Chapitre 44
44
Pas à pas
Le lendemain, mon cœur est encore lourd de regrets et de questionnements en rapport avec ma mère. L’estomac noué, je ne mange que peu au petit-déjeuner et Mark marmonne en conséquence.
Même le 4x4 des Daniels arrêté devant chez moi pour m’amener au lycée avec Lily Rose ne suffit pas à me remonter le moral. Parfois, l’injustice de ce monde me semble trop lourde à supporter.
– Tu en fais, une tête, déclare Lily Rose en guise de salut lorsque je monte sur la banquette arrière. Ça ne va pas ?
– Un peu le moral dans les chaussettes, avoué-je d’un ton morose.
Devant son regard préoccupé, j’adresse un petit sourire à mon amie.
– Ne t’inquiète pas, ça va passer.
– Si tu le dis… marmonne-t-elle avant de se retourner sur son siège.
J’aurai clairement le droit à des tas de questions dès que nous serons sortis de la voiture. Autant profiter des minutes de répit qui me sont accordées pendant le trajet
Lily Rose s’abstient de me questionner jusqu’à ce qu’on arrive devant nos casiers. En silence, nous faisons chacun nos affaires. Vient finalement le moment où l’on se retrouve en tête-à-tête.
– J’ai rencontré une journaliste, commencé-je sans attendre qu’elle me pose une question. Elle était perdue à Daree et je l’ai aidée à trouver son chemin. Elle fait un reportage sur le lac.
– Oh, répond Lily, visiblement confuse. Et… votre rencontre s’est mal passée ?
– Non, ça va, la rassuré-je avec un haussement d’épaules. C’est juste que… Je sens que quelque chose nous lie.
Un masque de surprise se peint sur son visage. Comment lui expliquer mon ressenti ? Cette impression qu’Elena Dent ne m’est pas si étrangère. Comme si nous nous étions déjà rencontrés… ou que nous aurions déjà dû le faire.
– Tu penses que… commence Lily Rose avant d’être coupée par un « Salut ! » enjoué de Dante.
Voir les jumeaux allège un peu mon cœur. J’ai brutalement envie de quitter le lycée et de passer la journée avec eux et Lily. J’ai envie de m’amuser, de rire aux blagues foireuses de Dante, de m’émerveiller devant les dessins de Jess et de rassurer Lily Rose sur les tracas de son quotidien.
– Comment vous allez ? s’enquiert notre ami en allant coller deux bises sur les joues de Lily.
– Ça va, répond cette dernière avant de serrer Jessica dans ses bras.
Fidèles à notre habitude, Dante et moi tapons notre poing l’un contre l’autre.
– T’as mal dormi ? souffle mon ami en fronçant les sourcils. On dirait que quelqu’un t’a roulé dessus dans tes rêves et que tu t’es réveillé en étant persuadé que c’était vraiment arrivé.
Je le dévisage en silence pendant quelques secondes puis lâche un soupir.
– Jolie comparaison.
– Sans rire, ça va, Zach ?
– Ça pourrait aller mieux, avoué-je avant de me tourner vers Jessica qui s’est arrêtée près de moi pour me saluer.
Que faire ? La bise ?
– Oula, ça a pas l’air d’être la forme, remarque-t-elle en m’observant.
Puis, sans gêne, elle fait glisser ses bras dans mon dos et me serre contre elle. Sa tête arrive tout juste à mon épaule. Abasourdi, je reste sans bouger jusqu’à ce que Dante me fasse de grands gestes en articulant des mots silencieux. Je lui balance un regard d’incompréhension. Avec une grimace, il s’approche de Lily Rose et la serre à son tour. Sans hésiter, elle lui rend la pareille.
Je viens de comprendre.
Timidement, je referme mon étreinte autour de ma camarade. Après quoi, elle se blottit un peu plus contre moi en posant sa joue contre mon épaule.
Personne ne dit rien et c’est très bien comme ça.
Je pourrais rester une éternité ainsi, à respirer l’odeur de ses cheveux, à sentir sa chaleur s’insinuer dans mes vêtements, à apprécier le contact de ses paumes dans mon dos.
La sonnerie met fin à mes désirs.
Plus tard, pour la pause de midi, je propose à Jess, dans un élan de courage, de manger avec moi. Elle semble ravie. Profitant d’un soleil brillant, nous déjeunons à l’extérieur.
Elle a attaché ses cheveux en natte. J’ai envie de les défaire pour passer ma main dedans.
– Tu penses être capable de me dire ce qui te tracasse ? lâche-t-elle sans préambule au milieu de deux bouchées de son sandwich au bacon.
– Je suppose que oui… murmuré-je en posant sur mes genoux ma salade au thon.
Je lui explique tout. Ma rencontre avec Elena, ses visites à la maison, le petit courant qui semble passer entre Mark et elle, l’étrange impression qu’elle me donne. Nos quelques ressemblances physiques.
– Qu’est-ce qu’elle a en commun avec toi ? s’enquiert Jessica d’un air intrigué.
– Ses mains. (Elle esquisse un demi-sourire et j’ajoute précipitamment :) Des mains de pianistes.
À ces mots, elle baisse les yeux sur les miennes et hoche la tête.
– C’est vrai, souffle-t-elle avant de poser ses doigts par-dessus les miens. La vache, t’as des mains immenses !
Je m’esclaffe. On m’a déjà dit que j’étais très grand, que j’avais de longues jambes… mais jamais mes mains. Jessica remarque les choses inhabituelles.
– Puis, elle a des cheveux sombres et ondulés comme les miens, ajouté-je en touchant la chevelure épaisse sur mon crâne. Et une peau très pâle.
– J’adore tes cheveux, lâche-t-elle soudain avant d’y passer les doigts en riant.
Amusé, je la laisse faire. Il faut reconnaître que c’est agréable.
– En plus, ils bouclent sur tes tempes et ta nuque, c’est adorable.
En silence, elle masse mon cuir chevelu, ce qui me donne presque immédiatement envie de dormir. De poser la tête sur ses cuisses et d’y rester toute l’après-midi.
– Ça fait du bien, soufflé-je au bout d’un moment, les yeux fermés.
– Ah, je me demandais quand tu allais enfin le reconnaître, s’esclaffe-t-elle.
Je tourne la tête dans sa direction.
– Tu veux que je te le fasse ?
Étonnée, elle ne réagit pas tout de suite puis hausse les épaules.
– Si c’est gentiment proposé…
Nous échangeons les rôles et j’admire sa masse de cheveux rouge s’abattre en volupté sur ses épaules. Délicatement, j’y passe les mains et apprécie leur texture soyeuse.
– Un peu plus à droite, murmure Jessica alors que je lui gratouille le cuir chevelu.
– À vos ordres, madame, je réponds avec amusement avant de grimacer quand elle abat son coude dans mes côtes.
Au bout d’une minute de silence, elle reprend d’un ton grave :
– Sans plaisanter, Zach, tu penses que cette Elena est ta mère ?
Exprimée aussi brutalement, l’idée me paraît folle.
Remarquant que j’ai suspendu mes gestes, je reprends après avoir dégluti difficilement.
– Je n’en suis pas convaincu, mais, en même temps… j’ai l’impression qu’il y a quelque chose.
J’ai aussi l’impression qu’il y a quelque chose entre toi et moi.
– Je vois, finit-elle par lâcher d’une voix laconique. Tu peux arrêter, c’est bon.
J’obéis et me réinstalle à ses côtés.
– Tu pourrais peut-être essayer de la recontacter pour lui proposer un simple rendez-vous et essayer de l’amener à parler de sa vie privée. Peut-être que tu pourras confirmer ou démentir ton idée.
– Je n’en aurai pas le courage, rétorqué-je en secouant la tête.
À ces mots, elle m’adresse un sourire narquois.
– Tu as bien trouvé le courage de m’inviter à manger avec toi.
Je la dévisage en me sentant rougir aussi fort qu’un coup de soleil.
– Et je suis bien contente que tu en aies trouvé le courage. (Elle croque à nouveau dans son sandwich puis se rapproche jusqu’à poser sa tête contre mon épaule.) J’aimerais rester comme ça pour l’éternité.
Moi aussi.
– Moi aussi, articulé-je avec difficulté.
– Ça ne durera peut-être pas l’éternité, mais… (Elle darde sur moi ses yeux noisette pétillants.) On pourrait prolonger le moment jusqu’à ce soir.
Quand je comprends ce qu’elle insinue, je souris.
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