Chapitre XXI

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Je dévale les marches, mon arme toujours fermement tenue. Mon esprit est en ébullition, essayant de deviner ce qui m'attend en bas. Lorsque j'atteins le dernier palier, une porte en métal se dresse devant moi. Elle est entrebâillée, laissant entrevoir un espace sombre au-delà. Je m'y glisse, refermant doucement la porte derrière moi. Le silence est oppressant, seulement brisé par le martèlement de mon cœur. Je ne sais pas où je suis, mais au moins, j'ai mis de la distance entre Arthur et moi.

L'espace semble être une sorte de cave ou de sous-sol. Des caisses en bois s'entassent le long des murs, couvertes de poussière et de toiles d'araignées. La lumière de l'ampoule vacille, créant une atmosphère morbide. J'ai l'impression d'être coincée dans un cauchemar sans fin.

– Tu pensais vraiment que tu pouvais fuir ?

La voix d'Amber émerge de l'obscurité, glaciale et calculée. Elle est là, debout à l'autre bout de la pièce. Ses yeux me transpercent, emplis de ce mélange de mépris et de triomphe qui lui est propre. Je me fige, mon sang se glaçant dans mes veines.

– Tu ne peux pas gagner contre moi, continue-t-elle en s'avançant lentement. Je t'ai créée, Matt. Tout ce que tu es, tout ce que tu ressens, c'est grâce à moi. Et je peux tout te reprendre, d'un claquement de doigts.

– Tu n'es rien, rétorqué je, ma voix tremblante de colère. Rien d'autre qu'une manipulatrice pathétique. Tu ne m'as pas créée, Amber. Tu m'as détruite, et c'est ce qui te perdra.
Elle sourit, un rictus cruel qui m'ébranle.

– Tu veux me détruire ? Essaye donc, ricane-t-elle. Mais sache que si tu échoues, je finirai ce que j'ai commencé.

Amber est là, immobile, mais pas vaincue. Son regard brûle de colère et de tristesse, un mélange déconcertant qui me déstabilise.

– Tu pensais vraiment pouvoir m'échapper, Matt ? murmure-t-elle en avançant lentement.

Je recule instinctivement, mais mes jambes rencontrent la caisse en bois qui trainait dans la pièce. Mon échappatoire est bloquée. Dans sa main droite, je vois la seringue contenant le sérum brillant d'un liquide rougeâtre : la larymosine. Encore. Elle n'a pas le droit. Elle n'a pas le droit de s'en servir contre moi. Pas encore une fois.

– Amber, arrête, la suppliais je, tentant de cacher ma peur. Tu n'as pas le droit de me faire ça !

– Oh, mais si, Matt. C'est exactement ce que je vais faire, répond-elle, un sourire amer sur les lèvres. Et je vais le faire maintenant !

Elle s'élance, rapide comme l'éclair. Avant que je ne puisse réagir, elle me saisit par le bras et plante l'aiguille dans ma peau. Une chaleur intense envahit mes veines, et le monde autour de moi commence à se dissoudre.

* * *

Quand mes yeux se rouvrent, je suis ailleurs. Pas dans le sous-sol sombre et oppressant, mais dans un jardin ensoleillé. Le parfum des fleurs flotte dans l'air, et des éclats de rire résonnent tout autour.

Je connais cet endroit. C'est le jardin de mon enfance.

– Matt ? Tu viens ? demande une voix enfantine.

Je me retourne et vois une petite fille. Amber. Elle a huit ans, peut-être neuf, avec ses cheveux blonds en bataille et ses joues rondes rougies par l'effort.

– C'est . . . c'est impossible, balbutié je.

Je tourne la tête. Matt est là aussi. Elle porte une robe d'été que je n'avais pas vue depuis des décennies. Je veux parler, intervenir, mais je ne peux pas. Je ne comprends plus rien. Je la connaissais ? Je regarde la scène ahurie.

Amber éclate de rire, un rire pur et joyeux.

– Amber, viens ! On va faire la course jusqu'à l'arbre !

– Cours plus vite alors, sinon tu vas perdre ! s'écrie la petite Amber qui a déjà une longueur d'avance sur Matt qui se met a courir pour la rattraper.

Je vois la petite version de moi-même s'élancer après elle, pieds nus sur l'herbe. Leurs rires résonnent, emplissant l'air d'une joie innocente. D'un coup, tout me revient. Les souvenirs m'assaillent et je dois fermer les yeux pour tous les contenir. Durant toute notre enfance, Amber et moi étions les meilleures amies du monde. L'une n'allait jamais sans l'autre. Nous étions toujours fourrées ensemble et rien n'aurait pu nous séparer. Un jour que je l'attendais a notre arbre, lieu de réunion pour nous deux, elle n'est jamais venue. Quand je suis rentrée chez moi, on m'a raconté qu'elle avait du déménager d'urgence avec sa famille dans un autre pays. Depuis je ne l'ai plus jamais revue et la vie a repris son cours sans elle et j'ai fini par l'oublier.

Mon regard se porte sur les deux jeunes filles qui s'amusent à courir autour de l'arbre. Je veux profiter de cet instant de pureté, mais avant même que je ne puisse cligner des yeux, la scène change brutalement.

Le jardin disparaît, remplacé par une route sombre et mouillée par la pluie. Une voiture roule à toute vitesse sous un ciel orageux. À l'intérieur, je vois les parents d'Amber. Le crissement des pneus déchire l'air, suivi d'un fracas assourdissant. La voiture quitte la route et percute un arbre. Le silence qui suit est pire que le bruit. Le crissement des pneus déchire l'air, suivi d'un choc assourdissant. La voiture quitte la route et percute un arbre avec une violence inouïe. Je veux détourner les yeux, mais je ne peux pas. Je vois les pompiers arriver, sortir les corps. Un sentiment de déjà vu m'emporte et mon cerveau relie toutes les information. Les parents d'Amber n'ont jamais déménagé. Ils sont morts dans un accident de voiture et elle s'est retrouvée toute seule.

Le décor change encore. Rapide. Je ne perçois rien. Tout tourne. Puis le décor se plante. Je suis dans une chambre grise et austère. Amber est là, recroquevillée sur un lit trop grand pour elle. Elle tient une photo dans ses mains : nous deux, dans le jardin. Elle caresse doucement l'image, ses larmes tombant silencieusement sur le papier.

– Matt . . . où es tu ? murmure-t-elle de sa petite voix. Elle renifle et ferme les yeux comme si elle attendait une réponse qu'elle n'aura jamais.

Je veux lui répondre, lui dire que je suis là, que je n'ai jamais voulu l'abandonner. Mais ma voix ne sort pas. Je suis comme paralysée. Je la vois attendre, jour après jour, regardant par la fenêtre, espérant une visite, une lettre, un signe. Rien ne vient. Je pense a ma propre enfance, dans ma maison entourée de ma famille pendant qu'Amber m'attendait. J'étais heureuse, insouciante tandis qu'Amber vivait dans la misère, triste et seule.

Un mélange de honte et de douleur m'envahit. Comment ai-je pu l'oublier ? Je veux hurler que ce n'est pas vrai, que je ne savais pas, mais les images parlent d'elles-mêmes. J'étais heureuse, insouciante, tandis qu'elle grandissait seule, nourrissant une rancune qui allait la consumer.

Le décor s'efface et l'obscurité revient. Je me suis recroquevillée, Amber face a moi.

– J'avais dix ans, dit Amber, sa voix froide et distante. Ce jour-là, j'ai tout perdu. Et toi, continue t'elle d'une voix hautaine, tu m'as oubliée.

Je me tourne vers elle, le cœur lourd.

– Amber . . . je suis désolée. Je ne savais pas. Les mots me manquent et je ne sais pas quoi lui dire d'autre.

Elle rit, un rire amer et sans joie.

– Désolée ? Tu crois que ça efface tout ?

Je baisse les yeux, incapable de soutenir son regard.

– Non, mais je veux réparer. Si tu me laisses une chance . . .

Elle me fixe, hésitante. Pendant un instant, je crois percevoir l'ombre de la petite fille qu'elle était, celle qui m'aimait comme une sœur, mais cette ombre s'efface aussi vote et laisse place a une Amber froide et distante.

– Réparer quoi, Matt ? Ma famille est morte. Et toi, tu m'as abandonnée, crache-t-elle.

– Mais je suis là maintenant, dis-je, les larmes aux yeux. Et je ne partirai plus.

– Tu es là maintenant ? Maintenant que je n'ai plus rien ? Maintenant que je t'ai tout pris, comme tu m'as tout pris ?

Elle s'avance, son regard brûlant d'une rage contenue. Je veux m'approcher, la toucher, mais son aura glaciale me repousse, comme une barrière invisible.

– Tu ne comprends pas, Matt. Ce n'est pas une question de pardon. Ce n'est pas une question de "maintenant". Ce qui est brisé ne peut pas être réparé.

Elle brandit la seringue vide, ses doigts tremblant légèrement.

– Tu crois que la larymosine, c'était une punition ? Non, c'était un cadeau. Je voulais que tu voies. Que tu comprennes ce que ça fait d'être seule. De n'avoir personne.

Sa voix se brise, et pour la première fois, je vois autre chose qu'une façade impénétrable. De la douleur. Une douleur si profonde qu'elle semble la consumer.

– Amber . . . murmurais je, incapable de trouver les mots justes.

– Non ! hurle-t-elle en reculant. Ne dis pas mon nom comme si tu me connaissais encore. Tu ne sais rien de ce que j'ai vécu.

Elle s'effondre sur une caisse, la seringue glissant de sa main pour tomber au sol. Ses épaules tremblent, mais elle refuse de pleurer.

– Je t'ai attendue, Matt. Pendant des années. Chaque jour, je me disais que tu viendrais. Que tu me sauverais. Mais tu ne l'as jamais fait.

Je sens une vague de honte m'envahir, écrasant tout sur son passage.

– Je . . . Je ne savais pas, balbutié-je. Je ne savais pas que tu souffrais autant. Je pensais que tu avais déménagé avec tes parents . . .

Elle relève les yeux, un sourire triste aux lèvres.

– Parce que tu ne regardais pas.

Ces mots me frappent comme une gifle. Elle a raison. J'étais tellement prise dans ma propre vie que je n'ai jamais pensé à ce qu'elle vivait.

– Alors qu'est-ce que tu veux, Amber ? Que je souffre autant que toi ? Que je me noie dans la culpabilité ?

Elle secoue la tête, un soupir lourd échappant à ses lèvres.

– Ce que je veux . . . Ce que j'ai toujours voulu . . . c'était que tu sois là. Mais c'est trop tard.

Elle se lève, me tourne le dos, et commence à s'éloigner.

– Non, attends ! criai je, ma voix brisée par l'émotion.

Elle s'arrête, juste un instant, sans se retourner.

– Prends soin de ce qu'il te reste, Matt. Moi, je n'ai plus rien.

Amber disparaît dans l'ombre, son absence laissant un vide immense dans la pièce. Le silence qui suit est assourdissant, comme si le monde lui-même retenait son souffle. Je reste là, immobile, le cœur en miettes. Ses mots résonnent dans ma tête, un écho incessant qui refuse de se taire. Ce que je veux... c'était que tu sois là. Mais c'est trop tard. Je tombe à genoux, les mains tremblantes. Tout s'effondre autour de moi. Les visages de ma famille me hantent, leurs sourires disparus, leurs voix éteintes. Chaque souvenir, chaque moment de bonheur partagé, tout me revient comme une lame tranchante.

– C'est ma faute, murmuré je, les larmes coulant librement sur mes joues. Tout est de ma faute. Amber avait raison depuis le début. Peut-être que si j'avais été là pour elle, rien de tout cela ne se serait passé !

Je me recroqueville sur moi-même, incapable de supporter le poids de mes propres pensées. La larymosine m'a montré la vérité. Je n'ai pas seulement perdu ma famille, j'ai perdu ma première meilleure amie, celle qui comptait le plus a mes yeux avant qu'elle parte. Le temps semble s'étirer, chaque seconde plus insupportable que la précédente. Mon esprit tourne en boucle, cherchant une issue, une expiation. Mais il n'y en a pas. Je me lève, chancelante, mes pas me guidant instinctivement vers une fenêtre brisée.

Le vent frappe mon visage, un souffle glacé qui me coupe la respiration. Mon corps est lourd, chaque muscle tendu par une douleur sourde qui me ronge de l'intérieur. Mais tout cela semble insignifiant, comparé à ce qui m'attend. Je m'approche du rebord de la fenêtre, mes mains s'agrippant au métal froid, tremblantes. Mes jambes sont flageolantes, comme si elles savaient, elles aussi, que c'est la fin.

– Je suis désolée, chuchoté je, ma voix à peine audible. Désolée pour tout.

Je perçois la ville silencieuse au loin. Les lumières des immeubles semblent vaciller, comme des étoiles mourantes. Elles m'obsèdent, me fixent. Tout autour de moi, tout semble irréel, un tableau figé, une scène de théâtre sans vie.

Les mots d'Amber résonnent dans ma tête, encore et encore. Je voulais que tu sois là, mais c'est trop tard. Chaque syllabe me frappe comme une décharge électrique. Je n'ai pas su l'aimer assez, pas su la protéger, et maintenant il est trop tard pour réparer ce que j'ai détruit.

Je ferme les yeux un instant, me concentrant sur ma respiration. Chaque inspiration est une lutte, chaque expiration un soulagement temporaire. Le vide m'appelle, une promesse d'oubli, de paix. Mais la paix est-elle vraiment ce que je cherche, ou est-ce la fin de la douleur qui me hante sans relâche ?

Une partie de moi espère qu'Amber reviendra, qu'elle me pardonnera, qu'elle m'offrira une chance de réparer ce que j'ai brisé. Mais je sais que c'est un mensonge. Elle ne reviendra pas. Je ferme les yeux, laissant le vent glacial caresser mon visage :

– Peut-être qu'en partant... je pourrais enfin apaiser cette douleur, murmurais je, comme une prière.

Je regarde encore une fois la ville. Elle est là, vivante, tandis que je me sens étrangère à tout cela. Mon cœur, brisé, m'aspire vers le bas, comme si la terre elle-même voulait m'engloutir, me faire disparaître dans l'oubli. Et avant que je ne puisse changer d'avis, je me laisse tomber dans le vide. L'adrénaline monte en moi, mes jambes se dérobent sous mon poids. Et puis, il n'y a plus rien. Juste la chute. Je ferme les yeux et laisse mes pensées se dissiper, me détacher de mon corps, me libérer enfin de ce fardeau. Je me laisse aller, un dernier souffle de soulagement dans la gorge, un dernier murmure de regrets.

Le monde autour de moi disparaît, remplacé par une paix étrange, un silence apaisant. L'air me fouette le visage, une brise glacée qui me frôle comme un dernier adieu. Je ne vois plus la ville, ni la lumière des réverbères, ni les ombres dansantes des passants. Tout se confond, tout se noie dans un flou indescriptible. Le vide est tout ce qui reste. Un silence lourd, qui engloutit tout.

Puis, plus rien. Pas de douleur, pas de chute. Juste une absence totale, un néant où je ne suis plus rien. La souffrance, les regrets, tout s'éteint, tout se dissipe. Et dans ce dernier souffle, je pense à Amber. À tout ce que j'ai perdu. À tout ce que j'aurais dû être.

Et enfin, il y a la paix. Une paix froide, inaltérable, qui m'envahit. Mais ce n'est pas une paix douce. C'est une paix d'oubli. Une paix de l'absence. Une paix où même la douleur ne peut plus atteindre. Pour la première fois depuis longtemps, je n'entends plus rien. Ni la voix d'Amber, ni mes propres pensées. Juste le néant. Et dans ce dernier instant, je me souviens d'elle. De nous. De tout ce que nous aurions pu être.

Justine.H

FIN ! 

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