II (Partie deux)
What About Us — Pink
Human — Rag'n'Bone Man
Mon souffle est court et irrégulier ce soir. Une nouvelle fois, j’essaie de refouler mon malaise depuis que j’ai quitté ce petit garçon, je ne peux pas le laisser m’envahir. Mais Simon continue d’alimenter mon désarroi.
Quelques minutes plus tard, un vent frais m’accueille en sortant de ma voiture.
J’admire la vue avec fierté, les rangées de vigne en contrebas, le soleil qui se couche, les arbres et les champs à perte de vue, rendent le domaine viticole attrayant.
Le massif de l'Esterel est charmant et rustique. Beaucoup de touristes y viennent l’été pour profiter du paysage, de son sol volcanique, ses collines et ses plaines du Var.
Je me revois plus jeune aider mon père à la récolte du raisin, il voulait m’apprendre sa passion. Il y aura les vendanges dans trois mois et j’adore cette époque.
Il y a quelques années, mon rêve était de m'associer avec lui et de reprendre avec mon frère le flambeau familial, que notre arrière-grand-père a réussi à créer au fil du temps. Pourtant, quand j'ai pu reprendre mes études. Le besoin de changer radicalement de cursus s’est imposé à moi. Avec la nécessité de reprendre le cours de ma vie, tout en modifiant mes habitudes.
À vingt et un ans, je décidais donc de me tourner vers les finances. Après ma classe préparatoire, j'ai obtenu mon concours d'entrée en école de commerce et pour finir en Septembre je vais entreprendre un Master of Science en finance. Dans deux ans je serai enfin analyste financier.
Je replace la casquette noire sur ma tête et remonte les manches de ma chemise blanche ouverte sur un tee-shirt de la même couleur.
Les mains dans les poches de mon chino gris, je me dirige vers le perron de la maison de mon enfance. Ces lieux m’ont vu grandir, évoluer et même si je ne vis plus ici, j’y garde mes meilleurs souvenirs avec elle.
C’est une vieille bâtisse en pierre, qui est séparée en deux parties, en plus d’une dépendance. Les murets entourant la demeure sont recouverts de plantes verdoyantes.
Je rentre par la porte d’entrée et rejoins la cuisine, je distingue rapidement qu’elle est vide. Une casserole cuit sur la plaque de cuisson, je me baisse pour soulever le couvercle sur le repas de ce soir, qui sent les épices et les herbes de provence. Notre géniteur est un vrai cordon bleu.
Soudain, des mains délicates se posent sur mes yeux me barrant la vue, une odeur de vanille me parvient, un petit sourire étire mes lèvres.
— Qui est tua sorella¹ préférée ? gazouille Aurora à mon oreille.
— Joker !
Elle souffle d’exaspération et me frappe l’arrière du crâne.
— Finnochio², proteste-t-elle.
Je me retourne vers ma sœur. Les poings sur les hanches, je croise ses yeux ombrageux d’un vert pâle avec des éclats dorés, semblable aux miens.
L’aurais-je vexé ?
— Peste, réanchiré-je.
Elle grimace, avant de faire demi-tour, pour rejoindre l’extérieur. Je lui emboîte le pas. Des rires me parviennent en arrivant près de la baie vitrée.
Mon père est abrité sous la vieille pergola en fer forgé noire, où des fleurs de glycines recouvrent le toit. Le soleil se couche lentement derrière les collines. Il me regarde hâtivement par-dessus son épaule, puisqu’il est occupé à retourner la viande qui grille sur le barbecue.
Aurora s’effondre sur l’un des sièges du salon de jardin et reprend son livre entre ses mains.
— Te voilà mon fils. Ton après-midi s’est bien passé ? me questionne-t-il en ébauchant un sourire.
— Bonsoir papa. Ça va et le travail ?
— Très bien. En parlant de cela, j’aimerais que tu t’occupes des papiers de l’entreprise vendredi, me confit-il.
Il y a plus de 5 ans, j’ai repoussé mon entourage et me suis replié sur moi-même. J’ai été égoïste de penser que j’étais le seul à souffrir. En dépit de son propre deuil - la perte de la femme qu’il aime - mon père m’a soutenu et m’a aidé à me relever de mon mal-être. Malgré les rechutes, les difficultés rencontrées pendant le sevrage de mon addiction, il a toujours été là. Lui, il ne m’a pas abandonné, comme ont pu le faire d’autres. Je lui en serais éternellement reconnaissant.
J’ai accepté de me faire accompagner et suivre par des professionnels. On peut décider de s'en sortir. Depuis, j’essaie tous les jours de réparer mes erreurs. Pour eux.
Le souvenir des yeux rougis de Simon, me rappelle douloureusement la chance d’être auprès des miens ce soir.
Un vrombissement me sort de mes pensées sombres. Je repère un nuage de fumée dans la cour de gravillon sur ma droite. Mon frère gare son quad près - trop près - de ma voiture.
Je me pince l’arrête du nez et me précipite en contournant le jardin. Je fais le tour pour vérifier que cet idiot n’ait pas rayé la carrosserie.
Léone sait que je chéris cette mustang comme la prunelle de mes yeux. J’ai mis plusieurs mois et beaucoup d’argent pour la réparer avec l’aide de mes amis.
Il descend sereinement de son engin en combinaison de travail.
— C’est comme ça que l’on accueille son petit frère ? s’agace-t-il avec ses yeux rieurs.
Je frappe avec brutalité son épaule. Mon frère grimace de douleur. Voilà ce qui devrait le faire taire quelques minutes.
— Buongiorno le rustre.
J’arpente les quelques marches en pierre pour regagner le jardin, sous le bruit des cigales.
— À table les enfants ! proclame mon père depuis la terrasse.
Le timing est parfait.
¹ : Ta soeur
² : Abruti
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