Chapitre 6
Je m’entrainais dans mon studio, Lianna m’observait et jouais sur son tapis. Véra était encore en réunion diplomatique, pour le même sujet incompréhensible que la dernière fois. J’avais préféré ne pas y participer. Je voulais surtout profiter de mon jour de repos. Quelqu’un frappa à la porte et attendit mon autorisation pour entrer. C’était Elena. Lianna la reconnut, l’embrassa et retourna sur son tapis de jeu.
— Véra m’a dit que tu étais là. Aurais-tu du temps à m’accorder ?
— Bien sûr. Entrez, je vous en prie.
— Ma petite-fille m’a demandé d’examiner votre futur contrat de mariage. Elle est très minutieuse.
— Au point de même prévoir sa mort, soupirais-je.
— Ce qui est tout à fait normal, elle est l’Impératrice. Enfin bref, je ne suis pas là pour ça. J’aimerais t’offrir ta robe de mariage.
— Vous m’offrez trop de choses. Je ne veux pas vous être redevable.
— Tu ne me dois rien, Élia. Je ne te fais que des cadeaux.
— Je ne peux accepter. C’est beaucoup trop.
— Si je te raconte mon histoire, tu accepteras peut-être plus facilement. Veux-tu bien sortir en ville avec moi ?
— Si vous me laissez le temps de me changer.
— Mais bien sûr, rigola-t-elle. Je vais réserver le restaurant en t’attendant. Et vois si quelqu’un peut garder ta fille.
— Je fais au plus vite.
Je me dépêchais de prendre une douche, choisi ma plus belle robe et Liva m’aida à me coiffer. Je sortais avec la grande Elena, je devais être parfaite. Sur des talons pas trop haut, je lui confiais ma fille avant d’aller prévenir ma fiancée. Quand j’entrais dans la salle de réunion, celle-ci s’étouffa et je rougis.
— Tu es magnifique, mon ange. Qui comptes-tu draguer ?
— Mais toi, bien sûr, jouais-je. Je sors avec ta grand-mère. Liva garde Lianna.
— Qu’est-ce que vous allez faire ?
— Je ne sais pas vraiment.
— Bon et bah amusez-vous bien. Et fais attention à ne pas laisser les autres te regarder trop longtemps.
— Promis, mon amour.
Je l’embrassais, la laissais me regarder un instant, tandis qu’elle luttait contre ses mains baladeuses. Je la laissais ensuite travailler et rejoignis sa grand-mère, qui m’attendait près d’une belle limousine noire.
— Tu ne mets pas ton diadème de représentante impériale ? remarqua-t-elle.
— Seulement lors des bals. Et encore, parce que j’y suis obligée.
Le chauffeur nous ouvrit la porte. Elena entra la première et je la suivis peu après. Elle resta silencieuse durant tout le trajet, mais gardait un sourire sur son visage. Celui que j’avais toujours vu, à l’exception du jour où elle avait sauvé ma sœur. On arriva devant l’entrée d’un grand restaurant. Je n’aurais jamais imaginé avoir l’opportunité de déjeuner un jour dans un tel établissement.
— Océane m’avait invité ici lors de notre dernier anniversaire de mariage. Je n’y étais jamais revenue. Tu vas aimer, j’en suis certaine.
— Pourquoi y revenir avec moi, dans ce cas ?
— Je vais tout t’expliquer pendant le repas.
La serveuse nous accompagna à notre table et nous présenta différents menus. On choisit celui qu’on voulait avant de commencer à discuter.
— Que sais-tu de moi, Élia ?
— À vrai dire, pas grand-chose. Seulement que vous avez été une Impératrice qui a fait beaucoup pour l’Empire. Que vous êtes admirée, mais que vous pouvez vous montrer intransigeant.
— Je vais te raconter mon histoire. Certains passages, mes petits-enfants et même Lizéa ne savent pas. J’aimerais que tu ne leur en parles pas. Je te fais confiance, Élia.
— Je vous le promets.
— Si à un moment, tu sens que c’est trop dur pour toi, n’hésite pas à m’arrêter. Je ne veux pas, non plus, te traumatiser. Bien. Tous à commencer dans un château. Ce château est aujourd’hui en ruine. J’y ai vécu dans l’ombre de ma mère, la Dictatrice Julie De Stinley. Tu as peut-être déjà entendu parler d’elle. Emma est entrée à mon service quand j’avais treize ans. Avant, j’étais seule. Ma mère me maltraitait. Elle me battait et m’enfermait dans ma chambre. À cause de ça, je suis claustrophobe. Emma m’a sauvée. Au total, j’ai essayé de me suicider deux fois. La première, Emma n’était pas là. J’ai sauté depuis la fenêtre de ma chambre. Quand j’avais dix-neuf ans, j’ai sauvé Océane des griffes de ma mère. Elle allait la tuer alors que je suis intervenue. Je n’avais jamais eu aussi peur de la défier, j’avais peur qu’elle me tue aussi et pourtant, j’ai agi. Aujourd’hui, je sais que j’ai eu raison de suivre mon instinct. Peu de temps après, ma mère a disparu et je suis montée sur le trône, sans aucune connaissance. Océane m’a beaucoup aidé. J’ai lutté pour pouvoir l’aider. J’ai même tué son ex-petit ami pour la protéger, quelques années plus tard. Pour le bien de l’Empire, je me suis mariée avec un homme, le père de Benjamin et Élise. Mais lui aussi était violent avec moi. Il a même essayé de me tuer alors que j’étais enceinte. Parce que j’ai eu le courage d’appeler à l’aide. Cette fois-ci, c’est Océane qui m’a sauvée et nous avons enfin pu nous marier. Grâce à elle, j’ai pu aimer mes enfants, qu’elle avait adoptées. Elle est devenue Impératrice avec moi. Quelques années plus tard, il est revenu. Il a envahi le château, avec son armée, et a pris tout le monde en otage, moi y compris. J’ai eu plusieurs côtes cassées et l’épaule droite déboitée, qui a nécessité une intervention chirurgicale. Devant moi et l’ensemble du personnel du château, il a froidement assassiné une jeune fille, plus jeune que toi. J’ai mis plusieurs mois à me remettre de sa mort. Elle s’est sacrifiée pour en sauver une autre, en taisant son nom. Il m’a ensuite emmené en ville, où il a exécuté une famille. Le mari, le fils puis la mère. Je n’ai rien pu faire pour les sauver. D’autres villageois ont été tués en essayant de me sauver, avant qu’Océane n’intervienne. Parmi eux, une jeune femme que j’aimais beaucoup, Estelle et sa mère. Je l’avais sauvée d’un accident d’avion et je payais ses études de dessin. Elle voulait me rendre la pareille. Élia, promets-moi de ne jamais m’être redevable. Ne te sacrifie jamais à ma place, où même à la place de Véra.
— Je vous le promets, répondis-je les larmes aux yeux.
— J’ai fini par m’en remettre et Lizéa est née. Océane était sa mère biologique. Là aussi, c’était compliqué et on a beaucoup souffert. Océane à fait plusieurs fausses couches avant de l’avoir. Quand Liz avait sept ans, un incendie criminel s’est déclaré dans sa classe. C’était l’ex-petit ami d’Océane le coupable. Je sais que ma fille t’a déjà expliqué pour ses cicatrices dans son dos. C’est à partir de là que ma maladie est devenue incontrôlable. Je suis schizophrène, comme ma mère. Mais je me soigne. Je la pensais morte et pourtant, j’ai fini par la retrouver vivante. J’ai vu le château se faire attaquer par un missile, exploser à la télévision alors que j’étais loin de chez moi et de ma famille. Ma femme est en morte, à cause du souffle de l’explosion. Même si tout mon monde s’écroulait, j’avais mes enfants pour ne pas sombrer et j’ai eu l’occasion de dire au revoir à Océane. Élise m’a beaucoup aidé à garder la tête hors de l’eau et avec l’Empire. Elle a pris ma place à la fin de ses études, mais là vite céder à Véra pour s’occuper de moi. Je sais que Véra lui en veut beaucoup, mais elle ne sait pas tous les sacrifices que sa mère à du faire à cause de moi.
— Véra ne sait pas que vous êtes malade, c’est ça ?
— Non. Et tu ne le lui diras pas.
— Qui a fait exploser le château ?
— Ceux qui ont commandité ton enlèvement.
— Je comprends mieux. Ce qu’il s’est passé durant l’attaque, mais aussi tout ce qu’on dit sur vous.
— Je n’ai pas eu une vie facile. J’ai plusieurs fois voulu abandonner. Mais regarde où j’en suis. Je suis toujours debout et toujours vivante.
— C’est pour ça que vous êtes aussi prévenante avec moi ? Pour que ma vie soit plus facile ?
— Entre autres. Quand je ne vais pas bien, je vais sur une plage, dans ma tête. La première fois, j’ai vu une jeune femme danser. Quelqu’un là appeler Élia et la jeune fille à ensuite parler de l’Opéra-théâtre de Glenharm. Je pense que c’était toi. J’ai toujours su que je devais la protéger, te protéger. Et tu n’étais pas encore née quand j’ai eu cette… vision. Je n’en ai parlé à personne, pas même à Océane. C’était mon secret.
— Je suis heureuse de vous avoir auprès de moi. Vous êtes la grand-mère que je n’ai jamais eue.
— Alors, laisse-moi t’offrir ta robe de mariée.
— J’accepte avec plaisir. Merci infiniment.
— Je n’ai malheureusement pas pu en faire autant avec mes petits enfants. Je suis ravie de pouvoir me rattraper avec toi.
Elena continua de m’expliquer sa relation avec son fils, sa seconde femme, Mia, qu’elle avait longtemps repoussée. Tous ces petits détails qui me permettaient de mieux comprendre la famille Stinley, mais surtout de comprendre Élise. Si elle refusait que j’épouse Véra, c’était parce qu’elle avait peur que je n’ai pas les épaules pour la soutenir, pour supporter le poids du passé des Stinley. En réalité, elle ne voulait que le meilleur pour sa fille et je n’étais pas lé prétendante idéale. Nous le savions toutes les deux.
— Je t’ai raconté tous les malheurs de ma vie. Veux-tu bien en faire de même ? Que j’apprenne à te connaitre un peu plus.
— Comparé à vous, ça n’a rien d’intéressant. Je ne voudrais pas me plaindre alors que…
— Ne t’inquiète pas pour ça. Je serais l’oreille qui écoutera tes plaintes.
— D’accord. Mon père est mort quand j’avais trois ans. Il a été assassiné par le Duc du village, pour payer une partie des dettes que ma famille lui devait. J’ai été élevée par ma mère et ma sœur. Iléna a toujours été surprotectrice avec moi. Elle n’hésitait pas à se battre avec ceux qui me regardaient de travers. J’étais nulle à l’école, ma mère m’en a sortie à treize ans. Après… non, ça je préfère ne pas en parler.
— C’est comme tu veux.
— J’ai fait l’école à la maison, comme j’ai pu, aidée par le Maire et le médecin du village. Quand je le pouvais, je m’éclipsais à l’orphelinat, où je savais être utile. Le même orphelinat que Véra a fait rénover pour mon anniversaire et où j’ai rencontré Lianna. Iléna m’a appris à danser. Elle écrit des chansons depuis toujours et je suis sa première fan. J’ai appris dans la maison, mais aussi et surtout dans les hautes herbes de notre jardin. C’était un moyen pour moi de m’échapper. D’échapper à la pauvreté, aux remarques acerbes des villageois. J’étais leur bouc émissaire. Ma mère cumulait plusieurs emplois payer les factures et Iléna à abandonné ses études pour travailler. Les les os fragiles, un problème d’oreille interne alors j’allais souvent à l’hôpital et il fallait payer toujours plus. L’année dernière, le Duc a fait enlever ma sœur et a égorgé son fiancé, à cause de nos dettes. J’étais là, j’ai tout vu et je n’ai rien pu faire. Je suis rentrée à la maison, je n’ai rien dit et je me suis laissée mourir. Sans ma sœur, je n’étais plus rien. Le Duc a fini par m’envoyer au palais, comme une vulgaire marchandise. Véra a accepté de s’occuper de moi. Elle m’a sauvée. Mais ça ne plaisait pas à Margot, son ancienne dame de chambre, car nous devenions de plus en plus proche. Véra a été la première à me faire des avances. Je n’avais pas compris au début. J’ai fini par accepter mes sentiments pour elle et je l’ai embrassé. Margot nous a vus, elle m’a fait enfermée pour trahison et Véra m’as sauvé de la pendaison au dernier moment. C’est là qu’elle a rétabli ce pour quoi vous vous êtes toujours battue. Petit à petit, notre relation est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, grâce à elle. Et pour la suite, vous savez.
— Ta vie non plus n’a pas été simple, Élia. C’est ce qui fait de toi la femme que tu es aujourd’hui. Tu n’avais rien et pourtant tu as tout donné. Accepte aujourd’hui qu’on te rende la pareille. Accepte de vivre dans le luxe, entouré de gens qui t’aiment et qui s’assureront toujours que tu ne manques de rien.
— Ce n’est pas aussi simple. Je connais les deux faces de l’argent. La richesse et la pauvreté. L’un comme l’autre, c’est trop pour moi. Dans les deux cas, je ne paie jamais rien. Même l’argent que j’ai aujourd’hui sur mon compte, la plupart viennent de Véra. J’aimerais vivre avec seulement ce que je gagne au Conservatoire. Mais Véra est Impératrice. Ce salaire est ridicule comparé à sa vie au palais.
— Tu voudrais participer financièrement, si je comprends bien.
— Je ne veux pas être dépendante.
— La maison que je t’ai offerte, c’est l’occasion d’être indépendante. Tu t’en occuperas seule. Tu es l’unique propriétaire. Véra n’y a aucun pouvoir. Libre à toi d’organiser ta vie là-bas comme tu le souhaites.
— Je ne pourrais jamais vous remercier pour ce que vous faites pour moi.
— Tu n’as pas à me remercier. J’en ai envie, c’est tout.
Je n’avais plus aucun doute. Elena était devenue ma grand-mère à part entière et j’étais fière de l’avoir au sein de ma famille. Après avoir bien mangé, je fis les premiers essais de ma future robe de mariée, sous son regard expert. Elle m’emmena ensuite visiter ma nouvelle maison.
— Oh ! Je la connais celle-là.
Je me retournais discrètement et aperçus Océane, souriante. Ma guide était revenue. JE lui souris et m’immobilisais en entendant Elena.
— Océ, souffla-t-elle.
— Tu… tu me vois ?
— Oui, mon amour.
Des larmes de joies roulaient sur les joues d’Elena tandis qu’Océane s’approchait. Elles semblaient même pouvoir se toucher.
— Mais… comment ?
— Élia, c’était la maison de Ben. Celle qu’il a du hériter à ma mort. Tu seras bien ici.
— Attends… Élia, tu vois Océane ? Je ne suis pas en crise ?
— Tu n’es pas en crise, mon amour, lui répondit-elle avec beaucoup de bienveillance. Élia me voit, car je suis sa guide spirituelle, en quelque sorte. Tu dois surement me voir à cause de ta maladie.
— Je ne comprends pas.
— Je ne comprends pas tout non plus, rigola Océane. Ce que je sais, c’est qu’Élia a besoin de moi alors je viens régulièrement, quand là-haut, ils me le permettent. Mais si elle est sous ta protection, elle ne risque rien.
— Élise lui met des bâtons dans les roues.
— Je sais, mais je ne peux rien y faire.
Je laissais les deux femmes discuter et partis visiter la maison. Il y avait deux chambres, un bureau et une belle salle de bain à l’étage. La cuisine était parfaitement équipée et le salon assez grand pour accueillir une bonne partie de nos familles. Hormis pour la cuisine, il n’y avait pas de meubles. J’avais tout le loisir de l’aménager comme je le voulais. Je retrouvais Elena dans le salon, ouvert sur la cuisine, quand elle m’appela. Elle était à nouveau seule et nous avait préparé deux tasses de thé.
— Que penses-tu de la maison ?
— J’aime beaucoup. Merci.
— Mon fils n’y a jamais vécu. La maison est comme neuve.
— Pourquoi l’avoir acheté, dans ce cas ?
— C’est Océane qui les a achetés pour nos enfants. Lizéa vit dans la sienne et je vis aujourd’hui avec Élise dans la sienne. Bien qu’elle ne ressemble plus trop à celle d’origine. Mon fils a accepté que celle-ci te revienne.
— Je le remercierai la prochaine fois que je le verrai.
Elena me remit officiellement les clés. Cette maison était désormais la mienne. En fin d’après-midi, elle me ramena au palais avant de rentrer chez elle. Cette journée m’avait fait du bien. J’en avais appris beaucoup sur la plus grande figure féminine de l’Empire. Je me sentais désormais plus apte à vivre auprès de sa petite-fille, Impératrice à son tour.
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