Chapitre 8 : Un Porte-Bonheur

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— Bon anniversaire M’man !

Sur le petit écran de la caméra semi-professionnelle qu’Hector avait trouvée sur la banquette arrière de la Corvette, il put distinguer Joanie donnant à sa mère le présent qu’elle avait préparé, un petit paquet emballé dans un papier brillant rouge et bleu, accommodé d’un ruban doré. En ce 9 avril 2018, Hector n’avait jamais pu oublier cette date d’anniversaire, alors qu’Hélène venait de souffler ses quarante-quatre bougies, Noémie commença à couper les parts du gâteau aux fruits, préparé spécialement pour l’occasion. Hélène entreprit donc de déballer le petit présent de sa fille cadette.

— Mon dieu, Joanie, mais c’est ton pendentif ! Je te l’avais donné…

— Tu m’avais dit que c’était un porte-bonheur, ou quelque chose comme ça. Et en ce moment, tu en as plus besoin que moi…

— Pourquoi tu dis ça, ma chérie ? demanda la maman émue par l’attention de sa fille.

— Ben tu vois bien, répondit Alicia, ça fait deux fois en quinze jours que tu te fais crever les pneus de ta voiture.

— Oh, c’est gentil, reprit Hélène, qui se voulait rassurante, mais vous savez, ça arrive à tout le monde, ce genre de mésaventure…

— Oui, mais pas deux fois en quinze jours, coupa Noémie.

— D’accord, mais la première fois, c’était avec la Nissan, la deuxième, c’était la Mini. Les voyous n’ont pas pu faire de rapprochement.

— Bon, de toute façon, ça ne te coûte rien de le prendre, au moins tant que tu n’auras pas ramené quelqu’un à la maison pour veiller sur toi et sur nous, reprit Joanie.

— Dites donc, les chipies, rit Hélène, vous n’allez pas recommencer avec ça, non ? Allez, fais donc tourner le gâteau, Noé.

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La vidéo suivante avait été réalisée, caméra à la main. À l’aéroport, pour patienter après l’enregistrement de ses bagages, Joanie avait consulté, sur son smartphone, les prévisions météo pour ce 20 avril 2018. Elle avait pu rassurer sa mère et ses deux sœurs aînées, il n’y aurait pas de perturbation sur le vol Paris – Los Angeles. Hélène lui tendit un petit paquet qui lui était familier.

— Maman ! Qu’est-ce que tu fais ? Je te l’ai donné ! Et reprendre c’est volé !

— D’accord, mais je te l’avais donné en premier, s’amusa Hélène, en rendant à sa fille cadette son pendentif. Non, sérieusement, je sais que tu vas trouver ça bête, mais je préfère que tu l’aies avec toi, au moins le temps du vol. Ne me demande pas pourquoi, mais j’ai l’impression que je serai plus tranquille.

— Ouais, reprit Joanie, en fait, tu t’en débarrasses parce qu’il est trop moche, c’est ça ?

— Tu as tout compris, répliqua Hélène dans un sourire qui fit céder sa fille.

— OK, mais toi, je ne veux pas que tu ailles traîner dans les quartiers louches, t’as compris ? gronda gentiment l’adolescente. Vous, les filles, vous me la surveillez, c’est clair ? adressa-t-elle alors à ses sœurs aînées. Et trouvez-lui un mec bien avant que je revienne !

— T’inquiète, louloute, allez, vas-y, sinon ils ne vont pas te laisser monter dans l’avion, répondit Noémie.

— Et fais un gros bisou à Daddy de notre part, poursuivit Alicia. Rappelle-lui qu’on viendra en novembre, pour les vacances.

Les deux jumelles prirent leur petite sœur dans leurs bras pour un dernier câlin avant son vol pour la Californie, puis Joanie embrassa chaleureusement sa mère, avant de se retourner, sac sur le dos et queue de cheval noire comme l’ébène dansant de droite et de gauche, pour finalement disparaître dans les entrailles du terminal. Une compétition nationale de kickboxing l’attendait en juin, et son ambition l’obligeait à retourner dans son club afin de se préparer au mieux pour cette échéance. Ses derniers résultats dans des compétitions locales lui donnaient de bons espoirs, pour peu que son entraînement fût suivi avec sérieux et opiniâtreté.

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Hector arriva au troisième fichier vidéo quand il dut brancher la caméra sur son allume cigare, afin de recharger la batterie. La scène se déroulait maintenant dans le salon d’Hélène.

— Il est vingt heures, les informations de ce mardi 24 avril 2018. Et nous revenons sur ce drame, qui s’est déroulé hier soir dans la région de Bayonne, et dont nous vous parlions dès ce matin.

Hélène repassait une chemise en écoutant la radio, dans le salon, quand cette information lui fit arrêter son activité ménagère. Elle s’assit dans le fauteuil et alluma la télévision.

— … faisant trois morts, deux enfants et leur baby-sitter. D’après les premières constatations, le père aurait été le témoin impuissant du massacre, enchaîné sur une chaise par les agresseurs après avoir lutté violemment contre ses assaillants. Il semble que l’un des agresseurs ait été gravement blessé dans la bagarre.

Le journal télévisé continuait, après la rediffusion de l’édition de la matinée, à développer son enquête sur une tragédie qui avait eu lieu la veille, dans la soirée.

— Notre correspondant sur place a essayé d’en savoir un peu plus sur cette famille, apparemment sans histoire.

Le reporter prit alors la parole dans un petit reportage enregistré dans la journée et rapidement monté pour cette édition du soir.

— Hector Fischer et ses deux fils, déjà frappés par le malheur en 2014, alors que Camille, l’épouse de ce cadre supérieur d’une entreprise locale à la pointe de la recherche technologique, avait dramatiquement trouvé la mort dans un accident, en mer, avaient repris une vie normale, depuis, comme le révèlent ces témoignages bouleversants du voisinage.

— Ces pauvres enfants, ils étaient bien gentils, ils disaient toujours bonjour, ils étaient toujours souriants.

— Ah oui, c’était des gosses bien élevés, ça, il avait du mérite, l’Hector, tout seul pour les élever.

— Quand même, c’est terrible, on peut pas imaginer ce qui peut se passer, dans un petit patelin comme ça…

— Nous sommes tous très tristes. Ce week-end, Charles, le frère aîné, a remporté le championnat régional en karaté, il était si heureux, on était si heureux pour lui, et son père était tellement fier de lui, et vous voyez, maintenant… C’est terrible !

— … et le petit, Louis, il était tellement amusant, la joie de vivre personnifiée. Qui sont les monstres qui ont pu faire ça ?

— Pour l’entreprise, c’est un élément moteur, toujours une parole gentille pour les employés, il tire le meilleur de ses équipiers. Ah oui, là, ça fiche un coup.

— Maman, on est rentrées ! Cria tout à coup la voix de Noémie, alors que le bruit de la porte qui claqua sortit Hélène de la torpeur dans laquelle elle venait de s’installer.

Le son du téléviseur fut rapidement diminué, la chaîne fut immédiatement changée, et une larme sur la joue fut aussitôt effacée, lorsque les jumelles firent leur entrée dans le salon.

— Maman ? qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as pleuré ?

— Non, ce n’est rien, j’avais juste une poussière dans l’œil, répondit celle qui voulait garder pour elle la terrible information qu’elle venait d’apprendre.

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Allongée sur le canapé du salon, téléphone dans la main, devant son visage, Hélène montrait sans le savoir aux caméras installées par Joanie un sourire teinté de mélancolie.

— Non, Jo est chez son père, elle prépare son tournoi de Karaté...

— C’est pas de karaté, c’est du kickboxing, répondit le haut-parleur du téléphone. On t’a déjà expliqué la différence…

— Oui, c’est ça, de toute façon, c’est un sport de brutes. Je n’arrive pas à croire que son père l’ait laissée faire ça... Bref, et les jumelles sont de sortie pour le weekend, elles profitent du pont du huit mai. C’est pour ça que moi aussi j’en profite, pour une fois que j’ai un weekend juste pour moi...

— Mais dis-nous au moins qui c’est, ce type, chez qui tu vas, on le connaît ?

— C’est un ami, et, non, tu ne le connais pas…

— Mais avec ce qui lui est arrivé, si ça se trouve, il a des problèmes avec la mafia… Tu n’as pas assez d’ennuis comme ça, chez toi ?

— Écoute, papa, je ne descends là-bas que pour l’enterrement des enfants. Je ne resterai pas plus longtemps, rassure-toi, il ne m’arrivera rien.

— Mais c’est dommage, ton frère sera là ce week-end, c’est pour ça qu’on avait prévu que tu sois là aussi…

— Écoute, Papa, je viendrai la semaine prochaine, je te promets.

-

Hélène, fraîchement rentrée d’un court séjour aux États-Unis, s’apprêtait à déjeuner avec une de ses amies. L’image montrait à Hector que la table du salon avait été dressée pour trois personnes.

— Tu sais, je n’ai pas voulu leur en parler, elles se font déjà assez de soucis comme ça, avec ces histoires d’appels anonymes, les pneus crevés, elles ont tendance à dramatiser, je trouve.

— Mais attends, ma vieille, si tu veux mon avis, elles ont peut-être raison, il y a des petits malins qui ont repéré que tu étais peut-être une proie facile… Et avec ce que tu me dis là, il y a peu de chance que ce soit un hasard…

— Salut les filles, qu’est-ce qui n’est pas un hasard ? interrompit une deuxième amie d’Hélène, revenant visiblement de l’entrée.

Hector se souvenait que se trouvait là le petit cabinet de toilette pour les petites urgences.

— C’est Hélène qui ne veut pas croire ses filles, alors que tout montre qu’elles ont sûrement raison de s’inquiéter.

— De quoi ? Avec ces histoires de coups de téléphone et de crevaisons ? Mais non, elles sont en train de devenir paranoïaques, c’est tout. Regarde, c’est arrivé à mon fils, ça a duré six mois, et puis plus rien.

— Attends, elle va te raconter son weekend aux US, tu vas voir.

— Sylvie, arrête !… Bon d’accord, alors voilà, quand j’habitais encore avec John, on avait des voisins, bien gentils, serviables, des petits vieux super. Et puis Jonathan est décédé la semaine dernière, on l’a enterré samedi.

— Et tu crois que sa mort est liée à tout ce qui t’arrive ? Tu ne vas pas t’y mettre aussi, non ?

— Mais non, il est mort dans son sommeil, comme ça arrive aux personnes âgées, souvent. Mais, là-bas, aux obsèques, j’ai vu quelqu’un, un type bizarre, le genre de gars qui fait peur quand on le croise dans une ruelle sombre… Et ce type était aussi à l’enterrement des petits garçons, au printemps.

— Et il ressemblait à quoi, ton type ? Il portait sûrement un t-shirt sur lequel était écrit « Je suis un tueur professionnel et je vais faire la peau à cette femme ! ».

— Non, mais il avait l’air d’un gars qu’il ne faut pas emmerder, d’après ce qu’elle m’a dit. Un grand type costaud, rasé comme un pirate du dix-neuvième siècle, le visage buriné, une vraie tête de sale type.

— Bon, écoute, ma petite, tu connais cette théorie selon laquelle il suffit de cinq personnes intermédiaires pour faire le lien entre deux inconnus ? J’ai encore vu ça dans l’épisode d’hier des Experts. Ben là, je suis sûre que c’est un hasard qui fait que ce mec était lié à deux personnes que tu connaissais aussi. Le monde est petit, c’est comme ça. Et d’abord, tu es sûre que c’était le même type ?

— Ce que tu es bête, parfois. Tu ne m’aides pas là, Christine. Ce genre de bonhomme, il ne doit pas y en avoir des mille et des cents ; c’est forcément le même ! Écoute, Hélène, il faut vraiment que tu écoutes tes filles. Trouve-toi un mec, et tout ça s’arrêtera. Et nous, ça nous rassurera ! Regarde, ce gars, qui vient d’enterrer ses mômes, tu m’as bien dit qu’il y avait eu un truc, entre vous ? Invite-le à venir… au moins quelques jours, après, tu verras. Dans trois jours, c'est l'été, c'est la saison, c'est le moment d'en profiter...

— Ouais, sauf que ce crétin aurait déjà pu se manifester s’il était intéressé, reprit Christine, tu ne crois pas ? Maintenant qu’il est libre… Il a bien dû se trouver une chaussure à son pied, là-bas, dans sa cambrousse…

-

C’était la fin du mois de juillet, Hélène venait de raccrocher son téléphone, qui était resté muet pendant la demie minute qu’elle avait passée à écouter, devant Alicia qui perdait patience.

— M’man, c’est pas possible, tu dois faire quelque chose. D’abord, c’était les appels anonymes, là, ça fait trois fois ce mois-ci qu’on te crève les pneus, et encore un appel de ces connards. Et les képis, ils ne vont pas bouger tant que ça ne sera pas plus grave !...

— Dis-donc, Alicia, tu te mets à parler comme Joanie... J’espère que tu surveilleras ton langage, à ces cours...

— Ca va, ne change pas de sujet ! Ecoute, on va y aller, à ces cours, on va bien préparer notre rentrée, avec Noé, mais toi, je veux que tu prennes conscience que quelqu’un te joue un mauvais tour, avant que les assurances ne te lâchent !

— D’accord, répondit Hélène. Mais, j’ai déjà porté plainte à la gendarmerie, ils ont dit qu’ils allaient surveiller le quartier...

— Ouais, sauf que c’est pas dans le quartier que ça se passe, c’est toujours quand tu es en déplacement en ville.

— Mais ils ne vont pas surveiller toute la ville pour moi, tu sais...

— Je sais, coupa Alicia, c’est pour ça que tu dois faire venir quelqu’un pour te protéger, et nous avec !

— Tu recommences...

— A quoi faire ?

— A parler comme ta sœur !

— Ouais, ben peut-être que c’est elle qui a raison ! Tiens, ce mec, là, que t’es allée voir, l’autre fois, à l’enterrement...

— Hector ?

— Ouais, pourquoi tu l’inviterais pas ? Rien que de voir un homme, même pour quelque temps, à la maison, ça peut les calmer, tous ces connards...

— Tu sais, je lui ai dit de passer quand il voudrait, mais il n’a sûrement pas la tête à prendre des vacances en ce moment...

— Arrête, c’est des conneries, ça, il est tout seul, en train de déprimer, je parie, ça lui ferait pas de mal. Vous vous entendiez bien, non, quand vous étiez jeunes ?

— Ben...

— Dis pas le contraire, j’ai trouvé une lettre qui trainait, l’autre jour, sur le meuble du salon. Je parie que c’est toi qui l’as ressortie, une lettre qu’il t’avait écrite, à l’époque...

— Salut, coupa Noémie qui entrait à l’instant. Vous êtes en train de parler de la lettre de ce type, là ? Tu parles d’un romantique, toi ? Qu’est-ce que tu lui as trouvé, à ce mec ? Juste qu’il était marrant, c’est ça ? Remarque, je comprends que ça ne soit pas allé plus loin...

— Non mais vous allez vous calmer, les filles ? Mais dites-moi, tout le monde est au courant pour cette lettre, ou quoi ?

— Non, il n’y a que nous deux... reprit Alicia.

— Et bien c’est très bien comme ça !

— Tu vois, tu changes encore de sujet ! Alors, tu vas l’inviter à venir, ou pas ?

— Mais oui, c’est pas pour rester toute la vie, juste pour décourager les emmerdeurs... Allez, appelle-le !

— Non, mieux, il faut que tu y ailles ! Après tout, ça lui ravivera des souvenirs, et il ne pourra pas refuser de te suivre...

— Vous me fatiguez, les filles, avec vos histoires à dormir debout, conclut Hélène. Il faut que j’aille en ville, mettez la table, qu’on puisse dîner pas trop tard, d’accord ?

Hector vit son amie quitter la pièce, laissant les jumelles élaborer un plan.

— Écoute, il faut vraiment faire quelque chose, commença Noémie.

— T’as raison, tu devrais aller trouver ce gars, ce Hector, et le convaincre de venir ici.

— Pourquoi moi ? En plus il a l’air d’être nul, ce mec !

— Mais c’est toi qui sais le mieux embobiner les gens. Tu y arriveras très bien. Et puis, c’est pas grave s’il est nul, du moment qu’elle soit heureuse et en sécurité.

— Et nous avec, continua Noémie. Ok, je suis d’accord avec l’idée, mais c’est ton idée, c’est toi qui t’y colles !

— Vendu ! conclut Alicia.

-

La mi-août approchait maintenant à grands pas, Hélène, radieuse, s’employait à rassurer son père, écouteurs dans les oreilles, casque audio raccordé à son téléphone.

- Oui, papa, tout va bien, je t’assure. Oui, il est toujours aussi gentil, tu peux rassurer maman. Non, n’en parle pas à Laurent, il n’a jamais pu l’apprécier, il lui faudrait du temps, et on n’en est pas là, pas encore. Et puis les filles t’ont dit, les coups de fils, tout ça, ça fait bientôt deux semaines que ça s’est arrêté, depuis qu’il est arrivé. Tu vois, elles avaient peut-être raison, finalement. Mais oui, je vais bien, ne t’inquiète pas, et puis, tu sais, c’était il y a vingt-cinq ans, j’ai grandi, depuis, je ne suis plus une petite fille. Allez, ne te fais pas de souci, fais une bise à maman, je passerai vous voir un de ces jours. Avec lui ? Qui sait ?

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