Chapitre 48
48
La photo
Mon cœur cogne comme un forcené contre mes côtes. J’ai la sensation qu’il pourrait me les briser si je n’essaie pas de me calmer. Avec une grande inspiration, je ferme les yeux et mets les mains à plat sur la table à manger.
Nous nous y sommes installés quelques minutes plus tôt, après qu’Elena Dent nous ait annoncé qu’elle souhaitait nous parler. De choses importantes.
Un plat fumant de bœuf accompagné de pommes de terre et lardons est posé au milieu de la table. Mark est assis au bout, Elena à sa gauche et moi à sa droite. Un silence gêné emplit le salon.
– Eh bien, servez-vous, finit par lancer Mark d’une voix qui se veut enjouée.
Comme personne ne fait mine de bouger, il pousse un soupir et attrape la louche.
– Elena ?
Sans un mot, la journaliste tend son assiette. Mark la sert généreusement puis se tourne vers moi.
– Juste un peu, précisé-je d’une petite voix, je n’ai pas très faim.
– OK.
Il finit par se servir puis, après une hésitation, attaque son assiette. Elena et moi faisons de même.
– C’est délicieux, souffle la femme avec un sourire chaleureux à Mark.
Les yeux de celui-ci se mettent à luire.
– Ça fait plaisir à entendre. (Il tourne la tête dans me direction, inquisiteur.) Tu aimes ?
– Oui. J’aime tout ce que tu fais, Mark, ajouté-je d’un air las.
Il ignore mon humeur maussade pour retourner à son assiette.
Les assiettes de Mark et Elena sont à moitié vides que celle-ci n’a toujours pas abordé ce fameux sujet important qui me coupe l’appétit.
– Zach, tu es malade ? s’enquit Mark en remarquant que j’ai à peine touché à mon plat.
– Non, le rassuré-je en secouant la tête. C’est juste que… j’ai la tête ailleurs.
Les yeux sombres d’Elena me toisent, songeurs. Elle se demande peut-être si c’est le bon moment.
La gorge nouée par une angoisse qui vient du fond de mes tripes, je suis incapable de finir mon dîner, pourtant très bon.
Mark se lève pour débarrasser le plat et les assiettes. Alors que nous sommes seuls, je murmure à l’adresse d’Elena :
– De quoi voulez-vous nous parler ?
– De… quelque chose, répond-t-elle en évitant mon regard. Je pense que ça peut être important, comme ça peut être stupide. (Devant mon air agacé, elle ajoute doucement :) Si ça ne te dérange pas, je préfère que Mark soit là.
– Mark est là, déclare celui-ci en nous rejoignant.
Il s’assied et nous toise à tour de rôle.
– Alors, pouvons-nous aborder le vif du sujet ?
– Oui, annonce simplement Elena.
Elle se penche au pied de sa chaise pour récupérer son sac à main en cuir noir. Elle en sort son portefeuille et le pose devant nous. Intrigué, je la dévisage. Sa lèvre inférieure se met à trembler puis elle braque les yeux sur moi.
– J’ai une photo à vous montrer.
Interdit, je me cale au fond de la chaise. J’ai l’impression qu’une boule de plomb fond dans mon estomac et qu’on verse de la limaille de fer dans ma gorge. Dur et froid.
Avec des mains tremblotantes, Elena ouvre son portefeuille. L’attention de Mark est fixée sur son contenu. Des cartes de crédit, des tickets de caisse, des papiers d’identité, un permis de conduire, des cartes de visite… Elena Dent soulève une petite poche et en tire une photo cornée et jaunie.
– C’est une photo de mon frère et moi, annonce-t-elle simplement. Elle remonte à une quinzaine d’années. Nous avions vingt-trois et vingt-cinq ans.
Mark et moi la dévisageons en silence tandis qu’elle garde la photo entre ses longs doigts fins. Finalement, après avoir serré les dents, elle la pose délicatement au centre de la table, comme s’il s’agissait d’un objet fragile. La photo est vieillie et les couleurs sont passées. Néanmoins, on perçoit clairement les deux visages qui y apparaissent. Je reconnais aisément Elena, plus jeune, avec ses boucles noires autour du visage et ses yeux sombres intenses. À côté d’elle, rayonnant, un jeune homme pose. Il a lui aussi des cheveux noirs et ondulés, des yeux sombres et des lèvres fines.
Je ne dis rien. Mark le fait pour moi.
– Mon Dieu.
Elena m’observe en silence, pâle, inquiète.
Je suis le portrait craché du jeune homme sur la photo.
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