Chapitre 18.5
18.5
Le Journal : "Douleur"
Vendredi 9 Avril, hôpital de Lake Town.
Repenser à la famille de Mr Grace et à Raylen m'a ramené à la réalité. Je sais pas comment expliquer ce qui m'arrive. Il y a des fois où je peux manger mon repas sans penser à rien en ayant presque du plaisir mais, à d'autres moments de la journée, comme ce matin, je revois cette silhouette éclairée par les phares de la voiture, je me rappelle la secousse et je me souviens du muret qui arrivait à toute allure sur nous. Quand les souvenirs reviennent, une boule d'angoisse se bloque dans ma gorge et les larmes coulent sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Ça fait tellement mal !
Je sais que ma douleur n'est rien à côté de celle de Mr Grace. Il aimait sa femme énormément et il m'a dit que ses deux filles étaient les joyaux de sa vie. Et c'est moi qui les ai tuées. J'ai aussi tué le seul ami que j’ai jamais eu. Raylen me manque. C’est pas de partager un joint avec lui ou de boire des bières ensemble qui me manquent. C'est son rire, sa voix, ses tapes amicales sur mon épaule, ses coups d’œil complices en classe, la musique qu'on écoutait tous les deux. Je veux le revoir. Lui dire que je suis désolé et que je donnerai n'importe quoi pour que ce soit lui qui vive et pas moi.
Lundi 12 Avril.
Les médecins disent que mon état s'améliore. Je vois pas en quoi. Ma commotion cérébrale est guérie depuis un moment, mais il m'arrive encore d'avoir des migraines qui me clouent au lit dans le noir et le silence. Mon bras gauche est toujours dans une écharpe et les chirurgiens m'ont annoncé que je devais encore subir plusieurs opérations avant d'espérer m'en resservir. La double fracture que j'avais à la jambe droite est en voie de guérison et les médecins ont décidé d'opérer encore et de poser des broches avant de me refaire porter un plâtre. J'ai pas compris grand-chose à leurs explications, pour être honnête. Tout ce que je sais, c'est que mon hospitalisation a déjà engendré des coûts monstrueux et que j'ignore qui va payer. Karen est passée me voir ce week-end. C'était la première fois depuis l'accident. Pas un bonjour, pas un sourire, pas un coup d’œil. Elle est sortie de ma chambre aussi vite qu'elle est rentrée. Dans le couloir, je l'ai entendue crier à une infirmière que je l'avais insultée et menacée d'un couteau. Sale menteuse ! Tout ce que j'avais eu le temps de faire, c'était de remarquer qu'elle sentait le tabac et qu'elle s'était teint les cheveux en brun. Un médecin est arrivé dans ma chambre et m'a demandé pourquoi je m'en étais pris à Karen. Je n'ai jamais été particulièrement attaché à elle, mais ça m'a quand même fait mal qu'elle m'accuse à tort comme ça. Je ne lui avais rien fait ! J'ai compris qu'après pourquoi elle se comportait comme ça et pourquoi elle disait à qui voulait bien l'entendre que j'avais été horrible avec elle pendant les mois où j'avais vécu dans son petit appartement. Déjà que je n'avais pas une très bonne réputation auprès du personnel médical et auprès de la population de Daree, où habitent les Grace et les Daniels, Karen a fini de me faire passer pour un monstre sans cœur.
Avant-hier, quand elle est passée, je l'ai entendue dire à Philip Daniels (qui était venu me voir) que j'étais un garçon désobéissant, irresponsable et chaotique. Je sais que c'est en partie vrai, mais j'ai jamais été irrespectueux envers elle et j'ai toujours obéi quand elle me demandait quelque chose ! Je la déteste. Elle, ses cheveux puant la teinture, ses bottes en plastique et son patron infidèle ! Ce sont eux qui auraient dû mourir, pas Alison Grace et ses filles, pas mon ami.
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