Deux

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  Devant elle, le cercueil vide avait quelque chose de grotesque. Ronan, un peu en retrait derrière elle, fut envahi de spasmes et de hoquets de rire. On ne sut pas bien si les larmes qui coulaient sur ses joues provenaient de ses rires ou d’une insondable tristesse. Celle-là même qui l’avait empoigné tout entier lors du décès de son père. En situation de stress, Ronan ne pouvait s’empêcher de rire. Marina se tourna vers son fils. Elle eut envie de le secouer, de le prendre par le bras et de lui pincer la peau, comme elle l’avait fait le jour des funérailles de Jacques. Qu’avait-il à rire cette fois ? Une pensée la traversa. Partir dans un grand éclat de rire, elle aussi. Une femme et son fils, pris dans un fou rire incontrôlable au beau milieu d’un cimetière. Elle imagina la mine perplexe du policier à côté d’elle. Ça ne se faisait pas. Entre les tombes et les croix, la plus grande austérité était de mise. Chacun était prié de porter une gueule d’enterrement. Pourtant, en cachette ou à la vue de tout le monde, il s’en passait parfois des choses insolites entre les caveaux des cimetières. Des gens y dansaient, des gamins insouciants y buvaient des bières, des femmes s’y déshabillaient et cherchaient à revivre un désir perdu, des voleurs et des destructeurs y commettaient les pires outrages.

  Marina imagina le cadavre de Jacques, extirpé une nuit de sa dernière demeure par des types cagoulés. Ils avaient attrapé le corps. Les jambes s’étaient détachées. Ils avaient empoigné les morceaux en poussant des grognements, les avaient déposés à l’intérieur d’une bâche plastique. Ils appelleraient Marina. Ils lui demanderaient du fric. Ils avaient lu un article sur Internet à propos de Charlie Chaplin. Presque trois mois après la mort de l’acteur, deux mécaniciens automobiles avaient déterré son corps et exigé une rançon. Ils s’étaient dit qu’ils pouvaient tenter leur chance. Combien pouvait valoir le corps de Jacques ? Sûrement moins que celui de Charlot. Mais ça pouvait rapporter quelques liasses de billets. Marina imagina le coup de fil ou la lettre de demande de rançon. La police. Les articles dans la presse. Un fait divers tellement hors norme que des télévisions nationales en auraient fait leur feuilleton dans les journaux du soir. Et puis Jacques qu’il avait fallu enterrer de nouveau. On lui demanderait de payer de nouveaux frais. Elle protesterait avec véhémence. On ne paye pas deux fois l’enterrement de quelqu’un.

  Marina observa Maxime, le plus jeune des deux employés du cimetière. Il se grattait le menton, levant les yeux au ciel. Cherchait-il son mari dans les nuages ? L’autre employé semblait en prières, figé dans sa position, telle une statue. Comme la tortue qui se terre sous sa carapace, sentant le danger arriver. Le responsable de l’entreprise de pompes funèbres, ne sachant que faire ni quoi dire, attendait que quelqu’un prenne les choses en main à sa place. Il demeurait en silence comme s’il venait de réceptionner le cercueil d’un défunt à la sortie de l’église et que le cadavre frais venait tout juste d’être déposé au-dessus de son caveau. Il n’y avait plus qu’à attendre que la famille profite des derniers instants. La posture du responsable contrastait avec le ridicule de la situation. Le policier commençait à s’impatienter et lançait des regards insistants en direction des employés. Le silence fut brisé par les rires de Ronan.

  Tandis que son fils cessait peu à peu de ricaner, elle jura devant la tombe :

  — Mais bon Dieu, Jacques, où es-tu ?

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