Chapitre 69: Le Prophète

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 Amset se pencha de nouveau vers le collier de Khême qu’il avait jeté à quelques pas de lui. Il avait souvent vu son épouse l’enfiler et répondre à des voix qu’il ne pouvait entendre, cherchant un moyen de les soulager. Peut-être, alors, serait-il en mesure de lui parler, à nouveau, si elle était vraiment là. Il tendit le bras vers le bijou avant que Barabbas ne réagisse vivement.

 — Tu auras tout le temps de l’essayer quand je ne serai pas là. Seulement, sache que ce pendentif, en plus de protéger de ces maudites runes, chauffe en présence de Khême, en fonction du porteur.

 — C’est-à-dire ? demanda Amset en fronçant un sourcil, perplexe.

 — Que si tu portes le collier, tant que tu ne croises personne avec plus de Khême que toi, il ne réagira pas. Par contre, si tu devais trouver quelqu’un qui en a plus, ça te brûlerait, de manière proportionnelle à la différence qui vous séparerait. C’est une sorte de signal d’alerte.

 — C’est pour ça qu’il m’a brûlé quand je le lui ai donné…

 — Et il a brûlé Orbia lorsque je me suis approché d’elle, soupira Barabbas. J’ai plusieurs siècles de récolte en moi. J’aimerais éviter de te blesser, si tu le veux bien…

 Amset hésita, tendit un peu plus la main, puis se figea. Il avait l’impression que quelqu’un l’avait arrêté, tout doucement, comme si Orbia était encore présente. Il reporta son attention sur l’homme, le Colosse, tandis que Quetzu se rapprochait d’eux.

 — Or donc, c’est dans le but de créer du Khême que cette fichue Croisade a commencé…, lui lança-t-il. Ils provoquent de l’horreur dans le but de vivre plus longtemps et s’accaparer du pouvoir…

 — Pas uniquement, réfuta Barabbas, amer. Psyendé désire créer de nouveaux Colosses. Je suis certain qu’elle avait prévu qu’Orbia survive à ce rituel et comptait en faire une des leurs. Elle forme certainement aussi de nouvelles recrues que je ne connais pas…

 Amset souffla, réfléchissant. Il avait appris bien des choses. Il n’était pas certain de pouvoir croire à tout ce que venait de lui dire Barabbas. Tout cela semblait si invraisemblable, même après l’avoir vu de ses propres yeux. Mais qu’importe s’il disait la vérité ou non.

 — Elle m’a demandé d’arrêter tout ça.

 — Quoi ?

 — Avant de disparaitre, Orbia m’a demandé de mettre fin à la Croisade. J’ai peut-être une idée mais, Barabbas, j’aurais besoin de ton aide.

 — Tout ce que tu voudras, assura l’homme en se relevant. Cependant, ne va pas croire que nous puissions nous en prendre à Psyendé et aux autres, même avec moi, ce serait de la folie !

 — Nous allons nous servir des mêmes armes qu’eux, dans ce cas. Il n’y aura plus d’effusion de sang. Il faut juste… convaincre le peuple que cette histoire n’a que trop duré.

 — Tu veux révéler au monde tout ce que je t’ai dit ? Amset, ce serait de la folie, tu penses bien que des tas de gens essayeraient de…

 — Non, l’interrompit le prêtre. Il y a quelques mois, nous célébrions la Cérémonie de l’éclipse, plus ou moins au moment où Réunion a disparu. Le soleil et la lune sont les symboles de la bienveillance de Lithé et Meroclet à notre égard, leurs yeux qui nous surveillent. Les éclipses sont lourdes de sens pour les croyants. Si tu es vraiment Scoléra, alors c’est là que tu entres en jeu.

*

* *

 Le lendemain matin, tandis que l’Inquisiteur Menkera terminait son petit-déjeuner, ses trois Disciples entrèrent dans la pièce à manger, paniqués. Le vieillard les vit courir vers lui et s’agenouiller en se confondant en paroles. Ils essayaient tous de parler en même temps dans un charabia incompréhensible et le vieux cultiste dut lever la main pour exiger le silence.

 — Que me vaut ces simagrées ? leur demanda-t-il, furieux. N’avez-vous pas honte de vous comporter ainsi, comme des gamins, à vouloir parler le premier ?

 — Mais Votre Excellence ! C’est le soleil !

 — Eh bien quoi, le soleil ?

 — Il est caché ! Une immense créature cache le soleil !

 L’Inquisiteur le dévisagea du regard. Ce ne pouvait être qu'une plaisanterie, quoi d'autre ? Il se releva en s’appuyant sur une canne et se dirigea vers une fenêtre dont les volets étaient fermés. Le dépassant, son Disciple les ouvrit. Le vieillard fut cloué sur place. Au lieu de laisser entrer la douce lumière d’un soleil levant dans la pièce, tout n’était qu’obscurité ou presque. Dans le ciel, une sorte de gigantesque créature s'enroulait sur elle-même, de manière à cacher l’astre solaire. Il ne fallait pas être un croyant très instruit pour reconnaitre cette figure qui ornait les vitraux de toutes les églises. Le Colosse Scoléra prenait la forme d’un immense millepatte dont la taille, disait-on, n’avait aucune limite. C’était aussi proche du soleil qu’on le représentait sur nombre de vitraux, car l’histoire voulait que, lors de sa première apparition, il avait châtié des hérétiques en les privant de l’astre solaire. Seuls quelques rayons parvenaient à s’échapper, éphémères, entre ses pattes qui grouillaient pendant qu’il lévitait, si haut qu’aucun homme ne pouvait espérer l’atteindre.

 — Que Lithé nous protège, susurra-t-il.

 Dehors, tous les habitants de la capitale assyrienne étaient sortis assister à cet étrange spectacle. Même l’Empereur se trouvait à son balcon.

 — Soyez témoins, peuple d’Assyr ! cria la voix d’Amset, amplifiée par quelque parchemin tracé par Barabbas. Ceci est un avertissement du Colosse Scoléra ! Les horreurs en Cyanide n’ont que trop duré ! Nos soldats comme le peuple y subissent des traitements immoraux et déchirants ! Si nous ne mettons pas un terme à tout cela, alors le Colosse nous privera de soleil de manière définitive !

 L’Inquisiteur reconnut le jeune homme plein de zèle qu’il avait envoyé se perdre en Cyanide. Il avait ce serpent à plumes qu’il avait vu au village sur ses épaules. Il écouta son discours qui se poursuivit, relatant les horreurs cachées de la Croisade. S’il n’évoqua ni les Colosses ni le Khême, il parla tout de même de Boethe et de ses pratiques. Il associa ce dernier à la disparition de Réunion et à celle, toute récente, de Nochélys. Ces nouvelles affligeantes et la peur des menaces de Scoléra, qui leur donnait un avant-goût des ténèbres à venir, fit grandir les protestations du peuple. Sans surprise, de nombreux officiels vinrent immédiatement frapper au Palais que Menkera occupait. On réclamait le retrait des troupes et, le plus vite possible, la fin de la Croisade.

 Ce fut une journée éprouvante pour l’Inquisiteur. Pourtant, il ne put s’empêcher de sourire, au grand désarroi de ses Disciples qui devaient lui rappeler que l’heure n’était pas aux réjouissances. Selon lui, c’était le cas, cependant. Toutes ces choses, il les savait déjà sans pouvoir en parler. Et grâce à ce jeune homme à qui il avait autrefois joué un sale tour, cela allait enfin prendre fin.

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