Chapitre 11.5
11.5
Le Journal : "Il était une fois..."
Dimanche 21 mars 2010, hôpital de Lake Town.
C'est Mr Grace qui m'a demandé de tenir ce journal.
« Pour mieux apprendre à te connaître », il a dit. Je sais pas quoi écrire dedans. Ça fait un peu plus d'un mois que je suis à l'hôpital et un peu moins d'une semaine que Mr Grace a accepté de m'adopter. C'est fou ce que j'ai du mal à écrire. Mon bras gauche va un peu mieux mais il est toujours plâtré. Et ma jambe droite... le chirurgien était super en colère quand il a vu l'état dans lequel j'étais après ma sortie du lit. On a dû me refaire une opération pour réparer les dégâts que j'avais causés en marchant. Je me sens un peu mal à propos de ça. Je sais pas qui va payer, mais les frais doivent être énormes !
Je me sens un petit peu mieux maintenant. Le premier mois a été horrible et j'avais la sensation que la vie ne serait plus jamais la même. J'ai toujours l'impression d'être misérable et je sais que ce que j'ai fait restera à jamais ancré en moi comme une vilaine cicatrice. Je n'ai pas connu Alison et ses deux filles, mais parfois je m'imagine parler avec elles, essayer de leur demander pardon, de leur expliquer que je ferais de mon mieux pour me racheter après ce que je leur ai fait.
Sofia, la femme de Philip, me rend parfois visite pour savoir comment je vais. Elle est gentille. C'est la première fois qu'une femme est aussi soucieuse de mon cas. Je l'apprécie. Son mari aussi. C'est l'avocat de Mr Grace et, avec l'aide des services sociaux, ils ont fait une demande auprès du tribunal pour que Mark puisse m'adopter. Je ne sais pas trop par quel miracle ils ont réussi, mais le juge a accepté.
Enfin, je suis heureux d'une certaine manière. Personne n'a jamais vraiment fait attention à moi et on peut pas vraiment dire que ce soit le cas pour Mr Grace, mais le fait qu'il m'ait accepté malgré ce que je lui ai fait est une preuve qu'il n'est pas vraiment méchant. Enfin, j'espère.
Voilà, j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois juste pour écrire ceci car mon bras me fait mal. J'ai pas envie d'en dire plus pour l'instant (et je sais surtout pas quoi dire).
Mardi 23 mars 2010, hôpital de Lake Town.
Mr Grace m'a grondé (pas trop méchamment, mais je me sens encore mal...) car j'ai rien marqué dans le carnet hier. Il m'a dit que je devais surtout raconter ma vie avant l'accident au lieu d'écrire ce qui me passait par la tête, mais ça me plaît pas trop. Par quoi je devrais commencer ? Il y a trop de choses à dire ! Et mon passé est nul donc j'ai pas très envie.
Mercredi 24 mars 2010, hôpital de Lake Town.
« Il était une fois... »
Quand je lui ai dit que je savais pas comment commencer à raconter mon passé, Mr Grace m'a regardé fixement et m'a dit « Tu n'as qu'à commencer par 'Il était une fois un garçon appelé Zachary Gibson...' et tu fais la suite ». Sauf que rien que ça, ça va pas, parce que je remets en question mon identité.
J'ai vécu la première partie de ma vie à l'orphelinat catholique de Lake Town. Je devais avoir deux mois tout au plus (c'est ce qu'ont dit les médecins qui m'ont ausculté) quand j'ai été abandonné. Par qui ? allez savoir. Ma mère, je suppose. La Mère supérieure de l'orphelinat m'a retrouvé sur les marches de l'accueil, dans une boîte à chaussures. C'est humiliant. C'était le début du mois de février, en 1998. Comme on ne savait pas ma date de naissance exacte, on a dit que j'étais né le 1er janvier de 1998. Même le jour de ma naissance a été décidé au pif ! La seule chose que je portais sur moi était un pyjama. Et autre chose. Un petit bout de papier glissé à côté de moi. Il y avait juste marqué « Zachary » dessus. La Mère supérieure pensait que ma mère avait choisi ce prénom pour moi. Ça me révolte, ça me donne envie de vomir ! De quel droit une personne aussi lâche au point d'abandonner son propre enfant pourrait-elle prendre une telle décision ?! J'aurais dû avoir le choix de mon prénom. Je préfère qu'on m'appelle « Zach » et je me présente toujours ainsi lorsqu'on me demande qui je suis. « Zach ». Tout simplement. Mon nom aussi a été choisi de manière stupide. C'était le nom de la marque de chaussures inscrite sur le carton dans lequel j’étais. « Gibson ». Je m'appelle « Prénom-donné-par-une-mère-inconnue Nom-d'une-marque-de-chaussures ».
J'ai tellement la rage à propos de cette histoire que je dois lutter contre les larmes. Si vous arrivez à me lire, Mr Grace, bravo car ma main tremble de colère.
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