Aube

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  • Sébastien ! Sébastien ? Ouf… j’ai cru pendant un instant qu’on l’avait perdu…
  • Grand-pa, s’il te plaît accroche toi encore un peu, maman arrive. S’il te plaît ! Grand-pa ?

Ces voix, d’où venaient elle ? Au-dessus ? Et où étais-je en ce cas ? Mon esprit est embrumé, comme si j’émergeais d’un… rêve ? Oui c’est le terme, un rêve. Je ne sais pas où je suis, mais je sais au moins d’où je viens, je suppose.

Le sol est mou sous mon dos. Je suis allongé sur un tissu doux, caressant ma vieille carcasse squelettique d’une agréable fraîcheur. Mon corps est perclu de douleur, mais rien ne semble brisé, alors où suis-je ?

Les paupières lourdes, j’ouvre les yeux, seulement pour être accueilli d’un éclair de lumière. Comme mûs par un signal cérébral, tous mes sens se mettent au garde à vous et je goûte à la première odeur de la vie : un mélange de javel, de sueur et de moisissure. Charmant premier contact. Ma deuxième tentative me permet de mettre un visage sur les deux voix continuant de s’époumoner à moins d’un mètre de moi.

Il y a d’abord mon petit-fils. Âgé de huit ans, il a les yeux brillant et le sourire espiègle des enfants bienheureux. Ses cheveux auburns, mi-longs, dissimulent d’une mèche rebelle la cicatrice de naissance sur son front. Un cadeau de bienvenue de la part du chirurgien durant la césarienne. A côté se tient ma nièce. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai jamais pu l’encadrer. C’est étrange pour autant, car même si je parviens à mettre des mots et des souvenirs sur ces personnes, j’ai l’impression d’à la fois les rencontrer seulement maintenant et dans le même temps, les connaître depuis plus de 30 ans. Alors qui suis-je ? Et que m’est-il arrivé ?

J’aurais bien aimé avoir plus de temps pour répondre à cette question, mais la porte de ma chambre - blanche et aseptisée - s’ouvre avec fracas. Immédiatement une boule d’énergie fait irruption dans la pièce, le visage incarnat, le souffle court. Je reconnais bien là ma fille. Elle a offert la pigmentation de sa longue chevelure, longtemps jugée raide, à ses enfants. Alors que j’arrive à mon terme, elle est toujours là pour venir à mon chevet. Je suis content qu’elle ait pardonné mon emportement à l’égard de Patrick, mon gendre et par conséquent, son mari.

Attendez… mon terme ? Je vais bientôt mourir ? C’est impossible, j’ai la nette impression d’à peine arriver. Comment pourrait-on déjà me renvoyer dans… dans les rêves ? Est-ce que c’est le terme ? Je ne sais pas… Des souvenirs m’envahissent, certains sont heureux, beaux, noyés dans l’innocence, d’autres sont humiliants, suintants de sarcasmes et de perversité ; mais devant la fin, aucun mot ne vient. Mais est-ce la fin ou le début ? Je suis si vieux, je me sens si vieux, tandis que devant moi se tiennent ceux que j’ai vu grandir, étudier, s’amuser. Pourquoi… pourquoi ne suis-je pas comme eux ? Pourquoi ne suis-je pas jeune et vigoureux ?

Quelque chose ne va pas… non, quelque chose ne va pas du tout. Ce n’est pas comme ça que les choses sont censées se passer. Il faut que je sorte de là. Il faut que je marche, que j’aspire de l’air frais, je ne peux pas rester dans cet endroit morbide !

Sans me contrôler, je pousse un grognement et entreprend de retirer frénétiquement les intraveineuses de mes bras rachitiques. La panique s’empare de la salle. Mon petit-fils se cache les yeux en criant, ma fille appelle immédiatement les infirmières et ma nièce tente de me calmer, sans succès. Les jambes flageolantes je parviens à me lever et fais un pas en direction de la libération.

Chaque pas semble me traverser d’une décharge électrique, alors que je sens un curieux courant d’air entre mes interstices. Je n’ai guère le temps de goûter aux plaisirs des premiers pas, que je m’écrase face contre terre sur le carrelage glacial, au moment où le médecin, accompagné de la charmante infirmière Lucie, pénètrent dans la pièce. L’instant suivant je sens quelque chose piquer mon cou, déverser un liquide froid dans la carotide, avant d’être emporté par les ténèbres.

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