Chapitre 32
32
Infirmerie
Juste derrière la professeure, Nick marche d’un pas déterminé. Quelques mètres plus loin, Dante et moi, bras dessus-dessous, les suivons tant bien que mal. Ma tête est lourde et mon ventre palpite de douleur.
Deux minutes plus tard, nous sommes à l’infirmerie. Comme il est encore tôt, personne n’est là. Mme Hoover nous ordonne de nous installer chacun sur un lit et d’attendre le personnel médical.
C’est donc dans un silence tendu que nous regardons les minutes défiler sur l’horloge. Mme Hoover reste près de l’entrée au cas où l’un de nous déciderait d’en finir.
– Déjà de bon matin ! s’exclame une nouvelle voix.
C’est l’infirmière : la quarantaine, des cheveux frisés, la silhouette raide. Mme Meyer nous observe tous les trois un moment puis discute avec Mme Hoover dans le couloir. Je n’entends pas leurs paroles, mais je ne doute pas que l’infirmière essaie de savoir pourquoi trois adolescents se retrouvent à l’infirmerie avant même la première sonnerie.
Finalement, après deux longues minutes, Mme Hoover nous souhaite bonne journée et s’en va. Mme Meyer ferme à moitié la porte de l’infirmerie puis se poste devant nous en nous toisant sévèrement.
– Je peux savoir ce qui s’est passé ?
– Une petite bagarre entre camarades, madame, répond Nick avec un sourire suffisant. Rien d’autre.
– Mr Johnson, ce n’est pas la première fois que vous venez ici… Mais, cette fois, j’ai l’impression que ce n’est pas parce que vous avez reçu un coup pendant un match. Pourquoi vous vous êtes battus, tous les trois ?
– Nick et moi, on avait juste une petite altercation, explique Dante avec un sourire grimaçant. Zachary est intervenu pour nous séparer, mais ça s’est mal terminé.
L’air peu convaincue par ces explications, Mme Meyer nous dévisage un instant puis soupire.
– Vous savez quoi ? je m’en fiche. Mon boulot, c’est de vous réparer. Vous donnerez vos explications stupides à Mr Harrys.
Génial. Le directeur va être ravi de me voir à nouveau dans son bureau.
Mme Meyer commence par Dante, qui est sévèrement touché au visage. Quand elle en a fini avec lui, il a trois points de suture à la tempe, un œil au beurre noir et les lèvres boursouflées.
– À vous deux, maintenant, marmonne-t-elle en se tournant vers Nick et moi.
– Je me sens bien, maugrée le footballer d’un air mécontent. J’ai pas envie de louper les cours.
– Vous allez quand même me laisser vous examiner et on verra après.
Tout en râlant, Nick enlève son haut pour révéler un torse musclé. Et une marque rouge au niveau du sternum. Malgré moi, je sens une pointe de fierté monter.
– Pas de douleurs ? demande Mme Meyer en palpant sa poitrine.
– Un peu. Mais ça passe.
– Bien. Et le visage ?
– Vous savez, un coup de poing fait pas plus mal qu’une chaussure à crampons dans la gueule.
– J’en doute pas, marmonne l’infirmière avant d’entreprendre le nettoyage d’une plaie sur la joue gauche de Nick.
Une fois son travail terminé, elle l’autorise à se rhabiller et lui conseille de ne pas s’entraîner pendant une semaine. J’ai quand même réussi à lui écorcher la pommette gauche et à lui fendre la lèvre.
– À vous, déclare soudain l’infirmière en se tournant vers moi.
Je lui jette un regard noir pour essayer de la dissuader de s’occuper de moi, mais elle se contente d’esquisser un sourire torve en enfilant de gants en caoutchouc neufs.
– Vous ne me faites pas peur, jeune homme. Allez, on enlève le haut.
Agacé, je me contente de lui tendre mes mains aux jointures abîmées.
– Juste un peu de désinfectant là-dessus et je pourrai de nouveau écrire. C’est tout ce dont j’ai besoin, Mme Meyer.
Elle me fixe en silence puis plisse les yeux, l’air mauvais.
– Votre nom ?
Je le lui donne.
– Bien, Mr Gibson. J’ai un boulot ici : celui de soigner les élèves. Alors vous allez me laisser faire mon job.
– Et le mien, c’est de travailler, rétorqué-je, borné. Et je perds du temps à l’infirmerie.
– Vous avez vu votre tête ? Vous pensez vraiment que vos profs vous vont laisser rentrer dans leur classe ?
Cette fois, je baisse les yeux car je ne peux y rétorquer. Visiblement satisfaite, Mme Meyer va chercher du coton, des pansements et du désinfectant. Pendant ce temps, Nick s’en va en souhaitant bonne journée à l’infirmière. Elle ne le retient pas. Quant à moi, je commence par enlever ma veste puis mon t-shirt à manches longues. Ma peau semble blafarde à la lumière crue de l’infirmerie.
– C’était pas compliqué, grommelle l’infirmière en se tournant vers moi.
Son regard s’attarde sur ma poitrine et mes flancs. Gêné, je replie les bras sur mon torse.
– Vous avez eu un accident, Mr Gibson ? demande l’infirmière d’un ton informel.
– Oui. D’où les cicatrices.
D’où ma répugnance à me déshabiller. Je ne veux pas en parler avec elle. Et pas devant Dante, dont je sens le regard posé sur moi.
– On peut passer à autre chose ? grommelé-je d’une voix irritée.
– Vous avez des traces d’hématomes sur les flancs, remarque-t-elle en s’approchant. Et des rougeurs récentes.
Comme d’anciens coups de batte et un récent coup de pied dans les côtes.
D’une main experte, elle palpe mon crâne. Je grimace quand elle touche ma tempe droite. C’est ici que Nick a dû me frapper pour me désorienter.
– Il n’y a pas l’air d’avoir de fractures. Vous avez reçu d’autres coups ?
– Dans le ventre. (Avec humilité, j’admets :) Ça fait un mal de chien.
– Je vous donnerai des analgésiques (Elle commence à s’occuper de mes jointures.) S’il y a des traces de sang dans votre urine dans les prochains jours, revenez me voir.
J’acquiesce en silence. Dante, toujours installé dans le lit d’à côté, nous observe sans rien dire.
– C’est bon, soupire Mme Meyer en me rendant mes mains. Mr Gibson, si vous tenez tant que ça à retourner en cours, libre à vous. Mr McKinney, en revanche, je vais appeler vos parents pour qu’ils viennent vous chercher.
– Quoi ? lâche celui-ci d’un air accablé. Non, pas la peine !
– Si, je vous assure.
L’infirmière sort de la pièce pour contacter les parents de Dante. Ce dernier a les traits affaissés et un vide dans les yeux.
– Ça te dérange à ce point ? soufflé-je en me rhabillant.
– Oui, répond-t-il d’un ton sec.
Il n’a pas l’air de vouloir en parler. Je n’insiste pas.
Au bout de quelques minutes, je me sens assez en forme pour aller en cours. Alors que je m’apprête à franchir l’entrée de l’infirmerie, Dante s’exclame :
– Attends ! (D’un regard inquisiteur, je l’invite à poursuivre :) Ça ne te dérange pas de rester avec moi jusqu’à ce que ma mère arrive ?
– Non, je réponds, un peu étonné. Tu es sûr et certain que c’est elle qui va venir ?
– Comment ça ?
– Mme Meyer a dit qu’elle appellerait tes parents et toi tu as dit « ma mère ».
Muet, Dante me dévisage un instant puis éclate de rire. Le voir faire allège la chape de plomb qui recouvre mes épaules depuis que je me suis battu avec Nick.
– Zach, tu es toujours aussi bizarre.
Ne sachant comment le prendre, je me renfrogne.
– Il me semblait déjà qu’à l’époque tu faisais attention à des détails débiles, mais, qu’au final, tu étais aveugle aux choses importantes.
Cette fois, je réajuste mon sac sur mon épaule et grommelle :
– Je crois que je vais aller en cours.
– Arrête, ne va pas me faire croire que tu es vexé, s’esclaffe Dante avant de redevenir sérieux. Ce n’est pas ton genre. Et tu sais que je dis la vérité.
Soutenant son regard intense, je cherche mentalement une pique à rétorquer, mais je n’en ai pas sous la langue. Je soupire, retourne m’asseoir sur un lit inoccupé et attends en silence l’arrivée de la mère de Dante.
Une vingtaine de minutes plus tard, une petite silhouette menue passe à toute vitesse devant moi et se dirige vers Dante.
– Mon cœur !
La femme qui vient d’arriver saute au cou de Dante, qui grimace de douleur. Avant qu’aucun de nous deux n’ait le temps de réagir, elle s’exclame d’une voix explosive :
– Je me demandais pourquoi tu n’étais plus à l’appartement quand j’ai proposé à Jess de vous emmener… Et regarde où je te retrouve ! À l’infirmerie et tout amoché. Tu peux m’expliquer ce qui s’est passé, Dante ? Tu crois que ça me fait plaisir de recevoir un appel du lycée, alors que je venais de déposer ta sœur à l’entrée, en me rongeant les sangs pour toi ?
Sans laisser le temps à son fils de répondre, elle se tourne vivement vers moi, ses yeux noisette, si semblables à ceux de Jessica, luisant de colère, et crache à mon intention :
– C’est lui qui s’en est pris à toi ? (Dante ouvre la bouche, mais ses mots sont étouffés par la voix criarde de la femme.) Il va le payer ! Je n’ai pas inscrit mon fils dans un lycée privé pour qu’il se fasse tabasser par des ordures homophobes.
Perdu, je la regarde s’égosiller en faisant de grands gestes.
Pour une première rencontre avec la mère des jumeaux, cela commence mal.
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