Chapitre 11 : LE NOUVEAU MAÎTRE, LE NOUVEAU NOM (Vers 1522)
En 1522, après avoir passé deux longues années au service de Don Álvaro, un homme dur et sans cœur, Nkulu fut finalement racheté par un nouveau maître, un homme au tempérament bien plus doux, un propriétaire anglais du nom de John Walford. C’est dans cette nouvelle maison, sous un ciel étranger, que Nkulu commença un chapitre de sa vie que peu auraient pu imaginer.
Le contraste avec son ancien maître était saisissant. John Walford, un homme d'une cinquantaine d'années, bien qu’un blanc du Nouveau Monde, avait l’air plus humain, moins froid que Don Álvaro. Il était vêtu d’un long manteau de laine, les couleurs vives d’un rouge foncé, ce qui semblait plutôt flamboyant à Nkulu. Ses cheveux, grisonnants aux tempes, étaient soigneusement coiffés, et son regard portait une sagesse empreinte d'un monde d'expérience.
Nkulu était désormais appelé "Charles", un nom que lui avait donné Walford en signe d'appartenance à son domaine. Cette nouvelle identité marquait un changement dans sa vie, mais le poids du nom imposé par les Portugais, « Pedro », semblait encore lourd, comme une ombre persistante. Cependant, il n’était plus "Pedro" désormais, et cette petite victoire personnelle apportait un peu de réconfort à son esprit blessé.
Chaque jour, il accomplissait son travail avec diligence, élevant des meubles, nettoyant les sols et servant son maître avec une loyauté indéfectible. Mais au fur et à mesure des jours, il remarqua qu'il ne se contentait pas de travailler. Il devenait plus fort, plus grand, ses muscles se dessinaient sous sa peau noire et douce. Et avec cette force, quelque chose d’autre naquit en lui : l’amour.
Un soir, alors qu’il était dans les jardins de la maison, une silhouette l’interpella. C'était Isabelle, la fille de Monsieur Walford. Elle était belle, d'une beauté que Nkulu n’avait jamais vue auparavant. Ses cheveux étaient longs et bouclés, comme une mer d'ébène qui tombait en cascade autour de son visage. Elle portait une robe légère en soie d’un bleu pâle, contrastant magnifiquement avec la lumière des étoiles. Elle avait la peau claire, d’un teint ivoire éclatant, et ses yeux bleus avaient une profondeur qui transperçait l’âme.
Isabelle s’approcha de lui avec une démarche gracieuse, les pieds nus effleurant l’herbe sous la lumière faible des lanternes.
« Charles », dit-elle avec un sourire timide, mais déjà plein de complicité, « êtes-vous occupé ce soir ? »
Nkulu sentit son cœur s’emballer. Il se redressa, les yeux légèrement écarquillés par la surprise.
« Non, Mademoiselle Isabelle, je n’ai rien de prévu. »
Elle s’assit près de lui, juste assez près pour qu’il sente la chaleur de son corps, un frisson parcourant son échine. Il s’assit à son tour, un peu hésitant.
« Je me sens seule parfois », confia Isabelle, baissant les yeux. « Tout ici semble si… divisé. Comme si tout le monde avait sa place et que la mienne était quelque part entre les murs de cette maison. »
Nkulu la regarda, son cœur battant plus fort. Il savait ce que c’était, se sentir pris entre deux mondes. Lui, esclave, mais elle, fille d’un maître, étrangère dans son propre pays.
« Vous n’êtes pas seule », répondit-il doucement. « Vous êtes ici avec des gens qui vous respectent. Vous avez votre place. »
Un silence s’installa entre eux, avant qu'Isabelle ne brise la glace en posant sa main doucement sur celle de Nkulu. Le simple contact envoyait des vagues de chaleur dans son corps, mais il savait que cet amour était un secret. Il devait l’être.
"Charles," murmura Isabelle, son souffle chaud caressant la peau de son oreille, "Si le monde savait ce que nous ressentons, ils nous jugeraient."
"Je sais," répondit-il en baissant la tête. "Mais ce secret, il est le nôtre. Et nous devons le garder ainsi."
Ils échangèrent un regard, un regard que même la lune ne pouvait saisir, un regard où se mêlaient l’espoir et la douleur. Un regard volé à un monde qui ne comprendrait jamais.
Dans les jours qui suivirent, ils continuèrent à se rencontrer en cachette, leurs rencontres nocturnes devenant leur unique échappatoire. La maison, les serviteurs, et même les oiseaux de nuit semblaient s’éclipser autour d’eux. L’amour, ce sentiment caché et réprimé, naissait dans les espaces où seuls eux deux se comprenaient.
Nkulu avait abandonné l’idée de retrouver sa terre natale, mais dans les bras d’Isabelle, dans ses yeux clairs et ses mains tendres, il découvrait un nouveau genre d’espoir. Pas celui de retrouver son passé, mais celui de créer quelque chose de beau dans ce monde sombre.
Leurs conversations étaient discrètes mais sincères. Parfois, ils parlaient de tout, parfois de rien. Des souvenirs d’un autre temps, des rêves qui ne seraient jamais réalisés, des regards furtifs échangés dans l’ombre. Leurs discussions étaient simples, mais pour eux, elles étaient essentielles.
Isabelle : « Charles, tu crois qu’un jour, nous pourrons être libres ? »
Nkulu : « Peut-être, mais la liberté n’est pas quelque chose qu’on donne. Elle doit naître de nos cœurs. »
Isabelle : « Alors, quand cela arrivera, je serai prête. »
Les vêtements des personnages étaient un reflet de leurs statuts. Isabelle portait toujours des robes en tissus finement tissés, des couleurs vives et des tissus de qualité, représentant sa place dans la société. Nkulu, quant à lui, portait des habits simples en toile, souvent usés par le travail, mais tout de même bien entretenus par son maître, John Walford.
Mais plus encore que les vêtements, ce qui marquait l’esprit de Nkulu, c'était cette tension constante, cet amour non partagé par le monde, qui s’épanouissait dans les coins les plus secrets de la maison. Une émotion fragile, comme la lumière d’une bougie prête à s’éteindre, mais chaque soir, chaque moment passé avec Isabelle devenait une étincelle de vie dans l’obscurité de leur situation.
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