Derrière les ennuis et les vastes chagrins

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Je tiens à préciser que ce texte n'est absolument pas autobiographique : je ne chante pas faux, je n'ai jamais été mercenaire et je n'ai pas de voilier. Ce texte s'est plié aux 30 mots aléatoires à moins que ce soit les 30 mots qui se sont pliés au texte, la plume a fait le reste.

-oOo-

Un crocodile s'en allait à la guerre

disait au revoir à ses petits enfants...

Il ne cessait de chanter cette comptine qu'il avait apprise tout jeune, sur les bancs de l'école. Aujourd'hui, aucune institutrice n'était là pour le punir parce qu'il chantait faux : Il était seul et chantait toujours aussi faux. Cette petite chanson comblait ainsi la solitude qu'il avait choisi.

Il avait décidé de tout plaquer, sa femme, son boulot... tout. Il était monté sur son vieux ketch tout en bois, avait hissé les voiles et... vogue la galère !

Enfin il respirait. Fini, ce petit monde égocentrique dans lequel chacun ne s'occupe que de son nombril. Il n'était plus qu'un minuscule grain de poussière dans cette immensité bleue : tout était bleu... la mer... le ciel... même les voiles en coton... comme les hématomes faits à son âme.

Il respirait mais ne cessait de penser à l'avant. Militaire, puis mercenaire – soldat de fortune comme on les surnomme – il avait passé une bonne partie de sa vie sur le terrain de guerre. Certains combattaient pour l'honneur ; lui combattait pour l'argent : « on fait la guerre pour ce que l'on possède le moins ! » comme aimait à dire un de ses anciens chefs, le vieux Bob.

Tout plaquer et partir à l'aventure... pour expier ? Pour trouver la guérison au mal qui rongeait son âme ? Peut-être mais pas sûr...

Il respirait mais il était fatigué. Il défit le harnais de sécurité et se dirigea vers la cabine : un petit creux ! La réserve était bien achalandée mais ses yeux se posèrent sur un morceau de mendiant, du bettelmann comme le nomment les Alsaciens ; la date de péremption devait être dépassée, mais il n'en avait que faire, les dates de péremption étaient faites pour cette société aseptisée dans laquelle nous macérons ; et puis les cerises qui parsemaient le gâteau lui faisaient envie ! Il en avala un morceau tout rond tellement il avait faim ! S'il y avait bien une chose qu'il n'avait pas perdue, c'était le plaisir de manger ; dire que la mode chez les « biobios » était de manger de la graine qui germe !

Repu, il s'allongea sur le pont du bateau ; le teck dont il était fait était devenu légèrement rugueux, vu le manque d'entretien, ce qui ne lui déplaisait pas car il n'aimait pas ce qui était lisse.

Il respirait mais il était épuisé. Il avait cru se libérer de ses démons mais il n'en était rien. Dès qu'il fermait les yeux... toujours la même vision : ce môme qui le regardait d'un air arrogant en triturant sa kalachnikov AK 47. Il ne pouvait pas tirer sur un enfant même armé ; il n'avait pas pu ; il aurait dû... Le môme fit cracher son arme... le village cracha des larmes de sang. Allongé sur le sol, il ne sentait plus rien... un instant d'empathie et ç'avait été la catastrophe... le môme s'en était allé tranquillement en continuant de tirer et tuer... De ce jour-là, la vie devint un colin-maillard avec la douleur et cette vision ne le quitta plus. Il entendait encore la phrase que lui avait dite le môme : « Monsieur, la prochaine fois, tu me tuera... si tu n'es pas déjà mort ! »

Il respirait mais ne vivait pas. Il pensait à son épouse qui devait l'attendre à la fenêtre, clouée sur son fauteuil roulant depuis ce maudit accident de voiture... la pluie... la grêle... la fatigue... et la voiture qui se plante... Il semblait entendre les grognements de leur chien, un épagneul breton, seul réconfort de son épouse lorsqu'il s'absentait pour installer des systèmes de sécurité chez des clients. Vraiment rien n'était parfait dans ce monde...

Derrière les ennuis et les vastes chagrins

Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,

Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse

S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Il se souvenait de cette strophe du poème « Elévation » de Charles Beaudelaire... s'élancer... alors qu'il n'avait qu'une envie, celle de plonger.

Il dégaina son poignard qu'il continuait toujours de porter au mollet et, comme Rahan le héros de son enfance à la fin de chaque aventure, le fit pirouetter sur lui-même pour connaître la direction qu'il suivrait : revenir auprès de son épouse ou foncer vers l'inconnu...

Survivre à la vie... ou vivre à la survie...

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