la jambe. Dès qu’elle toucha Hadrian, elle lui conféra un visage mais… quelque chose n’allait pas. Ielle ne pouvait pas lui rendre son visage. Ça donna un résultat qu’on qualifierait de patatoïde, qui laissa le brun lunetteux prendre une grande respiration sifflante :
— Oh, mais qu’est-ce que… (il se toucha les traits et blêmit) Attends, tu as le pouvoir de rendre les gens moches ?
— Content.e de te revoir.
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