IV (Partie une)

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Juin

SAMUELE

Happy — Pharell Williams

Le lendemain, je fixe à l’aide de colle le bâtonnet en bois sur la pince à linge. J’esquisse un sourire et étire mon dos contre le dossier. Scrutant le petit avion entre mes doigts, les ailes sont noires et le reste de l’objet est peint en blanc.

— Alors c’est à ça, que tu passes tes heures de travail ? me découvre mon frère en rentrant dans la dépendance.

Le parquet en Noyer Américain, craque sous son poids. Léone s’effondre dans le fauteuil en cuir marron en face du mien. Comme un môme, il fait tourner le globe terrestre noir et doré placé dans le coin du meuble, dans un sens, puis dans l’autre.

— J’ai fini de classer les papiers et je m’entraînais pour cet après-midi. Tu peux arrêter de gesticuler, tu me donnes le tournis, grommelé-je.

Il immobilise enfin l’objet et appuie ses coudes contre le bureau vintage noir. À son tour, il l’examine et semble sceptique face à mon œuvre.

— Même un enfant de six ans ferait mieux, plaisante-t-il.

Je hausse un sourcil, face à sa petite frasque.

— Mais je t’en prie, montre-moi tes talents, Picasso !

Sans attendre, mio fratello¹ commence par démonter les pinces, ce qui lui facilite la tâche pour les peindre. Il est très minutieux dans ses gestes et l’avion prend progressivement vie, au fil des minutes.

— Il y a une réunion de famille par ici ?

Aurora apparaît dans l'encadrement de la porte de grange. Affubler d’une élégante robe portefeuille vert d’eau, qui fait ressortir sa peau naturellement hâlée. Ses longs cheveux noirs sont détachés, c’est rarement le cas du fait de son métier d'hôtesse de l’air. Elle est rentrée avant hier, d’un vol de deux heures trente-cinq, en direction de Lisbonne.

— Oui, mais tu ne fais pas partie de l’équation sorella², malheureusement, exagère Léone.

Mon frère à l’art de la comédie. Notre cadette n’est plus aussi présente qu’auparavant dans le foyer familial. Du fait de ses horaires décalés, elle vit depuis quelques mois, seule dans un appartement près de l’aéroport de Nice. Léo profite de chacune de ses visites pour la taquiner. Nous ne l’avouerons jamais, mais elle nous manque.

— Et pourquoi ? s’offusque la petite, les poings sur les hanches.

— Ce sont des affaires de grand. Tu es encore trop naïve et…

— Finis cette phrase si tu l’oses, le coupe-t-elle.

La furie pointe un doigt rageur dans sa direction.

— Et.jeu.ne, insiste l’effronté sur chaque syllabe, avant de tirer la langue.

Très mature comme comportement, pour un homme de 23 ans.

Cela n’a que trop duré ! En tant qu’ainé de la famille, je décide de m’interposer entre ses deux dégénérés, la situation pourrait s’aggraver davantage.

— Pour la vingtième fois, j’ai du travail qui m’attend. Alors sortez d’ici, je tranche.

Aurora est prête à bondir à tout instant. Cette fille est imprévisible et si explosive. J’empoigne donc ses épaules, pour éviter un nouvel affrontement et l’immobilise contre le meuble en bois noir de la bibliothèque. Face à notre frère, elle ne sait pas se maîtriser.

— Sam, tu ne vas pas prendre sa défense ? s’indigne-t-elle.

Mademoiselle Rivoire ne se laisse pas faire et sous son sillage deux livres s’écroulent sur le tapis en coton écru. Ses prunelles incandescentes se braquent sur moi. Je déteste quand elle fait la moue, elle arriverait presque à m’attendrir.

— Je.suis.son.préféré, réitère-t-il de nouveau.

Léone est le diable incarné.

— Elle a compris, n’insiste pas Léo, j’ajoute pince-sans-rire.

On se jauge quelques secondes.

— Quoi ? Ne me dis pas que…

— D’accord, je ne te le dirai pas, dis-je d’un ton railleur en haussant les épaules.

Son corps se tend sous ma poigne. Elle respire fort et se penche sur le côté. Cela ne présage rien de bon.

Va bene³. Toi, commence-t-elle d’une voix trop calme, en désignant du menton, l’odieux personnage dans mon dos. Je te laisse dix secondes pour t’enfuir, car après je ne vais pas te lâcher.

— Tellement adorable Roro…

Mon frère sort avec nonchalance de la dépendance, omettant volontairement la menace que notre sœur a lancé.

Je peux enfin lâcher le fauve.

Aurora se baisse et s'empare des bouquins, pour finir par les ranger sereinement à leur place. Également, elle prend la direction que vient d'emprunter mon frère. Mais avant d’atteindre la porte, elle se tourne dans ma direction. Un sourire sardonique étire ses lèvres.

Ok, c’est pire que ce que je pensais.

— Ton tour viendra Samy, m’avertit cette furie avec un clin d'œil.

Quand reprend-elle le travail déjà ?

* * *

¹ : Mon frère.

² : Soeurette.

³ : Très bien.

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