Chapitre 36
Au dessus de Raenimor, Pacifia, Utopia, 8 Janvier 1994
Après le bombardement de Raenimor, le Efdéème s'était dépêché de quitter les lieux afin de ne pas devoir en plus faire face à la flotte Véerème qui selon eux, serait sans aucun doute venue. Ils ne s'étaient pas trompés. Dès qu'il apprit la nouvelle, le Véerème avait décidé d'envoyer quelques vaisseaux sur place.
Lorsque ceux-ci arrivèrent sur les lieux, deux questions arrivèrent à l'esprit de leurs occupants : "Pourquoi avoir attaqué Pacifia ?" et "Pourquoi Raenimor précisément ?"
L'ampleur des destructions était tout simplement énorme. Il n'y avait plus rien mis à part des restes de bâtiments, d'arbres et de corps calcinés. Raenimor n'était plus qu'un tas de ruines et de cendres. Complètement rayée de la carte.
Quelques elfes étaient sur place à la recherche d'éventuels survivants. Cette attaque leur avait une nouvelle fois montré la force de la technologie humaine, mais aussi la cruauté humaine. Pourtant, ça ne les a pas empêcher de se ranger du côté véerèmois suite à l'attaque. Dès qu'il apprit la nouvelle, le roi elfe Lethanael III, avait décidé d'engager son royaume dans la guerre, aux côtés du Véerème et de ses alliés. Pacifia était alors la première nation elfique à entrer dans le conflit.
—Je n'arrive pas à y croire... fit l'officier Sully, à bord du Filature. Il ne reste plus rien.
—Au contraire, lui répondit le capitaine Rosen, un homme d'environ quarante-cinq ans, les cheveux courts et grisonnants. Tout cela n'a rien d'étonnant. Ils ont la puissance nécessaire. Ce qui m'interroge en revanche, c'est la raison pour laquelle ils ont décidé détruire cette ville.
Après avoir terminé sa phrase, le capitaine fit signe à l'un de ses subalterne de donner l'ordre de déployer des forces de soutien pour les elfes. Quelques minutes plus tard, ce sont pas moins de dix navette Phenix II qui jaillirent des vaisseaux véerèmois pour aller se poser là où ils le pouvaient.
Rosen se tourna vers le grand écran de sa passerelle de commandement. Il appuya quelques touches puis quelques secondes plus tard, le visage de l'Amiral Stone s'afficha. Stone était l'amiral qui dirigea la flotte de combat véerème engagée lors de la guerre de Dalkia quatre ans auparavant.
—Oui Capitaine, fit-il, incitant Rosen à parler.
—Nous avons déployé nos hommes monsieur. Les efles recherchent des survivants, dit le capitaine d'un air désespéré.
—Qu'y a-t-il ?
—C'est que... ça m'étonnerait beaucoup qu'il y en ait amiral. Le Efdéème n'a pas lésiné sur les bombes. Ils ne se sont pas contenté de détruire des cibles stratégiques. Ils ont carrément anéantis la ville. Pourquoi aurait-il pu faire ça ?
—J'admet que tout ça est étrange, répondit Stone en s'adossant à son siège. Pacifia ne représente aucune menace pour eux. L'explication serait qu'il y avait là quelque chose qu'ils ne voulaient pas que l'on découvre. Ou... ou bien Raenimor leur a-t-il servit de laboratoire. Peut-être ont ils testé de nouvelles armes avant de les utiliser contre nous. Dans tous les cas, restons sur nos gardes.
—Oui Amiral. Quels sont les ordres ?
—Pour le moment, le président souhaites que vous restiez où vous êtes afin de rassurer les pacifiens. Ils auront besoin de leurs alliés. Cette guerre est en train de prendre une nouvelle ampleur. Heureusement pour nous, la station Agathe vient d'être achevée et sera mise en service dans les prochaines heures. Elle nous apportera un nouvel avantage.
***
De retour à son QG secret, là où étaient assemblés les unités militaires robotiques qui lui serviraient d'armée, Jack s'isola dans ce qui semblait être la pièce qu'il avait aménagé pour être sa chambre. Il se posa sur le lit et commença à examiner en détail le carnet de son père.
Il s'agissait d'un petit livret d'une quinzaine de centimètre sur huit, le tout faisait une centaine de pages. Il commença à le feuilleter. La première page avait été laissée blanche. Les suivantes parlaient de voyages qu'aurait effectué Lucien Kain, son père. Notamment celui qui lui permit de prendre le commandement des commandos de l'ombre et le massacre qu'il fit à Raenimor. Tout ça, Jack le savait déjà, excepté peut-être la manière dont son père s'était assuré le soutien des ombres.
J'ai sollicité l'aide des ombres. Au départ, elles n'étaient pas emballées par l'idée et ont voulu m'éliminer. Personne ne s'introduit impunément dans leur domaine. Mais lorsqu'ils ont vu ma puissance, lorsqu'ils ont vu comment j'avais réussi à stopper net celles qui avaient essayée de se jeter sur moi pour me tuer, elles ont très vite changé d'avis. Grâce à leur soutien, je pourrais assurer ma victoire prochaine à Raenimor.
Jack connaissait la suite. La bataille de Raenimor fut une véritable boucherie et les pertes côté Véerème et Efdéème étaient catastrophiques. Il décida de poursuivre la lecture.
Au fil des pages, il tomba sur un texte assez étrange. Celui où son père était en voyage dans les provinces de Luheu et où il fait mention de l'une de ses rencontres pour le moins étrange.
Personne ne m'a reconnu comme étant Chimera. J'ai bien voulu exterminer la moitié de la population locale pour ça. Mais je n'ai rien fait. Ce n'est pas pour ça que j'étais venu. Je suis tombé sur un vieillard membre de la religion des Chlorophylles. Il m'a raconté qu'il y a plusieurs dizaines de millénaires, il y a eu une guerre opposant trois races antiques, que cette guerre se répéterait dans l'avenir et qu'elle ne se terminerait qu'avec l'union du puissant, de l'étranger et de l'ancien. Je n'ai absolument pas compris ce qu'il voulait dire. Tout ça devait sans doute faire parti des paroles que répétaient les membres de leur culte aux fidèles.
Jack continua la lecture et constata que le carnet comportait de nombreux récits comme celui-ci. Des récits de voyage. Rien qui lui serait vraiment utile.
—Je n'ai pas récupéré ce carnet pour rien ! s'énerva-t-il. Il y a bien quelque chose là-dedans qui a motivé les elfes à m'empêcher de le reprendre...
Quelques pages plus loin, son père avait écrit des choses à propos de sa rencontre avec Harmonie Freya.
La sorcière de glace est finalement quelqu'un de fiable. J'ai décidé de l'inviter dans mon palais. Je crois qu'à nous deux, on pourrait aller très loin.
En continuant la lecture, il arriva sur une page qui le mentionnait lui. Voilà comment le Efdéème avait appris son existence il y a quelques années, juste avant la guerre de Dalkia.
J'ai emmené Jack à Dalkia. Je l'ai déposé devant une maison. J'espère qu'il s'en sortiras. Je sais que Maya n'aurait pas voulu ça mais, personne ne doit savoir qu'il est mon fils auquel cas il serait en danger. Et en restant avec moi, il l'était.
Tout ça ne le renseignait pas sur la raison pour laquelle, les Traqueurs elfes avaient tout fait pour l'empêcher de récupérer son héritage. Et puis, ça ne l'aidait pas non plus à mieux connaître sa mère. Elle n'apparaissait qu'à de rares occasion dans ces écrits.
Il continua et tomba sur une page où était représentées deux épées. Jack devina que c'était à cette période que son père avait commencé à s'intéresser aux "épées magiques". A partir de là, presque toutes les pages portaient sur ces épées légendaires. L'attitude de son père semblait changer. Ses écrits étaient plus violents. Il voulait ces épées.
Je ne sais pas où elles se trouvent exactement. Je sais juste qu'elle détiennent le pouvoir absolu et que quiconque se les procurerait, détiendrait le pouvoir de domination. Il faut que ce soit moi. Ces épées doivent me revenir. Je doit à tout prix régner sur le monde. Je dois le tenir au creux de ma main. Avec elles je serais l'être le plus puissant qui n'est jamais existé et personne ne pourra plus rien contre moi et ma volonté.
Plus loin encore, Chimera parlait d'un moment où des guerriers et aventuriers, après avoir appris l'existence des épées, se mirent à les rechercher, comme lui. Jack put lire un événement dont Naturia lui avait parlé.
Pendant des années j'ai recherché les épées magiques. Je n'ai jamais l'épée de la Haine, mais celle de l'Amour, je n'étais à pas grand chose de la tenir. J'ai découvert qu'elle était gardée à la fontaine secrète d'Icarus, dans la forêt enchantée. Lorsque j'y suis arrivé, il était déjà trop tard. L'Ange m'avait devancé de peu et tenait déjà l'épée. Dans ses mains, elle s'est mise à réagir. Le bleu de la lame était telle une lumière. J'ai ordonné à mes ombres de la lui saisir. Ils n'ont pas réussi à l'approcher, tellement le pouvoir de l'épée était grand. Plus grand encore que ce que j'avais pu imaginer. Archangel, c'est comme ça qu'il s'appelait, s'est envolé avec l'épée. Impossible de savoir où il l'a emmenée.
La dernière page du carnet comportait un message qui lui était visiblement destiné.
Toi mon fils, lorsque tu retrouveras ce carnet, rend toi à la fontaine d'Icarus. Elle t'apporteras beaucoup plus que ce que tu le pense. Je n'ai pas réussi à réaliser ce pourquoi je me suis battu. Mais toi, si tu retrouves un jour ce carnet, fais-le. Sauve les paranormaux et règne sur le monde.
—"La fontaine d'Icarus" fit Jack à lui-même. C'est sans doute pour ça que les Elfes ne voulaient pas que je prenne ce carnet... Sans doute pour ça qu'ils l'avaient confié aux traqueurs...
Jack comprit que les deux épées magiques et la fontaine d'Icarus, ces trois éléments étaient d'une importance cruciale pour lui et son projet. Il se donna pour objectif de les retrouver. Bien entendu, il ne savait pas où se trouvaient l'épée de la haine, mais avec les indications de son père et ses années passés au Pays des Rêves, il savait où trouver la fontaine et connaissait l'emplacement exact de l'épée de l'Amour : le Domaine des Héros, au Pays des Rêves. Mais y retourner, c'était devoir faire face à celle qu'il considérait encore comme son "amie" malgré qu'elle lui ait fait perdre son plus grand amour en lui dévoilant ce qu'il avait fait à la sorcière de glace, celle qui lui avait quasiment tout appris, celle qui semblait être au moins aussi puissante que lui : Naturia.
Il referma le carnet et le rengea dans l'un des tiroirs de son bureau. Après quoi il décida d'aller voir Elena, pour prendre des nouvelles sur l'avancée de la production de robots.
Lorsqu'il arriva près d'Elle, elle était assise à un bureau, devant un ordinateur, en train de travailler sur un modèle de bot qui de son point de vue semblait plus élaboré que ceux qui étaient en train d'être assemblés dans le reste de l'usine clandestine de Wilson.
—Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il.
—L'avenir, répondit la jeune femme sans dévier le regard de l'écran de son ordinateur.
—Tu... tu peux être plus... précise ? demanda Jack.
Elena se redressa et fit pivoter sa chaise vers le paranormal avant de retirer ses lunettes.
—C'est un prototype de bot. Plus grand, plus fort, plus rapide que le bot standard.
—Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir assemblé uniquement ce modèle ?
Elena lui lança un sourire.
—J'aurais bien voulu. Seulement voilà, je viens d'en achever la conception et même si je l'avait fait avant, il est beaucoup plus long à fabriquer... Tu as dit qu'il te fallait une "grande armée" et "rapidement". Le premier modèle est moins... robuste, certes, mais beaucoup plus rapide à produire.
—Je vois... fit Jack avant de voir étalés sur le bureau, quelques dessins techniques représentant un autre modèle de robot. Et celui-là ?
—Lui ? C'est une merveille ! s'exclama Elena. Un pur chef d'oeuvre. Mais hyper coûteux.
—Je vois bien que tu sembles l'adorer... Mais qu'est-ce qu'il a de si... "spécial" ?
—Regarde par toi-même. Il est assemblé juste là, fit l'ingénieure en montrant une espèce de grande cloche en verre à l'intérieure de laquelle se trouvait le robot.
Jack s'en approcha.
—Il est fini ?
—Non, loin de là. Là ça n'est qu'une coquille vide. Un prototype. Mais une fois que j'aurais réglé certains problèmes moteurs, et géré le problème de son Intelligence Artificielle, je pourrais assembler la version finale et la rendre opérationnelle. Mais ça prendra encore sûrement quelques années, le temps que la technologie dont j'ai besoin soit vraiment... fiable et efficace.
La technologie de la robotique militaire était quelque chose d'assez récent sur Utopia. Bien sûr les drones existaient déjà depuis quelques années, mais le robot soldat autonome, était quelques chose de très récent. Les bots qu'assemblaient l'usine secrète de Desmond Wilson étaient assez simples et assez fragiles comme le disait Elena. Mais ça n'empêchait pas la jeune femme de se projeter vers l'avenir en imaginant déjà le parfait guerrier robotique de demain.
—Tu as dit qu'il aurait une "intelligence artificielle". Il serait donc autonome, c'est bien ça ?
—Exactement. Ceux que nous sommes en train d'assembler en ont une également, mais moins poussée. Et lui, aurait sa propre IA, alors que les autres sont reliés à celle d'un ordinateur central. En d'autres termes, c'est l'IA d'un seul superordinateur qui les contrôlerait tous.
—Tu es en train de me dire que si l'ordinateur central tombe en panne ou s'il se fait pirater... c'est toute notre armée qui tomberait "en panne" ?
—Euh... oui. Mais pour cela il faudrait que nos ennemis sachent où l'on est. Et d'après Desmond, il n'y a aucun risque qu'ils le découvrent.
—J'espère bien, dit-il avant de s'approcher un peu plus du prototype enfermé dans une espèce de cloche de verre.
—Et puis, dans l'avenir, on peut imaginer que chaque bot aura sa propre IA, comme pour le prototype que tu as en face des yeux, ajouta Elena pour rassurer son ami.
Après en avoir fait le tour, Lorage constata que le robot avait deux faces. Chaque face possédait deux petites cornes et deux espèces de petites défenses.
—Pourquoi cette apparence ? demanda Jack. Je veux dire... Pourquoi des cornes et des défenses ?
—Il est inspiré des masques traditionnels des seigneurs de guerre d'Amal'Gur.
—Je vois. Et celui-là, il a deux visages ? demanda Jack qui trouvait ça un peu étrange, limite angoissant.
—Oui... enfin ça c'est plus pour l'esthétique, le design. C'est juste que je prévois de lui mettre des photorécepteurs à l'arrière de la tête pour qu'il puisse "voir" ce qu'il se passe derrière lui. Il n'a pas de "devant" et de "derrière" si tu veux. Regarde ses bras et ses jambes.
Jack s'exécuta. Il était impressionné. Que l'on se trouvait devant ou derrière lui, on avait toujours l'impression d'être "en face" de lui.
—Tu vois, reprit Elena.
—Impressionnant.
—À n'importe quel moment, il peut attaquer une cible située derrière lui. Il lui suffit juste de plier ses bras dans l'autre sens. De même que ses pieds n'ont pas de sens. S'il court en ligne droite pas exemple, à n'importe quel moment, il pourrait se mettre à courir dans le sens inverse tout en continuant de tirer sur ses cibles.
—En parlant de ça... Tu prévois de lui transmettre des données concernant des "techniques" de combats ou quelque chose du genre ?
—Pas encore. Mais je compte lui faire "apprendre" tous les arts martiaux existants. Je veux en faire la machine de guerre la plus redoutable d'Utopia.
—Ouais... fit Jack à voix basse tout en fixant le robot du regard. Il serait aussi à l'aise avec une arme à feu qu'un bâton face à une cible ordinaire. Mais complètement à la ramasse contre un paranormal.
Jack venait là de découvrir ce qui semblait être l'unique point faible de la machine.
—Sauf si... reprit-il avant de se tourner vers Elena.
—Oui... qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle.
Jack avait pensé à équiper le robot du système qu'avait utilisé Aramis Neg et ses hommes contre lui il y a quatre ans. Un dispositif émettant un larsen capable de déconcentrer les paranormaux, les empêchant d'utiliser leurs pouvoirs. Cette idée était brillante. Mais elle comportait un risque. Ses ennemis n'étaient pas les paranormaux. Et si cette arme équipée d'un tel dispositif venait à se retourner pour une quelconque raison contre eux, elle pourrait faire des ravages chez les paranormaux.
—Non... rien. C'est juste qu'il serait mieux avec une seule "face", quitte à quand même lui mettre des "photorécepteurs" à l'arrière, mais l'idée de la double tête, c'est vraiment flippant.
Elena éclata de rire.
—D'accord, c'est noté. J'y penserais. De toute façon ça n'est pas essentiel. Comme je le disais, c'était juste une question d'esthétique.
La jeune femme attendit quelques secondes avant de changer la conversation.
—Alors... le carnet ? Il t'as appris quelque chose ?
—Oui, lui répondit simplement le paranormal.
—Mais tu ne veux pas en parler, c'est ça ?
—Mon père parlait de deux épées magiques
—Elles existent ?
—Oui. Il faut les retrouver. Et je sais où se trouve l'une d'entre-elles.
—Et tu vas aller la chercher, c'est ça ?
—Oui. Mais avant, je dois aller dans la forêt enchantée.
Elena écarquilla les yeux.
—La forêt enchantée ? Pourquoi faire ?
—Mon père parlait d'une fontaine. A la fin du carnet, dans un message qui m'était destiné, il m'a demandé de m'y rendre.
—Donc tu retournes à Pacifia ?
—Oui. Je vais voir ce puits... et ensuite, j'irai chercher l'épée magique.
Il marqua une très courte pause avant de reprendre.
—La production de bots, avance bien ?
—Très bien, oui. Ton armée grossit de jour en jour, pourquoi ?
—Parce que j'en aurai besoin de quelques-uns.
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