Chapitre 37
37
Accusations
Je ne sais plus exactement à quel moment, mais j’ai fini par me séparer de Lily Rose. Le conflit avec Anthony m’a coupé l’appétit. Isolé dans un recoin du cybercafé d’à côté, je suis resté plongé dans mes pensées sans rien faire.
Lily Rose sait tout. Tout ce que j’ai essayé de cacher depuis le début du lycée. Les insultes d’Anthony à la sortie des cours. Ses coups de poing contre mon visage, ses coups de pieds dans mon dos, ses sales petits tours quotidiens pour me rappeler le crime que j’ai commis.
Je pensais pourtant avoir caché les bleus, effacé la peur et la tristesse de mon visage.
Que dois-je faire, à présent ? Comment Mark réagira-t-il devant le fait accompli ? Car il sait que j’ai été harcelé au lycée. Il le sait.
Et il y a un responsable à tout cela : Dante. Il a cafté.
Comme si rien ne s’était passé, je retourne en cours l’après-midi. On chuchote dans mon dos et on s’écarte encore plus que d’habitude sur mon passage.
Néanmoins, je finis par me noyer dans l’anonymat d’une foule d’élèves pressés de rentrer chez eux en ce début de week-end. Les rires, les complaintes, m’entourent. Au lieu de calmer la flamme qui brûle en moi, cette banalité qui m’est interdite ne fait que raviver ma colère.
Je reconnais la tignasse ébouriffée de Dante à une vingtaine de mètres de la sortie. Adossé contre le mur d’enceinte, il grignote des biscuits en discutant avec deux garçons que je ne connais pas. Je presse alors le pas dans sa direction. Dès qu’il m’aperçoit, il se redresse en cessant de manger. Ma colère doit être palpable.
– Zach… commence Dante avec un petit sourire.
– Tais-toi ! le coupé-je brutalement en me campant devant lui.
Son visage pâlit et j’entends les deux camarades avec lesquels il discutait s’en aller.
– Pourquoi ?
Ma voix est un souffle de glace.
– Pourquoi quoi ? murmure-t-il, visiblement tendu.
– Pourquoi tu as tout raconté à Lily Rose ? susurré-je en me penchant vers lui.
– Zach…
– Dis-moi pourquoi ! crié-je en le saisissant par le col. Tu es qui pour te permette d’exposer ma vie ainsi ?
– Je suis ton ami ! rétorque Dante en agrippant mon poignet. Tu as fait la promesse de me protéger et le minimum est que je fasse pareil pour toi.
– Je suis assez grand pour me défendre seul, Dante, déclaré-je avec véhémence en le plaquant contre le mur.
Il grimace quand son dos rencontre brutalement la surface dure. J’ai oublié à quel point il est maigrelet. Et la force que je possède quand je veux.
– Zachary, souffle Dante en me dévisageant. Je voulais juste t’aider. En parler à Lily Rose me semblait la meilleure chose à faire. C’est celle qui te connaît le mieux. J’ai pensé qu’elle pourrait… t’aider ou je ne sais pas…
– Tu ne sais pas. Exactement. (Je le lâche puis recule de quelques pas en ruminant mes idées noires.) Tu n’es qu’un pauvre imbécile ignorant !
– T’as pas le droit de dire ça, réplique Dante avec une douleur dans la voix qui me serre le cœur.
Malheureusement pour lui, ma colère est plus forte que ma compassion à cet instant.
– Mais tu as ruiné ma vie, abruti ! hurlé-je en m’approchant à nouveau de lui.
– Arrêtez !
Dante et moi tournons la tête vers Lily Rose qui arrive en trottinant. Elle m’agrippe le bras et me force à reculer.
– Qu’est-ce qui te prend, Zachary ?
– Et à toi, qu’est-ce qui t’a pris ? je réplique d’un ton glacial en la foudroyant du regard. T’as trouvé ça amusant d’exposer ma vie privée à tout le lycée, tout à l’heure ?
– Quoi ? Non, Zach, tu te trompes.
– Non, je me trompe pas. (Je les observe à tour de rôle en les fusillant du regard.) À vous deux, vous avez ruiné le fragile équilibre que j’avais passé des années à établir !
À ces mots, ils blêmissent tous les deux. Mais Lily Rose a le courage d’affronter ma rancœur.
– Zach, si revenir deux soirs par semaine chez toi couvert de bleus, te faire insulter et moquer à longueur de journées par tes propres camarades, si te faire piéger dans des tours ridicules, est un équilibre pour toi, alors il y a un problème.
– Il y a toujours eu un problème avec moi, Lily, soufflé-je d’un ton glacial. N’oublie pas qui je suis et ce que j’ai fait.
– Tu es…
– Un assassin.
Le mot claque dans l’air de ma propre voix. Le silence qui suit prouve que rien ne peut changer cela.
– Et j’aurais aimé que la punition que recevait cet assassin reste secrète, j’ajoute en avançant à pas lents vers Dante.
– Je suis désolé si…
– Désolé ? tonné-je en le plaquant par les épaules. Tu te fous de moi ? Tu voudrais que je hurle à tous les autres que tu es homo ?!
Les yeux de Dante s’écarquillent d’horreur. Il baisse la tête, l’air déconfit, et ses épaules tombent. J’ai l’impression d’avoir cassé un objet fragile en le balançant par terre comme un gosse en train de pleurnicher.
– Je crois que tu viens de le faire, pauvre con.
Cette voix un peu grave me fait aussitôt relever la tête. Jessica se tient à quatre mètres de moi, son sac bandoulière contre la hanche, ses cheveux ramenés en arrière. Ses yeux flamboient.
– Tu n’es qu’un pauvre abruti, cingle-t-elle en s’avançant. Tu accuses mon frère de se prendre pour le régisseur de ta vie, mais tu es qui, toi aussi ?
Avec une force étonnante, elle me sépare de Dante, qui reste sans rien dire, le menton presque contre la poitrine. Alors je remarque les larmes qui roulent sur ses joues et toute la colère s’envole de mon cœur. Seuls restent l’amertume, la honte et un vide infini.
Des étoiles éclatent devant mes yeux quand Jessica me fout une gifle monumentale. Honnêtement, elle n’aurait rien à envier à Mark avec un don pareil.
Le coup est si fort que je titube de quelques pas, l’œil gauche fermé et la joue du même côté en feu.
– Jess ! crie Lily Rose. Qu’est-ce qui te prend ?
– Comment ça, ce qui me prend ? hurle-t-elle en écartant les bras. Cet enfoiré gueule sur mon frère, le menace et le violente et je devrais rester sans rien faire ?
– Mais c’était pas la peine de le gifler !
– Je crois qu’il en méritait bien une, au contraire.
Après quoi, elle crache à mes pieds et susurre d’une voix menaçante :
– Approche mon frère encore une fois et tu le regretteras. Tu ne mérites pas toute l’attention qu’a Dante pour toi. T’es qu’une ordure.
Elle prend, avec une délicatesse qui me rend presque jaloux, le bras de son frère pour l’éloigner de moi et ajoute en murmurant :
– En fin de compte, tu es peut-être le monstre que les autres t’accusent d’être.
Ce mot, je l’ai entendu des dizaines de fois, peut-être des centaines, mais il ne m’a jamais autant blessé que prononcé par Jessica.
Une fois les jumeaux partis, Lily Rose se tourne vers moi et tend la main pour me toucher, mais je recule. J’ai à nouveau peur du moindre contact.
– Zach…
Les mâchoires serrées, je secoue la tête puis m’en vais sans attendre Lily Rose.
Mais elle ne me suit pas.
Heureusement.
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