Chapitre 20

4 minutes de lecture

20

Quelques mots

Je le sens désespéré dans son étreinte brusque et possessive. Je fais un pas en arrière pour compenser l'élan avec lequel il s'est jeté dans ma chambre. Le chaume de ses joues me chatouille et son souffle envoie des frissons dans ma nuque. Doucement, je remonte les mains le long de ses flancs et les pose dans son dos. A-t-il maigri depuis quelques temps ?

– Oh, Zach, finit-il par lâcher dans un souffle.

Son ton est incertain, sa voix tremblante, sa respiration courte et ses bras agités de soubresauts. Alors que je regarde sans savoir quoi faire le mur en face de moi, je me rends compte qu'il me serre contre lui. C'est l’une des rares fois depuis que je le connais. Un hoquet de douleur fait rebondir ma poitrine. Avec une horrible impression de faiblesse, j'enfouis la tête dans son épaule.

Sa main se pose gentiment à l'arrière de mon crâne. Je ne me suis jamais senti aussi protégé.

– Si j'avais su, murmure-t-il d'un ton étranglé en me berçant presque contre lui. Mon garçon... Je suis tellement désolé. Alison me foutrait des baffes si elle était là.

– Mark, je gémis comme un môme. Je ne veux pas te perdre.

Un rire étranglé s'échappe de ses lèvres.

– J'ai bien compris, mon garçon. Tu me ressembles plus que je ne voudrais jamais l'avouer. Il est vrai que mon sang ne coule pas dans tes veines, mais je ne doute plus du fait que je t'ai modelé en partie. (Il desserre son étreinte sans enlever sa main à l'arrière de mon crâne.) J'ai eu l'orgueil de me vanter d'avoir élevé un enfant sans m'imaginer un instant que cet enfant puisse m'aimer. J'ai été un abruti. Et tu m'en vois profondément désolé.

Comme si je lui en voulais ! C'est plutôt moi qui suis incapable de m'imaginer qu'il puisse... m'aimer ? Cette fois, les larmes me piquent les yeux et je serre fort les paupières dans l'espoir de les retenir. Jamais personne ne m'a aimé. Enfin, à part Raylen. Mais l'amour que j'ai toujours cherché à obtenir, ce n'est pas d'abord celui de l'amitié, mais celui d'un parent. C'est ce qu'un enfant souhaite à tout prix, non ?


– Je n'aurais jamais cru que tu puisses m'aimer ou m'admirer, Zach, reprend calmement Mark. J'ai été horrible avec toi ces cinq dernières années. Je ne t'ai pas mieux traité que tes autres parents adoptifs. Je t'ai crié dessus, insulté, j'ai même levé la main sur toi... À quel point étais-tu en manque d'amour pour éprouver quelque chose pour moi ?

– Tu m'enlèves les mots de la bouche, rétorqué-je d'une voix chevrotante. Comment peux-tu apprécier un sale gamin comme moi ? (Je m'arrache à son étreinte, le laissant pantois.) J'ai brisé ta vie !

Silencieux, Mark secoue la tête puis prend mon visage dans ses mains pour que je le regarde fixement. Ses yeux sombres me sondent comme ils l'ont toujours fait, mais je ne peux m'empêcher de me raidir.

– Et tu l'as reconstruite petit à petit, brique par brique, émotion par émotion. À cause de toi, j'ai oublié ce qu'était l'amour, la tendresse, la confiance, le respect, le sentiment de sécurité. J'ai connu la solitude, le désespoir, la douleur, la tristesse dans son état le plus déchirant et la sensation d'être au fond du trou. J'ai eu envie de mourir, de disparaître, de rejoindre mon épouse et mes petites filles.

Je baisse les yeux en enfonçant mes ongles dans mes paumes pour que la douleur me maintienne ancré dans la réalité. Sa peine est tellement palpable ! Et la mienne si étouffante...

– Zachary, souffle-t-il en remontant mon menton. Regarde-moi, je t'en prie.

Par respect pour lui et parce que je veux savoir ce qu'il a à me dire dans ces derniers instants, je relève les yeux vers son visage déformé par le chagrin, les remords et la honte. Soudain, une certaine reconnaissance apaise ses traits.

– Mais tu m'as appris à aimer à nouveau, mon garçon. Tu m'as redonné le sentiment d'être responsable de quelqu'un et pas seulement de moi. J'ai redécouvert ce qu'était mener une vie normale, d'éprouver des sentiments forts, qu'ils soient agréables ou pas, de savoir que quelqu'un m'attendait quand je rentrais du travail après une longue journée.

Il se tait et prend une longue inspiration. L’appréhension me serre le cœur.

– Peut-être n'osais-je pas avouer que j'éprouvais de l'amour pour la personne qui m'a brisé avant de me reconstruire. (Il plonge ses yeux dans les miens. Un mélange de peur, de gêne et de honte habite son regard intense.) Je veux que tu saches que je t'aime, Zachary. Je sais que je ne te l'ai jamais montré et je m'en rends moi-même compte que bien tard, mais je t'aime.

Se rend-t-il compte de ce qu'il m'offre ? A-t-il conscience qu'avec ces trois mots, il m'a donné plus que l'on ne m'a jamais donné ? Oh, Mark !

Moi aussi, je t'aime, bon sang.


Quelques minutes plus tard, ou peut-être plusieurs heures ou toute une éternité, je suis allongé dans un sentiment de douceur et de réconfort comme je n'en ai jamais connu.

J'ai presque l'impression que ma mère me berce dans ses bras sous le regard bienveillant de mon père.

Non, je n'ai ni mère, ni père.

Juste Mark. Fondamentalement, il n'est ni l'un, ni l'autre. Je m'en fous. C'est pas important. Lui, contrairement à mes parents biologiques, il a été là. Pas toujours là, non, mais là quand même.

Il m'a élevé par les coups, par le sang, par les mots, mais, aussi, et je le sais, par l'amour.

Mark a raison : il m'a modelé. Comme il veut que je sois. Comme un homme bon, juste, honnête, qui pense par lui-même et agit de la manière qui lui semble correcte.

Et je veux être ainsi. C'est une promesse, Mark : je deviendrai quelqu'un dont tu seras fier.

Annotations

Vous aimez lire Co "louji" Lazulys ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0