Chapitre 34

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34

Rencontre

J’aurais souhaité que l’altercation entre Nick, Dante et moi reste secrète, mais ce n’est malheureusement pas le cas.

À la fin de ma première heure, Lily Rose et Jessica me sautent presque dessus pour savoir ce qui s’est passé. Elles me parlent toutes les deux en même temps, d’une voix rapide et inquiète, si bien que je n’ai pas le temps de répondre à aucune des questions qu’elles enchaînent l’une après l’autre.

Néanmoins, c’est Jessica qui l’emporte en m’agrippant par le col et en plantant un regard déterminé dans le mien.

– Qui est le salaud qui s’en est pris à mon frère ? Pourquoi il l’a frappé ? (Lily Rose pose une main sur son épaule pour la calmer, mais Jessica se dérobe et me plaque avec férocité contre le mur.) Tu l’as défendu, au moins ? Tu connaissais le type qui l’a agressé ?

Je ne peux m’empêcher d’admirer les nuances de noisette dans ses yeux, la courbe de ses lèvres, ses longues mèches de cheveux rouge qui descendent sur ses épaules.

Je cligne des yeux pour revenir à mes esprits. Qu’est-ce qui m’arrive ? Ce n’est pas la première fois que je regarde une fille un peu plus longuement que la politesse ne le permet, mais c’est vrai que j’ai rarement eu l’occasion d’être aussi proche de l’une d’elles.

– Zachary, tu m’écoutes ? gronde-t-elle de sa voix naturellement un peu grave, mais que je trouve parfaitement sensuelle.

– O-Oui, bredouillé-je en baissant les yeux, honteux.

– Alors réponds à mes questions.

Sentant son souffle tiède contre la peau nue de mon cou, le frôlement de ses cheveux contre mes bras et la proximité de sa poitrine, j’essaie de m’écarter, mais elle me maintient en place avec une poigne de fer.

– Tu l’as pas défendu, c’est ça ? siffle-t-elle en élevant la voix.

– Jessica, arrête, intervient Lily avec son calme naturel. Il ne serait pas blessé s’il n’avait pas défendu Dante. S’il essaie de s’éloigner, c’est parce que votre proximité le gêne.

Une génie cette fille, je te le dis.

Lui adressant un regard plein de reconnaissance, je m’éloigne un peu de Jessica, qui me surveille d’un air farouche. À sentir mes joues chaudes, je ne doute pas que je suis rouge comme une tomate.

– Alors ? marmonne Jessica en croisant les bras.

– C’est Nick, un membre du club de football, qui l’a attaqué, expliqué-je en reprenant le contrôle de ma voix. J’étais en train de prendre mes affaires quand j’ai entendu des cris. Je suis allé voir et je l’ai trouvé en train de s’en prendre à Dante. (Je soutiens le regard perçant de Jessica.) Alors je suis intervenu pour arrêter la bagarre. Comme peut en témoigner cette bosse, j’ajoute en portant une main à ma tempe douloureuse.

Une lueur d’inquiétude s’allume dans les yeux verts de Lily.

Jessica me dévisage puis laisse toute trace de colère s’effacer de son visage.

– Je suis désolée de t’avoir crié dessus, souffle-t-elle en s’approchant de moi. Merci d’avoir pris la défense de mon frère. (Elle secoue la tête.) Cet imbécile ne ferait pas de mal à une mouche. Même si cette mouche lui tourne autour de la tête depuis deux heures en faisant « bzz bzz ».

Malgré moi, sa comparaison m’arrache un sourire. En me voyant faire, son expression se détend un peu plus et elle me rend mon sourire. Son charmant visage s’en retrouve illuminé.

Le cœur battant, je regarde ailleurs.

Lily Rose me sort de cette situation gênante.

– Jess, on va être en retard.

– Ouais, tu as raison ! s’exclame l’intéressée après un coup d’œil à sa montre. Bon, on y va. À plus ! Et merci encore pour Dante.

– De rien, c’est normal, répliqué-je en secouant les mains.

– On se retrouve pour le déjeuner ? me propose Lily avec un sourire amical.

– Oui, ça me dit bien.

Les filles m’adressent un salut de la main puis s’en vont. Je relâche mon souffle, une tension dans la poitrine.

Il faut aussi que je fasse le point sur mes sentiments.


Le déjeuner avec les filles se fait sans accroches. Je leur explique en détail ce qui s’est passé ce matin. Lily Rose s’enquiert de mon état, mais j’ai vite fait de la rassurer. Quant à Jessica, savoir Dante au chaud à leur maison l’apaise.

L’après-midi se déroule plutôt rapidement. Je retrouve Jessica et Lily à la sortie des cours puis nous prenons le chemin de l’arrêt de bus ensemble.

Jessica habitant encore sur Lake Town, elle prend un car différent du nôtre. Elle serre Lily Rose dans ses bras pour la saluer – la facilité avec laquelle les filles se font des câlins me laissera toujours perplexe – puis se tourne vers moi.

– Merci d’être intervenu pour défendre mon frère, ce matin, souffle-t-elle en s’approchant.

– Tu n’as pas à me remercier pour ça, Jess, la contredis-je en secouant la tête.

L’ombre d’un sourire apparaît sur ses lèvres charnues.

– Tu te décides enfin à m’appeler « Jess ».

– Hein ? Oh ! Euh… désolé.

Je me tais car je ne suis capable que de bafouiller, à ma grande honte.

– Je te pardonne, s’esclaffe-t-elle avant de se pencher vers moi.

Raide comme un bout de bois, je la dévisage, mais ne l’arrête pas quand elle dépose un baiser sur ma joue.

Ce simple contact fait bondir mon cœur contre mes côtes et frissonner la peau de mon cou.

– C’est pour mon frère, souffle Jessica en se reculant.

Et, d’un mouvement des talons, elle s’en va, son épaisse chevelure rouge rebondissant sur ses épaules.

Un petit silence puis Lily Rose pouffe.

– Qu’est-ce qu’il y a ? grommelé-je à son attention.

– Rien, t’es adorable. Tu viens ?

Agacé, je la suis jusqu’à l’arrêt.

Lily Rose prend rarement le bus alors ça me fait plaisir de m’asseoir à côté d’elle pour rentrer à la maison. Nous sommes vers le milieu, là où je me sens le plus à l’aise. Lily est du côté de la fenêtre. Une mèche blonde en travers des yeux, elle regarde le paysage défiler.

– C’est vraiment fini entre Anthony et toi ? demandé-je sans préambule.

Je la sens se raidir à côté de moi. Gêné, je m’en veux aussitôt.

– Depuis qu’il a eu un coup de sang à l’hôpital, nous nous ne sommes pas revus, finit-elle par avouer d’une petite voix.

– Mais… il te manque, non ?

– Évidemment, soupire Lily Rose en repoussant sa mèche de cheveux. Je l’aimais, moi. Pour lui, je suis loin d’en être sûre.

– Il ne te mérite pas, grogné-je en serrant les dents.

– Tu exagères, Zach, je ne suis pas une fille si bien que ça.

– Tu te trompes. Tu es l’une des meilleures personnes que je connaisse.

Du coin de l’œil, je la vois se détourner, légèrement gênée. C’est à mon tour de sourire : j’ai pris ma revanche !

Lily Rose descend un arrêt avant moi. Elle m’embrasse sur la joue, me souhaite une bonne fin de journée puis s’en va. Je la regarde s’éloigner dans le froid à travers la fenêtre. J’espère ne jamais la perdre.

Cette fille est bien trop précieuse.


Les yeux baissés sur la chaussée, à quelques mètres seulement de la maison, quelqu’un me bouscule.

Emporté en arrière, je fais quelques pas pour conserver mon équilibre tandis que la personne dans laquelle je suis rentré pousse un petit cri de surprise en faisant tomber ce qu’elle tenait à la main.

C’est-à-dire un journal et un appareil photo. Mon cerveau a à peine le temps d’enregistrer qu’il s’agit d’une femme entre deux âges que je plonge par terre pour ramasser les objets tout en me confondant en excuse.

– C’est pas grave, me rassure l’inconnue en récupérant ses biens, que je lui tends.

– Encore navré, murmuré-je en gardant les yeux baissés.

– Pas de soucis, je te dis, souffle-t-elle en me dévisageant.

Son regard devient tellement insistant que je me relève, mal à l’aise.

– Tu habites dans le coin ? s’enquiert la femme sans me quitter des yeux.

– Oui, acquiescé-je tout en lui faisant comprendre que je ne veux pas m’éterniser.

– Très bien. Et… (Comprenant que son regard insistant me gêne, elle le détourne vers une maison quelconque.) Euh, tu connais un peu le coin ?

– Ben… oui, je réponds, décontenancé par sa demande.

Je jette un coup d’œil à son appareil photo puis à son journal.

– Vous venez visiter ? Il n’y a pas grand-chose à voir…

– Oh ! Non, pas vraiment, s’esclaffe la femme d’un rire agréable. Je suis journaliste. Je travaille pour un petit journal local à Denver. Ma rubrique concerne le tourisme régional. On m’a demandé d’aller à Lake Town car il paraît que le lac vaut le détour.

En effet, Lake Town ne s’appelle pas la ville du lac pour rien. J’ai déjà eu l’occasion de voir celui-ci et il faut avouer qu’il est plutôt pas mal. Il y a un coin spécial pour les pêcheurs, une entreprise qui loue des canoës et des pédalos, des maisons en bois le long du lac…

– Enfin, je me suis trompée de ville, avoue la femme en m’adressant un sourire contrit.

Je le lui rends car il me met étrangement à l’aise.

– Vous êtes à Daree, une commune voisine de Lake Town.

– J’en étais sûre que j’aurais dû prendre le bus d’à côté, marmonne-t-elle pour elle-même.

Soudain, elle me tend son bras libre. Elle a une main de pianiste, grande et fine. Un peu comme les miennes.

– Elena Dent. Comme je te l’ai dit, je suis journaliste.

– Zachary Gibson, je lui annonce en lui rendant sa poignée de main. Banal lycéen.

Un petit rire s’échappe de ses lèvres puis elle récupère son bras pour farfouiller dans une des poches de son veston en cuir. Finalement, elle en sort une carte de visite, qu’elle me tend.

– Prends-la, ça me ferait plaisir. Je ne connais personne ici. (Elle me fait un clin d’œil complice.) Si jamais je suis complètement perdue, je t’appellerai.

– Euh… OK, accepté-je en prenant la petite carte.

La femme me sourit, chasse ses boucles noires de son visage d’un mouvement de tête, puis s’en va en faisant claquer les talons de ses bottes sombres sur le sol.

Une minute plus tard, je suis sur le parvis de la maison. Tandis que ma main fouille mon sac à la recherche des clefs, je relève la tête vers la rue et reconnais l’inconnue à une cinquantaine de mètres. Tournée vers moi, en train de m’observer. Je me fige, surpris.

Quand elle remarque que je l’ai découverte, elle se retourne et s’en va d’un pas rapide.

Étrange.

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